La partition interprétée ici est, nous dit le livret, une "version restaurée". Il précise de même que les compositeurs avaient pour habitude d'adapter leur musique en fonction de circonstances matérielles - argent et structure de la salle, par exemple - ou musicales - rôles écrits pour la voix d'une star et remaniés pour un autre organe. Parfois également, l'argument pouvant choquer dans un contexte politique donné, on remaniait le texte. S'agissant des Puritains, le dernier opéra de Bellini, les décisions ultimes du compositeur restent inconnues. La "nouvelle édition critique" utilisée pour cet enregistrement de 2009 restaure certains passages, notamment au dernier Acte.Les qualités vocales des chanteurs s'étendent du bon à confirmer au mauvais à déplorer. Gianluca Floris est un Sir Bruno Roberton dont le timbre est exempt de beauté et de puissance. Bien que ce personnage ouvre l'Acte I, le rôle est heureusement peu étoffé. Nadia Pirazzini, malgré sa courte prestation en Enrichetta di Francia, reste crédible dans ce personnage de veuve tragique. Le baryton Gabriele Viviani et les basses Ugo Guagliardo et Ildebrando d'Arcangelo manquent quelque peu de puissance dans le registre grave – ce qui est gênant pour des basses - et assurent ce que nous qualifierons de "minimum syndical" quant à leur engagement vocal. De plus, ils sont raides comme des piquets dans leurs déplacements.
Restent les deux chanteurs principaux, le Péruvien Juan Diego Flórez et la Géorgienne Nino Machaidze.
La voix de ténor de Juan Diego Flórez est à ranger dans la catégorie "léger" pour sa densité. La puissance est retenue et la couleur se montre monochrome. Sa voix de gorge, très tendue, manque de rondeur, de coloris, et va dans le sens d'une neutralité expressive tournée vers l'économie. Le chanteur se laisse porter par les interminables guirlandes de croches belliniennes déroulées par le passif chef d'orchestre Michele Mariotti.
La soprano Nino Machaidze, très souvent en scène, se montre la plus à l'aise de la distribution rassemblée ici. Douée d'un fort tempérament vocal, son organe joue le drame, la joie, la folie avec sincérité et facilité. Son médium est coloré, et les aigus, parfaitement bien amenés, sont ouverts et non criards. Soulignons également la finesse et la justesse de quelques suraigus radieux émis dans la douceur.
Deux énormes problèmes causent en outre un tort considérable à la production : la mise en scène et la captation.Selon le metteur en scène Pier'Alli, "c'est la musique qui parvient à rendre les situations crédibles". Mais l'écriture de Bellini n'est pas celle de Berlioz ou du Wagner de la Tétralogie, et le soutien musical est totalement voué à l'accompagnement des chanteurs à défaut de commenter les situations. Le spectateur est donc dans l'attente d'un contenu visuel digne de ce nom, sans quoi l'écoute d'un CD pourrait amplement lui suffire.
Mais point de mise en scène dans cette production : le centre du plateau reste obstinément vide, les couleurs font dans le camaïeu froid et triste avec ses dominantes noires, bleu foncé et gris-blanc. Les chœurs sont alignés comme pour une revue militaire et leurs gestes stéréotypés s'avèrent dénués d'intérêt. Dans un effort d'inventivité redoutable, on nous assène d'immenses épées plantées à la verticale pour nous situer dans une salle d'armes, des portes penchées à la Münch dessinées sur des panneaux pour signifier la folie d'Elvira, scène où l'on remarquera six femmes de noir vêtues portant des lampes allumées dans la nuit pour faire inquiétant. Un rideau transparent peinturluré de vagues arbres symbolise la forêt avec d'autres inévitables appels de phares blancs afin de bien nous faire comprendre qu'il y a un orage. Tout cela est sans intérêt, sans passion, et provoque un ennui proche du degré zéro de l'écriture.
Le dernier espoir du téléspectateur reste la captation sonore et vidéo. Hélas, sans installation multicanale, il devra se contenter d'un mixage stéréo indigent (lire plus bas Critique son) et d'une captation à côté de la plaque. En effet, la caméra se promène entre les interprètes, exécute des travellings portés parfois mal maîtrisés, nous assénant une alternance de gros plans sur les visages des choristes et de vues plongeantes typiques des captations de spectacles de variétés qui ne peuvent envisager une caméra autrement qu'en mouvement et le montage autrement qu'hystérique. Les points de vue sont parfois si éloignés qu'on ne perçoit plus rien de la scène. Quant aux gros plans destinés à mettre les émissions aigues des chanteurs en vedette lors des moments cruciaux, loin s'en faut qu'ils avantagent tout le monde...
Tout cela déçoit de la part de Decca dont on pourrait penser que le seul logo est gage de qualité.
Cette bien triste production est à peine sauvée par quelques interprètes dont Nino Machaidze, au charisme vocal et à la photogénie indiscutable.
Nicolas Mesnier-Nature