On parle de plus en plus de lui, et à juste titre. Mais Andris Nelsons demeure modeste et se dissimule régulièrement derrière les chefs-d’œuvre dont il se veut l’admirateur avant d’en être le serviteur. Pourtant, un talent de ce niveau ne pouvait rester dans l’ombre bien longtemps. Après s’être fait un nom en concert avec les plus grandes phalanges - Vienne, Berlin, Amsterdam et Birmingham -, Andris Nelsons attire depuis quelques années l’attention des producteurs de disques, de retransmissions télévisuelles et de programmes vidéo.
Témoin ces Blu-ray et DVD entièrement consacrés à Richard Strauss, compilation de concerts réalisés entre 2013 et 2014 au Concertgebouw d’Amsterdam, avec un orchestre que le chef connaît bien, qu'il aime et qui le lui rend bien.
Si nous considérons les vidéos d’Andris Nelsons actuellement disponibles, on constate que les labels publient essentiellement des enregistrements du chef dans le symphonique : Richard Strauss, Dvorak, Chopin, Beethoven, Shostakovich… Or il ne faut pas oublier que sa première passion est l’opéra, et ce à plus d’un titre. Du reste, son épouse n'est autre que Kristine Opolais, soprano de renommée internationale qu’il a rencontrée lors d’un concert dans leur Lettonie natale… Cette passion pour le chant, initiée en assistant à 5 ans à un Tannhäuser qui, selon ses propres dires, l’a marqué définitivement, se retrouve également dans son expérience sur le terrain. Il fut en effet directeur musical de l’Opéra National de Lettonie de 2003 à 2007, et surtout, Andris Nelsons a été le plus jeune chef à diriger un opéra à Bayreuth. Il s’agissait de Lohengrin.
Toutefois, et bien heureusement, le catalogue propose quelques opéras dirigés par le chef letton, dont une Bohème à Covent Garden et une Turandot au Met. Sans oublier un très recommandable War Requiem enregistré à la cathédrale de Coventry…
Cette passion pour la voix se ressent tout naturellement dans sa direction d'orchestre, claire, limpide, lumineuse, profondément chantante, laquelle convient parfaitement à ces œuvres quasi-opératiques que sont les poèmes symphoniques, et à l’écriture très figurative de Richard Strauss dans les trois pièces qui nous intéressent ici. Andris Nelsons a suivi une formation initiale de trompettiste, et cela doit aussi compter dans la façon dont il aborde ce répertoire.
C’est ainsi que les pages de Richard Strauss rassemblées par le label C Major, redoutables notamment par leur orchestration, prennent ici une nouvelle dimension. Spectaculaires, elles le sont notamment par le relief accordé aux pupitres de cuivres, aussi précis dans la ligne que riches dans le timbre prodigué par un équilibre parfait de l’harmonie.
On retrouve cette même richesse dans la pâte orchestrale. Élève en orchestration d'un autre grand Letton, Mariss Jansons, Andris Nelsons sait le rôle de chaque pupitre, de chaque instrument, et confère aux vents, grande spécialité du Concertgebouw, une place de choix, que ce soit en tant que récitants ou en tant qu’adjuvant. Toutefois, il ne les réduit jamais à un rôle d’apport harmonique, même dans les moments les plus apparemment simples, mais leur confie plutôt une vraie place. De fait, cette reconnaissance et ce respect de chaque musicien, qui procède d’un respect de la musique avant tout, a fait mouche auprès des interprètes les plus méfiants, à commencer par quelques phalanges hexagonales qu’il a su domestiquer, et surtout séduire, par ce biais.
Sous sa baguette, tout semble facile, naturel, accessible. Sa gestique n’a rien de méthodique. Elle est expressive, spontanée, mais en même temps profondément sensée. Andris Nelsons comprend la musique, lui qui s’est intéressé très tôt à la musique baroque et à sa grammaire. Il allie ainsi un instinct naturel très sûr à une connaissance profonde de la dynamique interne et de la discursivité de la musique. Cela se ressent notamment dans les différents mouvements d’Ainsi parlait Zarathoustra. Passé un Lever du soleil à l’énergie majestueuse parfaitement canalisée, les autres mouvements qui souvent posent problème en raison de la dimension littéraire et philosophique que sous-tend leur titre, et en raison du flou authentiquement artistique qui résulte de l’interprétation musicale qu’en a donné le compositeur, acquièrent ici une véritable éloquence. On trouve dans cette interprétation une intelligence qui allie l’émotion palpable née de la propre émotion du chef à une capacité de ce même chef à absorber la musique pour mieux la laisser le transcender. Il l’exprime alors de manière toute personnelle, parfois surprenante, mais guidé par une sincérité qui transparaît dans chaque phrase.
Voici un témoignage indispensable et bouleversant d’un immense musicien pétri par l’amour de la musique et son partage.
Lire le test du Blu-ray Andris Nelsons dirige le Royal Concertgebouw dans Richard Strauss
Retrouvez la biographie de Richard Strauss sur le site de notre partenaire Symphozik.info
Jean-Claude Lanot