Contemporain de Berlioz, Meyerbeer et Rossini, Boito n’est certes pas le plus connu des compositeurs italiens. Peut-être parce qu’il n’est représentatif ni d’un métier ni d’un style. L'histoire rechigne à garder en mémoire les inclassables. Pourtant, c’est ce qui fait tout l'intérêt de ce personnage éclectique et éclairé.
Arrigo Boito, il est vrai, n’a composé qu’un seul opéra, mais force est de constater qu’il en maîtrise tous les rouages, de la composition au livret. Livret tellement élitiste au départ qu’il connaîtra plusieurs révisions, de 1868 à 1881. Du reste, la culture littéraire principalement shakespearienne et germanique de Boito fera davantage de lui un poète et un librettiste qu'un compositeur. Devenu inspecteur général des conservatoires italiens, il embrassera finalement une carrière politique en devenant sénateur.
Musicalement, il n’appartient pas à la sphère alors dominante du bel canto. Peut-être inspiré par son expérience française, il fait fi des caprices des interprètes pour mieux se concentrer sur la profondeur et le drame du livret.
De fait, la création de son Mefistofele fut un fiasco en raison de l’incompréhension de cette œuvre à mille lieues des habitudes musicales de l’époque. Le livret sera nettement modifié, mais l’essence du drame demeurera. Il en résultera un opéra inégal, parfois bavard, mais avec de superbes passages et un beau sens de l’orchestre qui n’a pas échappé au Maestro Luisotti dans la présente captation. Les différents timbres y sonnent de manière aérée et expressive, avec une jolie fluidité qui prévient toute lourdeur dans les magnifiques chœurs qui ponctuent l’œuvre.
À la puissance expressive de l’orchestre répond la puissance d’évocation de la mise en scène de Robert Carsen, aussi intimiste dans les épisodes terrestres que foisonnante dans les scènes infernales, ou encore extatique dans les passages religieux. C’est d’ailleurs l’apparition progressive de ce chœur céleste sur plusieurs étages d’un théâtre divin que l’on retiendra. Une image forte, particulièrement riche de références picturales et architecturales comme le metteur en scène, en véritable visionnaire, sait en créer. Au fil des années et des productions, son esthétique s'allégera pour parvenir parfois à l'épure (Elektra). Mais nous sommes en 2006 lorsqu'il commence à travailler sur ce Mefistofele…
Du côté des chanteurs, si l’on aurait rêvé un Mefistofele davantage présent vocalement, ou un Faust moins dans la démonstration et plus dans le ressenti, les interprètes ne déméritent pas. Ramon Vargas sait nous régaler de son timbre brillant, d’un duo d’amour palpitant, et d’une agonie poignante. Le diable d’Ildar Abdrazakov est quant à lui magnifiquement incarné. Théâtral à souhait, il sait se faire plaisir dans son rôle complexe, très proche de celui de Goethe. Malgré une projection juste satisfaisante, son interprétation n’en demeure pas moins spectaculaire, solide et riche. Enfin, la Margherita de Patricia Racette brille par sa sincérité touchante, véritablement désarmante, et l’élégance de son timbre.
En bref, ce Mefistofele est servi par un plateau homogène et d’excellente tenue qui tient sans problème la comparaison avec la célèbre captation de 1989 qui bénéficiait d’autres atouts, à commencer par un Samuel Ramey dans le rôle-titre au mieux de sa forme.
À noter : Le DVD 1 contient le Prologue et les Actes I, II et II (105’24) ; le DVD 2 contient les Actes IV et L'Épilogue (39’46).
Lire le test du Blu-ray Mefistofele à l'Opéra de San Francisco avec Ildar Abdrazakov
Jean-Claude Lanot