L'éloge principal reviendra au jeune chef russe Vladimir Jurowski qui, d'un coup de baguette, balaye la lourde tradition allemande qui pèse bien trop souvent sur Les Maîtres Chanteurs dont l'esprit dominant est bien celui d'une comédie, la seule qu'écrivit Wagner. Dans les Préludes et Interludes règnent une clarté exemplaire, une finesse, une aération et un remarquable équilibre des voix. Dans tout le texte musical, y compris les récitatifs les plus "neutres", lignes mélodiques, phrasés et harmonies prennent leur sens et tissent un lien avec l'action qu'ils illustrent. Les premières secondes de l'Ouverture donnent le ton parfait, et cette justesse prévaudra jusqu'à la fin de l'ouvrage. Ce lien entre la fosse d'orchestre et la scène s'illustre également au travers de la mise en scène de David McVicar. Par exemple, au début de l'Acte III, lorsque Beckmesser entre en voleur chez Hans Sachs, la chorégraphie d'Andrew George nous fait voir ce que nous entendons d'une manière subtilement précise et imagée.
La mise en scène réussit sa transposition temporelle quant au saut dans le temps de quelque 300 années : de la renaissance allemande aux premières décennies du XIXe siècle, il y a ici tant de recherche esthétique portant sur les costumes et le mobilier, l'architecture et les nombreux détails de la production, que nous tombons immédiatement sous le charme. La superbe voûte, avec ses liernes et tiercerons enlacés, domine toutes les scènes. Des panneaux mobiles assureront la transition entre l'église, la place de la ville et le cabinet de travail de Sachs… Dans ce merveilleux décor, la qualité de la mise en scène transforme les chanteurs en véritables acteurs. Dans les bonus, Gerald Finley [Lire notre interview de Gerald Finley] nous apprend jusqu'où est allé ce souci du détail. En effet, rien n'est laissé au hasard, tout est soigné. Certaines scènes se conçoivent même comme des tableaux où David et Brueghel se seraient donné rendez-vous.
Le réalisateur François Roussillon a capté cette production avec une totale maestria, alternant toujours avec raison plans larges, plans serrés et inserts.
C'est au milieu de ce foisonnement visuel qu'évoluent les chanteurs. À la tête des six rôles majeurs, Gerald Finley interprète un Hans Sachs plus vrai que nature. Le baryton-basse donne vie au personnage avec beaucoup de présence scénique et vocale, sans faiblesse ni baisse de régime du début à la fin malgré la dimension écrasante du rôle. Cette aisance vocale et son jeu parfaitement naturel s'imposent d'emblée comme une réussite totale.
Johannes Martin Kränzle donne au rôle de Beckmesser un aspect tragi-comique qui évite l'excès. De nombreux gros plans nous font apprécier une incarnation tout en finesse de ce rôle de manipulateur manipulé. Johannes Martin Kränzle en arriverait presque à nous attendrir et à voler la vedette à Gerald Finley ! De fait, le public s'esclaffe en assistant à ses maladresses, situation assez rare dans un opéra de Wagner !
Veit Pogner n'intervient pas souvent dans Les Maîtres, cependant Alastair Miles apporte une forte personnalité au père d'Eva. Il sera ovationné comme il se doit au moment des saluts.
Nous nous montrerons en revanche plus circonspects envers le David de Topi Lehtipuu, vocalement et physiquement assez neutre, écrasé par la présence de Gerald Finley. Quand au couple Walther/Eva, il se montre lui aussi bien fade : lui en raison d'un timbre vocal beaucoup trop léger et vite limité, sans profondeur ni couleur, elle tout aussi impersonnelle et transparente. Marco Jentzsch et Anna Gabler, sans nuire véritablement à l'opéra, apparaissent sans passionner, comme des amoureux béatement transis.
Mais un opéra est un tout, et on peut sans réserve recommander ces Maîtres Chanteurs de Nuremberg comme une des meilleures productions de la décennie. Du reste, au moment où nous publions ces lignes, ce spectacle est à nouveau à l'affiche de Glyndebourne !
À noter : Les Actes I et II sont proposés sur le DVD 1 (152’16) ; l’Acte III sur le DVD 2 (129’05).
Lire le test du Blu-ray Les Maîtres chanteurs de Nuremberg à Glyndebourne en 2011
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Nicolas Mesnier-Nature