Avant tout, un opéra de Rossini impose des chanteurs irréprochables. Dans La Cenerentola, les voix du registre grave dominent : trois basses ou barytons, deux mezzos, et seulement une soprano et un ténor. Dans cette distribution du Teatro Petruzzelli de Bari, tout est parfait, ou presque.
Le Don Magifico de Paolo Brodogna, le Dandini de Roberto de Candia et l'Alidoro de Nicola Ulivieri partagent la qualité de timbre qui sied à leurs personnages : Alidoro en philosophe précepteur magnanime, plein de noblesse, de compassion et d'incantation ; Dandini en valet travesti très en verve et à l'aise dans ses situations de comique équivoque ; et un Don Magnifico parfaitement crédible dans son incarnation de tous les travers humains. Ce dernier rôle est difficile à interpréter en raison de ses multiples changements de registres liés aux tournures diverses que prend l'action : l'interprète doit tour à tour se montrer menaçant, obséquieux, naïf et furieux.
Ces traits de caractère sont partagés par ses deux filles, Clorinda et Tisbe, respectivement interprétées par la soprano Eleonora Cilli et Alessandra Volpe, mezzo. Leurs timbres vocaux se marient fort bien : une chance car les deux sœurs forment constamment un duo ! Leurs figures d'arrivistes vulgaires et sans scrupule trouvent un excellent support dans les costumes hauts en couleur dessinés par Giada Palloni.
En revanche, le Don Ramiro du russe Maxim Mironov ne satisfait pas complètement. Jeune ténor à la voix un peu verte, il possède un registre grave bien présent et un médium assez coloré, mais les notes hautes ont tendance à devenir métalliques et plafonnent en voix de tête assez rapidement. Face à l'Angelina de Josè Maria lo Monaco, il est clair que la balance ne penche pas en sa faveur, tant le timbre rare de la mezzo aux nettes tendances de contralto mérite tous les éloges.
Rossini a composé le rôle pour une mezzo colorature de l'époque, nécessitant une tessiture élargie de plus de deux octaves, à la fois aux sombres graves et médium, mais également dotée d'une agilité soutenue. Autrement dit, le rôle parfait pour notre chanteuse. La voix de Josè Maria lo Monaco est chaude, lisse, puissante dans les extrêmes et absolument dénuée de vibrato.
Tout ce petit monde s'en donne à coeur joie dans les redoutables airs et ensembles sculptés par Rossini. La virtuosité vocale est à son comble dans les airs à roulades, et les ensembles montés en crescendi sont irrésistibles (quintette de l'Acte I, sextuor de l'Acte II). Le débit syllabique extravagant n'entraîne aucun défaut et reste parfaitement intelligible.
Sur le plan scénique, Daniele Abbado, fils de Claudio Abbado, joue la sobriété avec opportunité. On ne court pas partout dans cette Cenerentola, et une retenue à l'humour parfois subtil – les costumes de certains choristes – crée une animation dénuée d'agitation. Daniele Abbado nous réserve quelques surprises amusantes que nous ne dévoilerons pas ici de crainte d'en briser l'effet. Son écriture pour la scène demeure constamment lisible.
C'est également le cas des décors : le volume du plateau est bien occupé au sein d'un espace délimité par des murs anthracite faisant ressortir des éléments de décors très bien mis en valeur par une lumière intense et soignée qui souligne le caractère des scènes : crudité colorée pour les passages animés, sobriété pour les scènes calmes. La partie supérieure du plateau est occupée par un système d'escaliers coulissants entrant et sortant par les côtés ou par le haut, évitant ainsi des baissers de rideau intempestifs. Le mobilier utilisé projette cette Cendrillon dans les années 1960/70 avec un buffet de cuisine en formica, une cafetière italienne et des couleurs flashy.
Evelino Pido dirige l'Orchestra della Fondazione Petruzzelli de manière attentive, sans partition, avec l'énergie et la précision indispensables à ce type d'ouvrage.
Sous ses airs de musique légère ou facile, cette œuvre est souvent galvaudée et confiée à des interprètes qui se fourvoient totalement en en exagérant les effets. Dans cette production, le comique est bien en place, sans gros effets. Nous nous situons ici très loin du désastre scénique d'un récent Turc en Italie, et cette Cenerentola mérite au final de sincères éloges pour la qualité de sa distribution, le savoir-faire des musiciens, l'habileté de la mise en scène, mais aussi le soin apporté par Adriano Figari à la réalisation vidéo.
À noter : La Cenerentola est présenté sur 2 DVD.
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Nicolas Mesnier-Nature