Ne confondons pas : nous parlons bien de la version mozartienne de La Finta Giardiniera ! Un an avant que la cour de Munich ne commande au divin Amadeus sa version de cet opera buffa, le compositeur italien Pasquale Anfossi - avec qui Mozart allait collaborer dans le futur - avait déjà commis un opéra sur ce livret, à Rome, non sans un certain succès. Au jeune Salzbourgeois, alors, de faire ses preuves…
D'aucuns trouveront sans peine les maladresses d'un jeune compositeur s'essayant à un art exigeant demandant une véritable maîtrise de la grande forme (narration décousue, déséquilibre entre les actes, thèmes musicaux pas toujours très inspirés, etc.), mais les germes du génie sont bien là, ne serait-ce que dans l'urgence et le sens du drame qui sourd de cette musique pas si anodine qu'on pourrait le croire.D'où, précisément, le choix judicieux de Nikolaus Harnoncourt pour prendre les commandes de cette production. Le chef autrichien, précurseur du mouvement baroque, ne s'est jamais contenté de ressusciter des pratiques historiques. Son ambition est ailleurs. Il veut faire en sorte que l'œuvre "parle" et il lui donne les moyens de se faire entendre. Cela passe notamment par l'orchestre. Certes, La Scintilla n'est pas le Concentus Musicus (l'ensemble qu'il a fondé en 1953) et n'a pas son sens acerbe du texte. Mais Harnoncourt est un habitué de Zürich et il a su malgré tout imprimer sa marque, soulignant chaque accident de la partition, accentuant chaque contraste, sans brutalité pour autant.
Pour l'accompagner dans cette aventure, le chef bénéficie d'un plateau ad hoc, nettement dominé par Eva Mei dans le rôle de la Marquise Violante Onesti. Tout en pudeur, elle apporte à son rôle son timbre lumineux et cristallin, avec une aisance et un naturel tout classiques. Elle incarne ainsi à merveille cette aristocrate que son amant, Belfiore, a tenté d'assassiner par jalousie et qui, pour le retrouver, se fait passer pour une jardinière au service du Podestat… Dont la nièce va épouser Belfiore, croyant Violante morte.
Face à elle, Rudolph Schasching campe un Podestat gourmand, dont les talents de comédien font aisément oublier les quelques approximations de ses aigus.
Mention spéciale, également pour la Serpetta de Julia Kleiter, au timbre délicieusement piquant et malicieux, à l'image de son rôle de soubrette clairvoyante.
Seule ombre au tableau, la mise en scène. Il est vrai que, lorsque Nikolaus Harnoncourt dirige, il faut faire le poids sur le plan scénique tant son interprétation est éloquente et se dispenserait presque du sens de la vue. Or, ici, les mouvements sont basiques et convenus. Le seul trait d'originalité s'avère en fait un contresens.
Comme le précise lui-même le metteur en scène Tobias Moretti dans le livret : "dans La Finta, la hiérarchie sert de support à l'action des personnages". Pourquoi, dans ces conditions, transposer l'action au début du XXe siècle ? Cette fameuse hiérarchie, pour existante, tend à se gommer, et cela se voit notamment à travers les costumes, pour lesquels les différences sociales sont moins nettes qu'au XVIIIe siècle. Certes, la comédie des faux-semblants est un trait commun à chaque époque de la modernité, mais pour autant, ce choix scénographique fait cruellement perdre de son acuité à ce qui fait l'essence-même de ce genre d'opéra.
On se consolera donc - très facilement - avec l'implication sans faille de tous ces musiciens qui nous offrent, au-delà de ces quelques réserves, une version tout à fait séduisante d'un opéra moins connu qui mérite absolument le détour.
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Jérémie Noyer