Le Messie mis en scène par Claus Gut à Vienne, sous la direction de Jean-Christophe Spinosi, avait souligné, s’il en était besoin, toute la dimension opératique de l’oratorio handélien. Sans compter les multiples mises en espace montées lors des différents festivals d’Aix-en-Provence.
Il est vrai que le compositeur voyait cette forme spécifique comme un véritable "théâtre de l’esprit". De plus, à l’inverse de l’opéra, l’oratorio n’imposait pas de forme préétablie comme l’aria da capo, qui alourdissait tout développement dramatique. D’où le recours pour Handel à cette forme plus libre, et finalement plus théâtrale, pour s’exprimer.
Un autre musicien, libre lui aussi, est René Jacobs. L’ancien contre-ténor devenu chef d’orchestre a revisité en un temps record l’ensemble des répertoires européens allant de Monteverdi à Mozart, avec une nette prédilection pour l’opéra napolitain. De ce goût très italianisant, il a construit une approche personnelle, riche, colorée voire opulente du continuo qui ne se contente pas d’un clavecin et d’un violoncelle, mais utilise toutes les possibilités de cette forme non formatée : clavecin, orgue, archiluth, violoncelle, théorbe et guitare baroque.
Autant de couleurs, de timbres et de textures pour une palette tout sauf gratuite dans laquelle ce continuo protéiforme se métamorphose à l’envi pour accompagner, souligner et magnifier chaque nuance du livret de Charles Jennens pour ce Belshazzar. On doit du reste à la même plume le livret du Messie !
Malgré une prise de son plutôt cotonneuse, l’Akademie für Alte Musik se révèle incisive à souhait et d’une virtuosité sans borne dans une partition pourtant redoutable. Les couleurs se fondent les unes dans les autres - trompettes et cordes - avec une infinie souplesse. Une lecture orchestrale très italienne, donc, et par conséquent très cohérente avec la personnalité du compositeur qui a passé 3 années à voyager à travers l’Italie pour se perfectionner dans son art.
Vocalement, on ne s’étonnera pas de la performance superlative de Bejun Mehta qui réussit le tour de force de nous faire oublier le ridicule de ses atours pour nous ravir les oreilles de son timbre cristallin allié à une projection impeccable, faisant fi de l’acoustique ingrate du Grand Théâtre de Provence pour nous dépeindre un Cyrus enflammé aux vocalises ahurissantes.
De même, on n’imaginerait pas meilleur choix pour Nictoris, Daniel et Gobrias que Rosemary Joshua, Kristina Hammarström et Neal Davies. La première connaît bien ce rôle pour l’avoir interprété plusieurs fois, mais jamais dans un cadre aussi harmonieux. De fait, son interprétation est aussi remarquable techniquement que bouleversante, démontrant une affinité saisissante avec le vocabulaire handelien. La deuxième apporte un peu de tendresse dans ce monde de brutes et nous campe un Daniel présent mais sensible. Le troisième nous offre quant à lui un timbre rayonnant, précis et implacable.
En outre, le RIAS Kammerchor est un acteur à part entière du drame et répond au quart de tour à la virtuosité du chef sans jamais raidir la ligne mais, au contraire, en la gardant toujours souple et solaire, claire et parfaitement intelligible dans son contrepoint. Ceci dit, les solistes qui se détachent du chœur n’ont pas forcément une assise vocale idéale et pèchent un peu par la légèreté de leur prestation. Justes, ils manquent en stabilité, ce qui occasionne une relative perte d’énergie lors de leurs interventions.
Mais le plus regrettable est bien le choix de Kenneth Travers dans le rôle-titre. Certes, il se distingue de par sa performance d’acteur, hypnotisée et hypnotisante à la fois, dans des contorsions quasi chorégraphiques qui font de sa gestique une véritable performance en soi. Seulement, vocalement, cela ne suit pas. Rarement en rythme, souvent décalé avec l’orchestre, son timbre s’avère fluet face au continuo, sans réelle projection ni assise. Les vocalises sont à l’évidence travaillées mais tous les passages avec textes restent approximatifs, dénués de présence, de contenance et de charisme. Au final, on ne retient que ses mouvements et non ses airs.De liberté, enfin, il est question dans cette mise en scène minimaliste à la direction artistique peu convaincante, voire ridicule en ce qui concerne les costumes. Mais elle pose en fait la question de son essence. Si l’on veut mettre en scène un oratorio qui, par définition, mise sur l’implicite sur le plan scénographique, pourquoi rester dans le vague devant un mur nu et froid à force de gesticulations stériles et abstraites ?
À ce compte-là, un fond de scène ou une nef d’église auraient aussi bien fait l’affaire. Quelques gestes - dont certains vulgaires - illustrent explicitement le texte du livret, mais cela est bien épisodique et participe de l’incohérence de la démarche.
Le metteur en scène Claus Guth avait trouvé un angle nouveau, une actualité, un enrichissement au Messie. De cette version, on ressort sans véritable découverte ou relecture, le champ du possible restant désespérément ouvert à son maximum, sans qu’un réel point de vue ne soit explicité.
En outre, le montage propose des plans dévoilant occasionnellement l'hésitation ou l'instabilité des caméras. Dommage !
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Jean-Claude Lanot