Cette production d'André Chénier au Festival de Bregenz a en effet le mérite de nous faire poser de bonnes questions relativement au rapport entretenu entre une mise en scène et la musique. Idéalement, l'opéra devrait être le lieu où les deux fusionnent afin de proposer un spectacle total. L'harmonie qui doit s'établir permet au spectateur d'être comblé avec un art visuel au service d'un art auditif, et vice-versa, l'un ne devant pas empiéter sur l'autre au risque de tout déséquilibrer.
Miser sur des chanteurs laissés à eux-mêmes sur une scène vide se révèle souvent laborieux, à moins qu'il n'existe une très forte justification au dépouillement. Un décor encombrant risque quant à lui d'accaparer une bonne partie de l'attention auditive du mélomane qui risque de passer beaucoup plus de temps à regarder qu'il ne le passe à écouter. Une scène de théâtre doit apporter davantage que ce que l'on trouverait chez soi, assis confortablement dans son fauteuil, pour écouter un disque, sans rien à voir.
Penchons-nous tout d'abord sur l'essentiel de la distribution vocale de cet opéra vériste au sujet révolutionnaire… Beaucoup de monde chante dans André Chénier, et l'on s'y perd un peu parmi les rôles aux répliques rapides, le rythme soutenu et les changements de costumes.
D'abord, le Chénier d'Héctor Sandoval, ténor à la voix portante, se montre parfait dans son incarnation. Il y croit et nous aussi, tant son énergie et sa volonté se placent en phase avec le personnage. Scott Hendricks (Charles Gérard) déjà remarqué en DVD et Blu-ray avec Le Roi Roger de Szymanowski enregistré également à Bregenz et Death in Venice de Britten, se meut avec agilité dans ce rôle de transformation, et passe avec naturel du valet au meneur révolutionnaire. Acteur-chanteur en puissance, il outrepasse la simple prestation scénique pour vivre pleinement son personnage.
Côté féminin, Norma Fantini possède une belle forme vocale, et sa Madeleine de Coigny, jeune femme noble malmenée par la Révolution française est assez touchante. Rosalind Plowright, dans le double rôle de La Comtesse de Coigny et Madelon, possède malheureusement un vibrato assez présent qui dessert sa prestation. Le reste de la distribution se montre tout à fait correct, tout comme les chœurs praguois. Le chef Ulf Schirmer possède un orchestre sans défauts et a beaucoup de mérite pour diriger dans les conditions particulières de la scène sur l'eau, emblème du Festival de Bregenz.
Revenons maintenant à la mise en scène de keith Warner, laquelle justifie notre note générale… L'idée de se servir du lac de Constance comme d'une immense baignoire dans laquelle trempe un Marat gigantesque est valable en soi. La référence au tableau de David inscrit l'opéra dans un contexte fort et permanent. Les chanteurs évoluent au milieu de ce décor pharaonique comme de minuscules êtres s'agitant vainement avant la Révolution française et fébrilement pendant les événements. Les accessoires qui y sont attachés – guillotine, couteau, livre et miroir – sont reliés par un escalier qui rentre dans l’œil droit de ce gigantesque "Marat". Andrea Chénier apparaît en chantant sur son livre de poésies. Des acteurs se jettent à l'eau, d'autres prennent la fuite sur des barques. Les costumes respectent l'époque, et les coiffures sont autant de perruques extravagantes et enlaidissantes. Tous les chanteurs portent une oreillette puisque l'orchestre joue à distance et reste invisible pour eux… et pour nous. Deux écrans géants de part et d'autre de la scène sont installés, permettant de suivre en détail l'action et de voir les chanteurs.
La limite est atteinte : se trouve-t-on au cinéma ou à l'opéra ? Profite-t-on au mieux de la musique ? Comme dans bon nombre de productions qui privilégient le grand spectacle à la dimension musicale, il y a fort à parier que ce type de spectacle gagnait davantage à être vu qu'entendu. le DVD ou le Blu-ray ne rendent que partiellement une vue d'ensemble dont on ne perçoit réellement aucun détail, et impose une distanciation réductrice. L'intimité propre à un théâtre disparaît pour laisser la place à un spectacle ambigu et imposant qui laisse peu de place à la musique…
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Nicolas Mesnier-Nature