En 2012, Claudio Abbado n'en est pas à son premier enregistrement du Requiem de Mozart, et certains fils conducteurs se dégagent de ses interprétations. Tout d'abord son optique se situe clairement dans une veine traditionnelle entraînant avec elle assez d'a priori susceptibles de la faire passer pour rétrograde en regard des canons imposés par le courant "à l'ancienne". Parmi les arguments le plus souvent avancés par les seconds, lenteur et lourdeur occupent les premières places : lenteur héritée du romantisme interprétatif qui a formé les grands chefs d'autrefois, et lourdeur issue du nombre d'instrumentistes aboutissant à des phrasés appuyés.
Pourtant, à des années-lumière de chefs modernistes, malgré un grand orchestre et une masse chorale imposante, Claudio Abbado réussit une espèce de pari interprétatif en parvenant à ménager la chèvre et le chou face à ses troupes. Le double chœur de la Radio Bavaroise et de la Radio Suédoise arrive à une forme d'équilibre global qui aboutit à une beauté plastique indéniable, sans toutefois donner un sentiment d'épaisseur.
Le quatuor de solistes fait preuve lui aussi d'une bonne homogénéité : le timbre d'Anna Prohaska est assez cuivré, Sara Mingardo se montre une alto plutôt haute, le ténor Maximilian Schmitt n'est ni trop léger ni trop lyrique, et la basse de René Pape est bien timbrée. Jamais les voix solistes ne seront couvertes par la masse chorale et le texte restera toujours compréhensible.
Deux ans avant son décès, Abbado a le geste retenu et essentiel. Les tempi et les phrasés vont de pair pour définir un texte qui avance sûrement, creusé dans le détail, dont les contours restent en permanence bien sculptés. Le dialogue orchestre/voix fonctionne à merveille. Considérant la santé du chef en 2012, on se serait presque attendu à un requiem de fin de vie, peut-être effrayant et apocalyptique, séraphique et suppliant. Or il n'en est rien et ce Requiem de Mozart exprime davantage la sérénité et l'humanisme profond d'un vieux maître qui sut ne pas s’approprier une musique géniale à des fins subjectives.
Le silence rituel qui fait suite aux dernières notes et que seul ce chef savait installer est une preuve, s'il en faut, de l'adhésion totale du public à cette vision dont il a accepté les valeurs.
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Nicolas Mesnier-Nature