Il ne fait aucun doute que la soprano finlandaise a été une grande dame de la scène lyrique. Ses incarnations dans l'opéra allemand, tchèque, russe et italien, d'une forte présence physique et vocale, resteront dans les mémoires. Mais le récital avec piano appartient à une autre sphère. Absence de décors, de parures, de partenaires, de jeux scéniques ne permettent pas de masquer les déficiences vocales.Le CD de (20 pistes, 54') permet d'entendre Karita Mattila, accompagnée au piano par Ilmo Rauta, dans Beethoven, Schubert, Brahms, Sibelius, Kuula et Melartin. Cette écoute permettra de percevoir déjà un vibrato qui aura tendance à devenir envahissant. L'engagement expressif de la chanteuse reste entier, mais la conduite de la mélodie s'appuie plus sur la force que sur la finesse. On restera sur sa faim dans la mesure où il n'y aura pas de révélation musicale au sens plein du terme. La comparaison avec les incontournables interprètes germaniques des lieder de Beethoven, Schubert et Brahms est à ce titre sans appel. Par contre, dans les 6 mélodies de Sibelius, dans Toivo Kuula et Erki Melartin, on sent Karita Mattila chez elle, et cela s'entend. Il est juste de préciser à sa décharge qu'un certain classicisme dans le répertoire et un accompagnement prosaïque mène la soprano à une conduite de chant plus figée, la personnalité de l’interprète pouvant être rapidement soumise au cadre formellement stérilisant du lied allemand.
Il n'en est pas de même pour le programme plus subjectif du concert à Helsinki proposé sur DVD
Les très connues mélodies de Duparc nécessitent – comme tout le répertoire français – une diction parfaite. Reconnaissons ici que nous en sommes loin : à défaut de sous-titres, il faut faire un effort substantiel pour saisir à la volée le sens d'un vers. Les longues tenues sur les mots subissent un vibrato envahissant, les crescendo aboutissent à des forte assourdissants et à des aigus laids. On se sent davantage dans le monde de l'opéra que dans celui des mélodies françaises fin de siècle. Cette puissance d'émission se trouve plus en phase avec les Quatre instants de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho que l'on verra apparaître pour l'occasion sur scène. Karita Mattila est la dédicataire du cycle et s'y investit à fond. Chantée dans un français plus compréhensible, la musique sur-expressive de Saariaho convient parfaitement au style théâtral de Karita Mattila. Elle vit indéniablement et joue au sens plein du terme ces poèmes de la frustration, du souvenir et du regret. Trop peut-être si l'on voit ses mimiques dont il est difficile de savoir si elles sont naturelles ou forcées. Le travail du pianiste atteint dans ces pièces un sommet, mais il n'existe pas ou peu de connivence visuelle entre la chanteuse et son accompagnateur. Chacun paraît dans son monde. Pourtant, le sévère Martin Katz se transformera volontiers en soliste tant sa partition est exigeante. La caméra insistera sur ses mains parcourant tout le clavier pour un résultat tout à fait abouti. Toutefois, le langage violent des Quatre instants, avec ses notes sollicitant les extrêmes des possibilités vocales, retranche la soprano dans ses limites et aboutit trop souvent à des cris (voulus ?) devenant à la longue quelque peu fatigants.
Passant du rose au noir - peut-être s'agit-il là d'une autre soirée de captation -, la tenue de Karita Mattila, déchaussée, indique un changement de style. À la violence extrapolée de Saariaho on passe dans le monde plus intime et romantique mais non moins tourmenté de Rachmaninov, puis à la couleur Europe centrale de Dvorak. Le pianiste-compositeur russe laissa d'intimidantes parties au clavier dans lesquelles Martin Katz s'engage avec fougue dans une virtuosité stimulante.
Les Chants tziganes qui suivent libèrent entièrement l'actrice-chanteuse finlandaise et l'élan rythmique slave termine avec panache un récital qui, de fait, a débuté par la beauté classique mais quelque peu figée de Duparc pour aboutir à deux bis déjantés et très théâtraux : une musique de film signée Victor Young, et un arrangement de chanson traditionnelle finlandaise d'humeur badine de Ralf Gothoni.
Le récital d'Helsinki suit ainsi une progression et une libération expressive qui pourra paraître hors sujet à certains : Karita Mattila n'hésitera pas à trop en faire, confondant l'intimité d'un récital avec piano avec la puissance d'une scène lyrique. En guise de dernière extravagance, elle n'hésitera pas à accomplir un grand écart, bras levés, remerciant un public conquis d'avance par sa soprano nationale.
Nicolas Mesnier-Nature