La Symphonie No. 8 de Chostakovitch dirigée la veille de ce concert par le jeune et médiatique chef Andris Nelsons à la tête du même Royal Concertgebouw, également disponible en Blu-ray et DVD chez C Major, avait modéré notre enthousiasme, non en raison du chef, mais de l'orchestre laissant l'impression de "faire de la résistance" aux intentions pourtant engagées de son directeur… Mais il semble que, le 5 septembre 2011 à Lucerne, soit le lendemain, la communication entre les deux parties fonctionne à bien meilleur régime. La direction non conventionnelle d'Andris Nelsons lui permet en effet d'obtenir de ce fabuleux organe interprétatif qu'est l'orchestre néerlandais toute la dynamique, les nuances, les phrasés qu'il a imaginés et qu'il peut appliquer cette fois sans retenue. Le plaisir de jouer ensemble dans de très bonnes conditions se perçoit dès la première pièce du concert, l'Ouverture des Ruines d'Athènes de Beethoven. Les derniers accords claquent et l'enthousiasme généré s'entend par le biais de murmures d'approbation émis par un public ravi. Mais ceci n'est qu'un prélude à l'exécution du Concerto pour piano No. 5 du même compositeur.Le relativement peu connu pianiste d'origine ouzbèke Yefim Bronfman avait déjà enregistré pour le label discographique Arte Nova Classics l'intégralité des concertos de Beethoven avec David Zinman. La réussite était alors exemplaire : le Tonhalle Orchestra de Zürich s'investissait dans un style "à l'ancienne" rapide, dynamique, nerveux et fouillant les moindres recoins de la partition. Bronfman suivait la même voie interprétative au service de la clarté et de la limpidité, avec une nette tendance au staccato subtil et un équilibre des deux mains bénéfique pour les contre-chants de cette musique. Évidemment, le Royal Concertgebouw n'est pas la Tonhalle de Zürich. Sa couleur est très différente. Et Andris Nelsons n'est pas David Zinman. C'est sans doute la raison pour laquelle le pianiste adapte ici son jeu pour le rendre beaucoup plus en adéquation avec la formation qui l'accompagne. Yefim Bronfman va au fond du clavier, perle ses traits. S'il se montre toujours extrêmement concentré et ne présente que très peu d'expression physique, tout semble passer par les doigts, avec une souplesse qui n'élude aucunement l'impression de verticalité du son, pour un rendu sonore global d'une rare homogénéité.
Andris Nelsons évite de son côté les grands effets de masse qui peuvent vite se trouver écrasants et obligent le soliste à forcer constamment le trait. L'équilibre sonore entre les deux parties est judicieusement réglé de façon à ce que jamais nous ayons l'impression d'un conflit à la manière des grands concertos romantiques, conflit d'ailleurs bien souvent superficiel et souvent entendu dans ce concerto de Beethoven, précisément. La sagesse des tempi conditionne la profondeur de la vision, laquelle cherche toujours à être en phase avec la tonalité majeure de l’œuvre, rendue ouverte et lumineuse à souhait. Les parties solistes peu audibles dans l'orchestre sont admirablement mises en avant.
Écoutez par exemple le violoncelle ou les timbales aux petites baguettes !
L'échange intelligent créé entre Nelsons et Bronfman va se retrouver ensuite au sein même de l'orchestre grâce aux formidables solistes du Concertgebouw, et ils dévoileront tout leur art dans la Schéhérazade de Rimski-Korsakov. Voilà une partition extrêmement délicate à interpréter et à la hauteur de leurs ambitions artistiques. L'orchestre tout entier saisit les élans d'une phrase, suit les gestes impétueux de dynamique, porte une nuance au bon vouloir de son chef, lequel sourit, le visage radieux. Cette Schéhérazade est fougueuse et lyrique, ni trop russe ni trop orientale, mais toute de couleurs rutilantes du meilleur goût. La longueur des tempi adoptés – surtout dans la dernière partie – et l'absence d'ennui qui se dégage de cette interprétation témoignent d'une recherche de musicalité davantage que d'une mise en avant de superficialité virtuose orchestrale. Nous n'hésiterons pas à renvoyer nos lecteurs à ce qui est sans doute la référence CD absolue de cette suite symphonique, celle de Fritz Reiner avec l'Orchestre de Chicago, primitivement captée par RCA. La différence d'approche permettra de mesurer combien l'on peut être aussi convaincant dans une interprétation que dans l'autre.Ce programme réjouissant est complété avec l'Étude en fa majeur de Chopin par Yefim Bronfman, et la Danse slave en la bémol majeur de Dvořák par l'orchestre.
Andris Nelsons, et c'est ce qui le distingue d'un chef ordinaire, ne donne jamais l'impression d'une direction stéréotypée où tout est prévu à l'avance. C'est ce qui fait tout son intérêt, et sans doute aussi ce qui amène les membres de l'orchestre à être simplement avec lui et à réagir spontanément à des intentions interprétatives dégagées de toute routine. Contrairement au concert évoqué plus haut, Andris Nelsons trouve ce soir-là une parfaite réceptivité de l'orchestre, gage du grand succès manifesté avec énergie par le public.
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Nicolas Mesnier-Nature