Acis et Galatée a de quoi séduire immédiatement par sa durée relativement limitée - 1h30 - pour le début du XVIIIe siècle, époque de sa composition, ses récitatifs très courts et un chapelet d'airs solistes et choraux. Son intrigue, très simple, se base sur la mythologie hellénique. Toute l'attention du spectateur est donc ouverte sur la qualité de la musique. Mais cette production londonienne va plus loin et profite de cette disponibilité intellectuelle que laisse une histoire débarrassée de complications baroques pour enrichir quelque peu l'action par un subterfuge visuel très intéressant et novateur.
À l'instar d'une production antérieure – l'Orpheus und Eurydike de Pina Bausch sorti chez Bel Air Classiques, chaque personnage trouve ici son double chorégraphique, présent simultanément à chacune de ses apparitions. Ainsi, nous assistons à une double action, dont l'écueil de la simple mise en miroir illustrative est évité grâce à l'inventivité chorégraphique de Wayne McGregor. Un des meilleurs exemples se trouve dans l'air de Polyphème au début de l'Acte II où celui-ci, statique, se trouve face à son "double" très démonstratif sur le plan corporel. Généralement, la musique de Handel possède une telle expressivité que chaque intervention dansée ne pose réellement pas de problème en ce qui concerne l'évolution des artistes.
Avec leur académique clair pour les personnages "positifs" et naturellement sombre pour le géant, les évolutions des danseurs, en solo, en couple ou formant des ensembles, apportent une dynamique et une double lecture à une intrigue peu théâtrale qui faisait pourtant l'objet de représentations du temps de Handel.
Le vocabulaire de Wayne McGregor se montre d'une grande fluidité malgré ses ruptures et les constants changements d'orientation appliqués au corps des danseurs. Les mouvements de bras sont privilégiés et de superbes levers de jambes et arabesques ponctuent une expression somme toute assez classique débarrassée de son côté académique, qui s'appuie parfaitement sur l'articulation des mots. Les danseurs du Royal Ballet ne rencontrent aucun souci avec ce style qu'ils connaissent bien car intégré à leur répertoire. Lauren Cuthbertson et Edward Watson, "Principals" de la compagnie, sont superbes et leur danse parfaite s'accorde on ne peut mieux avec les chanteurs dont ils interprètent les doubles en mouvement.
Aucune machinerie, aucun décor grandiloquent ne vient perturber l'ensemble des prestations. Plutôt dénudé, le plateau accueille une ruine, quelques rochers et branches d'arbres secs. Un fond peint représentant un paysage à l'ancienne, très chargé, évolue vers une simplicité bienvenue. Toutefois, les quelques animaux – moutons et loup – ne nous semblent pas obligatoires et un peu trop évidents, voire surfaits, dans cette géographie qui tend à l'essentiel. Une tache circulaire, à l'Acte II, symbolise parfaitement l’œil unique du cyclope, représentation d'un soleil noir en accord avec l'obscurité du personnage. Les lumières accompagnent avec logique le passage du clair au sombre, pour virer au bleu soutenu, symbole aquatique d'un Acis devenu fleuve.
Vocalement, cet Acis et Galatée ne présente aucune mauvaise surprise.
L'Acis de Charles Workman illustre bien vocalement le berger positivement amoureux. La voix est fraîche, ouverte, sans force ni tension. Galatée, son alter ego féminin, accapare l'attention par la présence scénique attrayante de la soprano Danielle de Niese. On aura beau jeu de critiquer son chant qui demanderait sûrement plus de maturité, mais il n'empêche que sa Galatée reste constamment en phase avec le rôle. Simple, belle, sans chichis ni manières, la conduite vocale est souple, sans vibrato et légère. Les tenues de sons ne présentent aucune difficulté et la diction anglaise est parfaite. Paul Agnew (Damon) se voit confié l'air le plus long de l'opéra (n°21 de la partition). Doué d'un registre de haute-contre, il chante ici en ténor, comme dans le Platée édité en DVD Arthaus Musik. Mais dans la musique de Handel assez découpée, il ne parvient pas à trouver le fil conducteur et la ligne de chant devient hachée et décousue. Très difficile à unifier, cet air lui échappe en partie. La couleur de la voix est de plus un peu terne, confrontée au timbre de Charles Workman dans la même tessiture.
Enfin, le méchant cyclope est brillamment incarné par Matthew Rose, merveilleuse basse, que nous avons déjà eu l'occasion d'apprécier dans Billy Budd et The Rake's Progress, La Création de Haydn et Le Messie. Torse nu tout au long de l’œuvre, il se montre visiblement à l'aise dans un rôle pourtant volontairement malmené physiquement par le metteur en scène.
Dans un final qui va au bout de l'idée initiale, Wayne McGregor chorégraphie un pas de deux entre Danielle de Niese et Edward Watson, l'esprit danseur d'Acis, réunissant ainsi l'incarnation de la nymphe par le chant et l'allégorie muette du berger, son amant, dans une belle synthèse conceptuelle.
On mettra en bonne place sur son étagère cet Acis et Galatée handélien, tant pour l'intelligence de la scénarisation, la qualité du chant des solistes et des chœurs – qui participent eux aussi à l'action – que pour l'excellente prestation orchestrale de Christopher Hogwood, inscrite dans une conduite "soft" de l'interprétation baroque. Une très belle production…
Lire le test du DVD Acis et Galatée avec Danielle de Niese
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Nicolas Mesnier-Nature