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Interview de Thiago Arancam, ténor

Thiago Arancam.  D.R.

 

Nous rencontrons le jeune ténor d'origine brésilienne Thiago Arancam la veille de son premier concert parisien. Dans le cadre de la programmation Les Grandes Voix, il chantera le lendemain des airs véristes et le premier opéra de Puccini, Le Villi, aux côtés de la soprano Ermonela Jaho et du baryton Angel Odena. C'est en français qu'il a répondu à nos questions. Retour sur une jeune carrière déjà émaillée de nombreux rôles…

 

Tutti-magazine : Vous êtes né au Brésil et c'est là que vous avez débuté vos études de chant. Quel enseignement avez-vous reçu ?

Thiago Arancam : Je suis originaire de la plus grande ville du Brésil, Sao Paolo. Au Brésil, aucune formation musicale n'est dispensée dans le cadre d'une éducation de base. Si l'on veut apprendre la musique, on doit se diriger vers des écoles de musique, des conservatoires. En ce qui me concerne c'est au sein d'une école catholique salésienne qui possédait un petit chœur d'enfants que tout a commencé. Je chantais dans ce chœur sans avoir reçu aucune éducation musicale. Mais cela a cependant constitué une grande chance pour moi car c'est là qu'est né mon amour pour la musique classique, et ensuite l'opéra. Après cette expérience dans le chœur, j'ai continué la musique au Conservatoire de musique qui est rattaché au Théâtre Municipal de Sao Paolo, après quoi j'ai travaillé avec un maître de chant. Disons que j'ai cherché au maximum à pouvoir progresser dans un contexte qui n'offre pas beaucoup de possibilités.

Comment est née en vous l'idée d'être chanteur ?

C'est justement dans le chœur d'enfants que l'étincelle est venue. J'ai commencé à faire quelques petits solos et on a très vite remarqué que je possédais des qualités vocales bien supérieures à celles des enfants de mon âge. Pour moi, c'était merveilleux, et c'est ainsi qu'à 7 ou 8 ans, j'ai chanté le Panis Angelicus de César Franck, l'Ave Maria de Bach-Gounod, et que l'on m'a confié quelques interventions solistes dans des pièces sacrées. C'est à cette époque que j'ai compris combien j'aimais chanter et que c'était ce que je voulais faire de ma vie. Au sein de ce chœur, après avoir chanté "Va, pensiero" de Nabucco, est née ma passion pour l'opéra !

 

Le ténor Thiago Arancam.  D.R.

En 2004, vous avez rejoint l'Académie de La Scala de Milan et c'est dans ce cadre que vous avez rencontré votre actuel professeur de chant, Vincenzo Manno…

Lorsque je suis entré à l'Académie, la grande soprano turque Leyla Gencer était la directrice. C'est elle qui m'a présenté Vincenzo Manno avec lequel je travaille depuis 2005. En fonction de nos possibilités, soit il m'accompagne dans mes déplacements pour me coacher soit, lorsque j'ai quelques jours devant moi, je le retrouve à Milan, où il vit, pour travailler avec lui… Vincenzo m'apporte énormément dans tout ce qui a trait à la technique vocale mais aussi à l'interprétation. Il comprend parfaitement la nature de ma voix et sait comment me faire travailler pour que j'en tire le maximum de possibilités. Il attache une énorme importance aux mots et à la façon de les exprimer. Il est particulièrement vigilant à ce que le sens de chaque phrase s'appuie sur une intention précise.

Vous possédez une voix de ténor lyrico-spinto. Cette spécificité exige-t-elle un travail particulier ?

C'est le répertoire que je chante qui influe sur la façon dont je travaille. C'est en me basant sur les rôles que je chante, que je travaille à améliorer l'émission, la qualité du timbre et l'interprétation. L'étude et les vocalises que je pratique sont intimement liées aux caractéristiques de mon répertoire. De la même façon d'autres ténors vont travailler l'agilité ou la rapidité qui correspond aux rôles qu'ils chantent. Ceci étant, mon répertoire comprend des rôles plus dramatiques et d'autres plus lyriques. Il est alors important de considérer tous les rôles que je vais interpréter sur une saison et d'adapter mon travail en fonction de ce qui m'attend. J'essaye autant que possible de gérer au mieux la succession des œuvres que je chante car les muscles ont besoin de repos pour passer de certains opéras à d'autres. Programmer au mieux les périodes de repos entre deux opéras est un aspect très important. Bien sûr, il faut compter avec les différents engagements…

 

Thiago Arancam dans <i>Manon Lescaut</i> à Dresde en 2013.  D.R.

Thiago Arancam chante dans <i>Norma</i> à Sanxay en 2010.  D.R.

En tant que chanteur d'opéra, vous devez également jouer sur scène. Quels rôles préférez-vous ?

J'aime beaucoup les rôles qui penchent vers un côté "animal". J'aime ce qui est passionnel et que le personnage que j'interprète suive une vraie progression au cours de l'œuvre. C'est l'évolution d'un personnage, d'une situation assez neutre à une forme de paroxysme, que je trouve intéressante. Je dois reconnaître que le répertoire que je chante me place le plus souvent face à de tels rôles et qu'ils correspondent bien à ma personnalité. Je me sens en parfaite harmonie avec les interprétations romantiques.

En 2009, vous avez débuté une collaboration avec les Soirées lyriques de Sanxay où vous avez chanté successivement, Radamès, Pollione, Don José et Pinkerton…

Je vous avoue que je ne connaissais pas ce festival mais j'ai remarqué ensuite que de nombreux chanteurs qui s'expriment aujourd'hui sur les grandes scènes lyriques du monde ont participé aux productions de Sanxay. C'est grâce à Christophe Blugeon, directeur artistique des Soirées lyriques de Sanxay, que j'ai chanté pour la première fois en France. C'est lui qui m'a donné l'opportunité de chanter mon premier Radamès. C'était en 2009 et j'avais alors 27 ans. Il m'avait remarqué dans Adrienne Lecouvreur cinq mois auparavant en Italie, et m'a proposé de débuter dans Aida… Sanxay est un lieu très particulier car il s'agit d'une scène en plein air dans un site gallo-romain. L'acoustique y est magnifique. J'ai participé déjà à quatre saisons de Sanxay avec un réel plaisir. Les productions sont belles et tous les intervenants qui gravitent autour du spectacle travaillent avec leur cœur pour que vive l'opéra. J'espère avoir encore l'occasion d'y chanter, mais un seul opéra est monté chaque année dans ce lieu et, même si je sais que je suis très apprécié, je ne veux pas non plus que les gens se lassent de voir toujours le même ténor.

L'expérience de Sanxay vous a donc déjà familiarisé avec le chant en plein air…

L'expérience du chant en plein air apporte beaucoup lorsqu'on retourne sur une scène de théâtre car elle nécessite d'être très attentif à ses propres vibrations. C'est en quelque sorte une véritable école. À Sanxay, l'acoustique est si formidable qu'un chanteur entend tous les instruments de l'orchestre, aussi bien que les autres chanteurs et lui-même.

 

Thiago Arancam et Plácido Domingo dans <i>Cyrano de Bergerac</i> à l'Opéra de San Francisco en 2010.  © Cory Weaver

Ramón Vargas dit que, lorsqu’il chante à Vérone, il s'applique à chanter le plus concentré possible pour que le son se diffuse le mieux possible. Qu'en pensez-vous ?

Mon répertoire fait que, au théâtre ou en plein air, je dois toujours chanter focalisé en raison des orchestrations particulièrement larges et puissantes des œuvres que je chante. Le répertoire vériste implique cette focalisation de la voix, et chanter en plein air encore davantage.

Vous êtes actuellement à Paris pour répéter Le Villi avec Ermonela Jaho sous la direction de Luciano Acoccella dans le cadre de la programmation des Grandes Voix. Nous nous rencontrons la veille de cet unique concert qui sera donné au Théâtre des Champs-Élysées. Comment se déroulent les répétitions ?

Magnifiquement. Nous avons travaillé des arias d'opéras qui seront données en première partie de concert avant Le Villi, le premier opéra de Puccini. Hier soir c'était la répétition générale et entre Ermonela Jaho et moi, l'alchimie fonctionne parfaitement. Nos voix se combinent très bien. Je crois que la salle n'était pas pleine mais l'acoustique était très bonne. Bien sûr, il s'agit d'une version de concert et, en raison de l'espace assez restreint dont nous disposons, il est difficile de mettre en place une vraie mise en scène.

Quelle est votre approche du rôle de Roberto dans Le Villi ?

Roberto est un jeune garçon amoureux d'Anna. Il s'éloigne d'elle pour prendre possession d'un héritage et la trompe. Lorsqu'il est abandonné par son amante, il décide de demander le pardon d'Anna. Mais elle est morte de douleur et elle est devenue un fantôme. Roberto sera entraîné vers la mort par les Villis…
L'histoire est assez simple mais se révèle un bon support dramatique et la musique apporte expression et dynamique à la narration. Dans mon interprétation de Roberto, j'essaye d'être le plus fidèle possible à cette histoire.

Le Villi est un opéra particulièrement important pour vous…

Roberto est mon premier rôle principal de ténor. C'est en 2007 que j'ai fait mes débuts de soliste dans une production mise en scène de Le Villi. Cet opéra tient une place d'autant plus à part dans mon cœur que c'est avec l'aria de Roberto que je suis devenu lauréat du concours Operalia de 2008, ce qui m'a ensuite apporté de multiples opportunités de carrière… On a tendance à considérer ce premier opéra de Puccini comme peu intéressant sur le plan musical. Pourtant, dès la première écoute, j'ai trouvé cet opéra magique. Certains mots ne sont peut-être pas idéaux pour la ligne de chant, en tout cas moins à leur place que dans l'écriture future de Puccini, mais cet opéra contient en puissance les opéras qui suivront. Il est d'ailleurs amusant de trouver dans ce premier opus des éléments qui seront utilisés dans les opéras qui feront la gloire de leur compositeur. Quoi qu'il en soit, le rôle de Roberto me permet à la fois de m'investir vocalement dans un rôle bien écrit pour la voix, mais offre aussi une matière dramatique digne d'intérêt.

 

Thiago Arancam et Oksana Volkova dans <i>Carmen</i> sur la scène du Bolchoï de Moscou en 2013.  © Damir Yusupov-Bolshoi

Thiago Arancam interprète Don José  à l'Opéra de San Francisco.  D.R.

Quel est votre rapport au chant français ?

Pour le moment, le seul opéra français que j'ai chanté sur scène est Carmen. J'ai également chanté les arias du Cid que je trouve magnifiques. Mais avec déjà environ quatre-vingts représentations, Carmen est l'opéra que j'ai le plus chanté à ce jour. J'aime beaucoup le rôle de Don José que j'interprète d'une façon très passionnelle… Parler et chanter en français sont deux choses très différentes. Je chante en français comme si je devais chanter en italien car c'est cette technique de chant que j'ai étudiée. C'est le moyen qui me permet de conserver une émission à l'avant. De plus, je ne peux pas prononcer les "r" comme dans le langage parlé. C'est un sujet que nous abordons lorsque je travaille avec Plácido Domingo. Lui-même m'a confié que pour chanter Carmen, il abordait cet opéra comme s'il était écrit en italien. Si je cherche à me rapprocher de la prononciation française de "r" et des et des "e" accentués, ma voix part vers l'arrière et je perds toutes mes possibilités d'émission. Bien sûr, j'essaye de prononcer votre langue le mieux possible, mais je l'aborde sous l'angle de la technique vocale italienne.

Votre répertoire inclut deux opéras du compositeur brésilien Antonio Carlos Gomes : Fosca et Il Guarani. Que pouvez-vous dire de ces œuvres ?

Gomes est un compositeur brésilien, certes, mais contemporain de Verdi au côté duquel il a étudié au conservatoire de Milan. Ses opéras ont été essentiellement créés en Italie. Il écrivait en italien et son style est assez voisin de celui de Verdi. Par exemple, le sujet d’Il Guarani se déroule au Brésil dans les années 1560 mais la musique est de la pure musique italienne. Je n'ai encore jamais joué ces opéras sur scène, mais j'ai un projet concernant Fosca pour l'année prochaine. Gomes est quelque peu connu dans la sphère opératique mais il est très célèbre au Brésil. Je serais très heureux si je pouvais promouvoir la musique d'un compositeur de la même origine que moi.

 

Quels rôles pensez-vous aborder dans les années qui viennent ?

Je pense tout d'abord avancer vers de nouveaux Verdi : Ernani, La Force du Destin et Don Carlo. André Chénier est également un rôle que je souhaiterais aborder dans le futur. La Gioconda aussi. Mais, avant tout, je respecte le temps nécessaire à cette progression. Je chante déjà actuellement environ quatorze grands rôles et j'ai de nombreuses années devant moi pour en aborder de nouveaux.

Quel est votre état d'esprit à la veille de votre premier concert à Paris organisé dans le cadre des Grandes Voix ?

Tout d'abord, je suis particulièrement heureux d'être ici pour ce concert et je pense pouvoir dire que ce premier rendez-vous avec Paris devrait être une étape importante. Le programme n'est pas facile car je vais commencer d'emblée par Paillasse, pour ensuite chanter "Mamma, quel vino è generoso" de Cavalleria Rusticana* en première partie, et Le Villi en seconde. La première aria est dramatique, la seconde est lyrique, puis l'Acte I de Le Villi est lyrique pour finir en voix dramatique avec l'Acte II. Je vais me concentrer pour pouvoir passer ainsi d'un style à l'autre.
* La vidéo de "Mamma, quel vino è generoso" par Thiago Arancam au côté d'Elena Zilio sous la direction de Daniel Harding est proposée à la fin de cette interview…

Quelles sont vos dates importantes à venir ?

Une autre échéance est de taille pour moi : mes débuts dans ma ville de naissance ! En mai et juin 2014, ce sera en effet la première fois que je chanterai à Sao Paolo. Ce sera Carmen. Je suis originaire de cette ville et c'est la première fois que je vais me produire au Théâtre Municipal… Je participerai ensuite au Festival de Verbier pour Il Tabarro sous la direction de Daniel Harding. J'ai également des projets en Asie, Tosca à Copenhague et Aida pour le Festival de Budapest… Mais j'espère pouvoir bientôt revenir à Paris !

 


Propos recueillis par Philippe Banel
La 19 février 2014

 

Pour en savoir plus sur Thiago Arancam :
www.thiagoarancam.com


 

 



Retrouvez la programmation
de la séries Les Grandes Voix ICI


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Thiago Arancam - Cavalleria Rusticana

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