Il arrive parfois, lors d’importantes compétitions musicales, que le choix du programme se révèle un critère décisif pour le devenir du candidat. On pourrait le dire ici, tant celui des Éléments de Jean-Féry Rebel (une œuvre de 1737) par le chorégraphe/danseur Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola est pertinent, que celui des Quatre Saisons (1725) ne l’est pas.
Certes la capacité inventive, la créativité, l’audace et l’humour du chorégraphe concourent à sauver la mise et tentent d’en relever le défi. Avec de telles qualités, on peut regretter en effet, que le danseur-auteur se soit consacré aux Quatre Saisons. L’œuvre a été à maintes reprises adaptée, illustrée, mise en espace ou en formes, on en arrive presque à la rejeter. On n’échappera donc pas aux feuilles d’automne ni à la neige d’hiver, pourtant traitées je le répète, avec audace, créativité et humour.
L’approche de son travail sur les Éléments de Rebel est par contre de facture éminemment classique ; il faudra passer la barrière de voir évoluer ce magnifique danseur sur le même plateau que les musiciens qui l’accompagnent. Le décor est donc brut, rude, cru, et le travail du danseur également. Mais le choix musical bénéficiera à l’œuvre de Rebel, bien peu connue et dont on ne semble retenir que l’accord initial (le chaos).
Alors le grand vainqueur du programme demeure le superbe ensemble instrumental - Akademie für Alte Musik, Berlin - pour la perfection moelleuse de son style, l’unanimité de sa discipline musicale, ou plus simplement, le bonheur constant de ses interprétations. Car la forme ne fait pas le fond pour ce qui relève de la chorégraphie : l’auteur, en est aussi le magnifique interprète (dans le geste et dans l’intention) mais on peut souffrir de la présence ex abrupto d’un danseur dans les rangs des musiciens autant que dans l’aptitude de ces derniers à bouger, à se mouvoir en jouant, figés dans leur expression, face au danseur.
Il s’agit bien d’un concert chorégraphique, une idée originale où chacun excelle dans sa discipline, mais deux personnages réunis ne forment pas nécessairement un couple. On peut demeurer perplexe sur l’acrobatie des musiciens auxquels le danseur mêle son propre jeu corporel, par exemple lorsqu’il transporte et en de périlleuses postures, la soliste dans ses cadences les plus acrobatiques. Perplexe aussi sur certaines postures parfois quasi-maniéristes, comme ces fusées de papier lancées par des membres de l’orchestre, nous rappelant celles d’un des Klavierstücke pour piano de Karlheinz Stockhausen.
Gilles Delatronchette