De fait, la deuxième Valse tirée de la Suite pour orchestre de jazz No. 2 de Dmitri Shostakovich est devenue grâce à une publicité, un des plus grands tubes de musique classique. C'est d'ailleurs le même Riccardo Chailly qui l'avait enregistrée en intégralité pour le label Decca bien avant qu'elle ne bénéficie du statut auquel elle a accédé en France grâce à une certaine compagnie d'assurances. Mais cette renommée est-elle entièrement justifiée au regard du reste de la production du compositeur ? De fait, c'est l'arbre qui cache la forêt, et la Valse est un peu comme si l'on résumait Beethoven à la Lettre à Elise, Ravel au Boléro, ou Wagner à La Chevauchée des Walkyries… Ceci étant, la musique en est très bien écrite et même, faussement facile. Pas sûr qu'un orchestre de seconde zone puisse rentrer aisément dans cet univers. Mais, a contrario, le Philharmonique de Berlin se montre presque trop professionnel et important pour capter la légèreté et toutes les voix des huit parties. Chacun pourra comparer avec ce que Riccardo Chailly en tirait au début des années 1990 avec le Concertgebouw.
L'autre suite, celle de Lady Macbeth de Mtsesnsk, est d'une tout autre portée : Interlude de l'Acte III de l'opéra éponyme, sa fulgurance porte en elle la violence extrême du sujet. Et l'approche de Chailly, cette fois, est excellente, à la tête d'un orchestre qui manifeste toute la virtuosité jubilatoire voulue.
La Suite de ballet reconstituée d'après le matériel composé pour le film de Federico Fellini La Strada sera pour beaucoup une découverte. On y appréciera le génie mélodique de Nino Rota et son art de l'orchestration. Après cette belle démonstration, d'aucuns seront peut-être tentés d'investiguer le reste de sa production classique, musique qui révélera d'heureuses surprises aux plus curieux. On ne se permettra toutefois une remarque : les 25 minutes de cette Suite de ballet sont un tantinet longues pour un concert populaire.
La remarque pourra s'appliquer de même aux deux suites orchestrales de Respighi. Les presque silencieuses minutes de chatoiement des Fontaines de Rome, comme les contemplatives mesures stagnantes des Pins près des catacombes se perdent dans l'immensité de la Waldbühne. En revanche, tous les moments brillants à l'orchestration ruisselante, et par moments écrasante, de ces deux suites font merveille, et la machine de guerre qu'est l'orchestre de Berlin trouve à exprimer son plein potentiel expressif dans le finale des Pins de Rome illustrant l'arrivée des armées romaines. Pour une version de référence discographique, on pourra par ailleurs se tourner vers l'indétrônable direction de Fritz Reiner ou, pour les amateurs de vieilles cires, l'historique Toscanini… On retrouvera le même traitement dans la Danse guerrière tirée de Belkis, Reine de Saba, où le panache du Berliner Philharmoniker fait merveille.
Riccardo Chailly, toujours très à l'aise face aux partitions immenses, sert globalement de belle manière ce programme qui se terminera en beauté par le traditionnel Berliner luft de Lincke, accompagné par les sifflets enthousiastes de la foule. La joie du chef dirigeant des milliers de spectateurs aux moments stratégiques est nettement visible sur son visage et se révèle convaincante. Alors, ne boudons pas notre plaisir…
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Nicolas Mesnier-Nature