Entre les audaces scéniques extrêmes et le conformisme le plus plat, les représentations actuelles d'opéras de Mozart peinent à trouver un équilibre à même de satisfaire le plus grand nombre…
Issue de la pièce de théâtre de Beaumarchais bienheureusement titrée La Folle journée ou le mariage de Figaro, nous aurions plutôt tendance à nous orienter au vu de cette représentation milanaise de 2006 vers la seconde partie du titre. En effet, de "folle journée" nous n'avons pu déceler la moindre trace. Force est de constater qu'au point de vue vocal, la sagesse l'emporte définitivement sur l'entrain, le mouvement et la théâtralisation qui doivent dominer le tourbillon de personnages et de musique qui illustre si bien l'esprit du XVIIIe siècle cher à Beaumarchais. D'autres productions peuvent certes s'inscrire dans une démarche opposée, telle celle de Claus Guth à Salzbourg la même année, mais le talent d'un metteur en scène est requis pour ce faire.
Évoluant donc très sagement au milieu de décors fidèles à l'architecture, au mobilier et aux parures de la fin du siècle des lumières, les chanteurs réunis sur le plateau de la Scala chantent plus qu'ils ne jouent. Leurs personnages, à force d'être trop fidèles aux stéréotypes, n'inventent rien : un valet est un valet, une servante reste une servante et le comte, un comte. Jamais aucune ambiguïté ou de sous-entendus, mais des attitudes marquées par une très grande théâtralité, qui ne sont jamais exagérées au point d'atteindre le niveau d'invraisemblance qui fait tout le sel des situations comico-dramatiques du livret. De sentiments volontairement dissimulés, de grotesques méprises ou de mauvaise foi affichée, on ne perçoit tout juste, ici, que la surface.
Curieusement, sans remettre en cause la qualité globale du chant qui nous est proposé, nous ne pourrons pas plus nous extasier à l'écoute des airs magnifiques et si connus d'un des plus grands opéras du répertoire. Le seul personnage qui sorte un tant soit peu du lot est celui de Suzanne, grande réussite de la soprano Diana Damrau : voix claire, d'une grande maîtrise et d'un grand naturel bien en phase avec le personnage. La comtesse de Marcella Orsatti Talamanca nous transmet bien peu d'émotion à travers ses deux airs qui pourtant n'en manquent pas. Le Figaro d'Idebrando D'Arcangelo domine quant à lui les voix masculines, toujours très sonore et coloré, plus présent mais toujours sur la réserve (voir son Figaro à Salzbourg la même année, mis en scène par Claus Guth), ce qui n'est pas le cas du Comte de Pietro Spagnoli à la voix un peu trop légère à notre goût, sans caractère particulier, comme son jeu décidément bien convenu. Du Basilio de Gregory Bonfatti, sans couleur vocale, on ne retiendra qu'une platitude absolue à tous les niveaux. Alors que le personnage pourrait s'apparenter à un intrigant plutôt douteux, on a davantage affaire sur scène à un entremetteur falot qui ne génère aucunement l'inquiétude. Le couple Bartolo-Marceline (Maurizio Muraro et Jeannette Fischer) se montre lui aussi bien plus sympathique qu'intrigant, quand le Cherubino de Monica Bacelli est malheureusement peu crédible en adolescent pré-pubère. Enfin, le petit rôle de Barberine, dont la cavatine de l'Acte IV représente le seul air au potentiel si prégnant, n'émeut que bien superficiellement.
Ces Noces de Figaro ont perdu leur caractère impertinent et leur sens théâtral. Dans cette production Milanaise, les personnages de Beaumarchais sublimés musicalement par Mozart restent des figures figées évoluant dans des décors eux aussi monotones, à dominante ocre et dénués de fantaisie. Durant trois heures, aucun rire - les spectateurs filmés en témoignent ! - et, pour couronner le tout, la direction musicale de Gérard Korsten affiche un classicisme incapable d'ajouter du sel au spectacle.
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Nicolas Mesnier-Nature