La première question qui vient à l’esprit est la justification de cette deuxième réédition. En effet, cette captation de concert est tout d'abord parue fin 2001 chez TDK, avant d’être reprise en 2005 par le label Arthaus Musik, et aujourd'hui chez EuroArts, en Blu-ray et en DVD. L’explication tient sans doute à une volonté de synergie avec la parution toute récente du vaste portrait du Kantor écrit par Sir John Eliot Gardiner, Musique au château du ciel, ouvrage édité en France par Flammarion.
Que ce soit au livre ou à la baguette, il est un fait que John Eliot Gardiner aime son Bach. Il connaît bien, entre autres, la culture et l’histoire germaniques et se sent tout à fait à son aise dans cet univers. Que ce soit dans les documentaires proposés ici pour accompagner l'Oratorio de Noël ou en concert, la joie de toucher du doigt un génie aussi exceptionnel se ressent à chaque instant par-delà l’élégante retenue toute britannique du chef.
De fait, son interprétation de l’une des musiques les plus enjouées de Bach rayonne littéralement dans ce lieu historique qu’est l’église Saint Pierre et Saint Paul de Weimar, que Bach a fréquenté le temps de baptême de certains de ses enfants. Les trompettes (notamment la première) virevoltent et scintillent, les archets dansent sur les violons, le hautbois de Marcel Ponseele décrit les volutes les plus suaves, doublées par des flûtes célestes. On le sait, l’ensemble chœur/soliste façonné depuis des années par Gardiner compte parmi les meilleures phalanges du monde, et cela est une fois de plus évident dès les premières notes.
On jubile, il est vrai. Mais ce n’est pas pour autant que cet Oratorio de Noël est exempt de défauts. À commencer par les solistes vocaux. Si Bernarda Fink est une nouvelle fois parfaite tant dans l’émotion que la technique, aux côtés d’un Dietrich Henschel olympien, même dans les passages virtuoses (air avec trompette obligée de la Cantate I), on ne peut en dire autant de la soprano Claron McFadden, au timbre séduisant mais à l’articulation imprécise, notamment dans les ornements. Mais surtout, c’est le ténor Christoph Genz qui déçoit. Il s’était pourtant fait joliment remarquer dans les cantates dirigées par Sigiswald Kuijken. De fait, sa virtuosité dans les arias est exemplaire, mais ses aigus restent bas et, surtout, il demeure terriblement en retrait dans les récitatifs. Excellent chanteur, il fait un piètre évangéliste qui "récite" scolairement l’Écriture sans véritablement s’impliquer dramatiquement. Il faut dire qu’il n’est pas vraiment aidé par le continuo, irréprochable techniquement, mais qui n’a rien à transmettre non plus. Presque raide, oserons-nous dire. D’une mécanique parfaite, mais qui n’est en rien une mécanique du cœur. Idoine pour Handel, cette basse continue déshumanise Bach, en particulier dans les tuttis, les privant d’une véritable respiration, et c’est fort dommage. Comme le disait récemment Gardiner sur l'antenne de France Musique, il y a dans le dernier portrait de Bach l’intellect, qui se lit sur la partie haute du visage, mais aussi l’humanité et le bon vivant, que l’on retrouve sur la partie basse. Or ici, cette rencontre entre les "deux" Bach ne s’accomplit pas, comme s’il y avait impossibilité pour la divinité de s’incarner véritablement. Un comble pour un programme de Noël !
Cela n’occulte bien sûr en rien les qualités que nous avons relevées plus haut, mais les amoindrit. À notre grand regret, car l’entreprise revêtait le plus grand intérêt.
Lire le test du DVD Oratorio de Noël dirigé par John Eliot Gardiner
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Jean-Claude Lanot