C'est peu dire que la modernisation des Contes d'Hoffmann proposée par Marthaler demande un effort de lecture significatif tant elle perturbe l'écoute tout au long du visionnage. En effet, le spectateur va tenter de trouver continûment un sens à ce qu'il survient autour des principaux protagonistes du livret, eux-mêmes soumis à de fortes mutations.
Des modèles féminins d'atelier d'artiste qui se succèdent, des garçons de café marionnettes, un savant fou (Graham Valentine), un barman aux habitudes étranges (Christoph Homberger), un diable réincarné cynique et glaçant (Vito Priante) et une poupée-humaine désincarnée (Ana Durlovski) évoluent autour d'un Hoffmann et d'une Giulietta-Antonia bien humains. Un univers sombre, sans vie, peuplé d'un chœur où femmes et hommes ne sont pas toujours clairement définis et dont les comportements, là aussi, inquiètent constamment.
Si la lecture orchestrale de Sylvain Cambreling convainc tout à fait, la distribution de ces Contes hors-norme n'enthousiasme pas totalement…
Le ténor américain Eric Cutler possède une présence physique plus forte que vocale. Sa diction est correcte mais la couleur vocale est constamment en retrait, ce qu'il compense par un jeu de scène convaincant.
Vito Priante tient les quatre rôles maléfiques avec beaucoup de panache, très à l'aise visiblement à incarner le mal par une démarche et une gestuelle dignes d'un Dr Mabuse ou d'un espion venu de l'Est. Sa voix est maîtrisée de bout en bout et ne déborde jamais dans les effets, à l'inverse de ses rôles.
Christoph Homberger (Andrès, Cochenille, Frantz et Pitichinaccio), constamment présent sur scène, incarne tout au long des Contes un barman blasé aux tocs étranges. Sa voix très claire donne ici davantage l'impression de malaise voulu que de ridicule.
La poupée-marionnette d'Ana Durlovski lance ses vocalises et ses suraigus de soprano colorature sans maîtrise absolue avec des montées et descentes glissées, et des notes hautes plaquées. Mais, après tout, pourquoi une poupée devrait-elle s'exprimer aussi bien qu'une vraie chanteuse ? Si l'effet est voulu, c'est une réussite. Dans le cas contraire, on a entendu mieux !
Measha Brueggergosman possède un timbre de soprano dramatique très coloré. Avouons que nous la verrions davantage en Carmen qu'en Giulietta ou Antonia puisqu'elle tire ces rôles vers le grand opéra, écrasant ainsi l'écriture d'Offenbach.
Reste enfin Anne Sophie von Otter dans le rôle de la Muse/Nicklausse. La voix qu'on lui a connue a certes évolué, mais la mezzo-soprano possède de beaux restes et tient la scène avec une présence indéniable, faisant évoluer avec aisance son personnage de pochtronne vers celui de Muse amoureuse.
Ces Contes d'Hoffmann bien peu orthodoxes et sans compromis sauront peut-être convaincre l'amateur à la recherche d'une mise en scène exigeante qui bouleverse l'imagerie traditionnelle attachée à l'opéra d'Offenbach. Mais prudence pour les autres…
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Nicolas Mesnier-Nature