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Interview de Julien Martineau, mandoliniste

À l'écoute du Concerto No. 2 de Raffaele Calace pour mandoline et orchestre, on est immédiatement séduit par la virtuosité et le raffinement de jeu de son interprète soliste. Julien Martineau tire de son instrument un chant souple et lié autant que précis et virtuose dénué de préciosité ou d'effets malvenus. Rencontre avec ce promoteur surdoué de la mandoline qui occupe sur la scène musicale internationale une place originale qu'il sert avec la simplicité des grands interprètes…

 

Julien Martineau.  © Kathy Sebbah

Tutti-magazine : Il y a trois jours, vous étiez à la Halle aux Grains de Toulouse pour interpréter le ""Concerto pour mandoline et orchestre No. 2"" de Raffaele Calace. Quelles sont vos impressions quelques jours après ?

Julien Martineau : Nous avons en réalité joué trois fois le Concerto de Calace. Tout d'abord, dans un cadre assez confidentiel à Moissac, puis le lendemain soir à la Halle aux Grains pour un concert organisé par l'association Aïda qui regroupe les mécènes du Capitole, et enfin le jour d'après, toujours à la Halle aux Grains. Avec ces deux concerts toulousains, nous avons totalisé quelque 3.900 spectateurs, et je réalise aujourd'hui que j'ai vécu un moment important de ma carrière. En effet, enchaîner trois fois ce concerto avec un grand orchestre français est une chose qui ne m'arrive pas encore si fréquemment ! Par ailleurs l'accueil du public a été réellement excellent. C'est une des grandes qualités du Concerto de Calace de plaire spontanément à toutes sortes de sensibilités musicales.

 

Julien Martineau enregistre l'album <i>Come una Volta</i> à Rome.  © Naïve Classique

Rinaldo Alessandrini dirigeait les musiciens de l'Orchestre national du Capitole, comme il a dirigé les instrumentistes du Concerto Italiano avec lesquels vous avez enregistré la même œuvre pour le label Naïve. Le Concerto Italiano joue sur instruments anciens, contrairement à l'Orchestre du Capitole. Quelle incidence cette différence de pâte sonore a-t-elle eue sur votre jeu ?

Hormis un effectif beaucoup plus fourni avec l'Orchestre du Capitole, la différence porte essentiellement sur la présence des hautbois et des cors. C'était la première fois que je jouais ce concerto avec la seconde orchestration de Yann Ollivo qui intègre des vents, et cela change quelque peu la nature du rapport entre la mandoline et l'orchestre. Par exemple, je dialoguais à la fois avec le violon solo de l'orchestre, et en même temps avec le hautbois, ce qui aboutissait à une spatialisation différente. Le hautbois apporte une sorte de nostalgie dans le Largo que les cordes ne peuvent induire à ce point, mais aussi une puissance à même de concurrencer mon instrument. L'équilibre est donc beaucoup plus délicat à trouver mais les couleurs sont sublimes.

Comment pouvez-vous qualifier votre rapport avec le chef-claveciniste Rinaldo Alessandrini ?

Rinaldo est un chef mondialement renommé, notamment pour ses enregistrements de musique baroque et quasi pré-baroque, ce qui lui donne quelque peu une aura de "il Professore". Lorsque je lui ai parlé du projet de disque rassemblant les Concertos de Calace, Vivaldi et Caudioso pour Naïve, il s'est montré rapidement intéressé à enregistrer avec les instrumentistes de Concerto Italiano, son orchestre. L'œuvre de Calace lui donnait l'occasion de découvrir un répertoire inhabituel pour la formation. Et l'expérience, je crois, s'est montrée extrêmement réussie. Pendant l'enregistrement à Rome, en dépit de journées bien chargées, j'avais un peu l'impression d'être en vacances. Les sessions étaient concentrées et menées de façon rigoureuse par Rinaldo et, parfois, avec certains de ses musiciens, nous nous sommes un peu conduits comme de petits galopins. Le maestro n'hésitait alors pas à nous rappeler que nous étions réunis pour mener à bien un projet sérieux…

 

Julien Martineau interprète le <i>Concerto No. 2</i> de Calace avec l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine le 12 juillet 2018 dans le cadre des Estivales de Musique en Médoc.

Le Concerto de Calace fait partie de vos œuvres favorites. Il se révèle pourtant d'une très grande virtuosité. Le plaisir de jouer est-il indissociable de la difficulté ?

Le Concerto de Calace est galvanisant. S'il n'y a pas derrière une œuvre quelque peu périlleuse à jouer une sorte de force qui soutient le tout, elle devient intimidante car on y croit seulement à moitié et on est obligé de faire des triples saltos sans la motivation nécessaire. En revanche, lorsque l'œuvre est belle, suscite le feu sacré ou qu'on interprète une partition héroïque, le sentiment devient très fort et tout change. Calace me fait penser à Piazzolla par son écriture qui associe à la fois une sorte de tristesse romantique, et parfois une colère ou une révolte contre les sorts de la vie. Dans ce contexte riche et porteur, on franchit sans problème des précipices de difficultés techniques sans se poser la question : on saute, et on regarde ensuite si on est tombé ou pas dans le fossé. C'est cette dimension que j'apprécie beaucoup avec cette œuvre. Nul besoin de faire de cinéma ou d'accentuer tel ou tel aspect expressif. Le texte est beau et la simplicité reste la meilleure façon de le servir. Enfin, si je devais comparer la pièce de Calace et le Concerto en ré Majeur de Vivaldi avec son superbe mouvement lent qui permet de s'exprimer avec profondeur et de faire chanter la mandoline, je dirais que ce dernier est plus simple à jouer, et que le Concerto de Calace est plus sophistiqué. Il se rapproche d'ailleurs d'un concerto romantique pour violon alors que le Concerto de Vivaldi appartient à un langage plus simple, moins évolué.

Un des paradoxes de votre instrument est d'obtenir la fluidité d'une ligne mélodique par une succession de trémolos et une action très rapide de la main. Comment parvenez-vous à résoudre ce paradoxe ?

Par le travail et surtout l'écoute ! Je crois que pour être un bon mandoliniste, il faut savoir oublier la mandoline. Il m'arrive souvent d'entendre dire de mon instrument :"Ah ! c'est rare !", "C'est étonnant !". Mais, pour moi, la mandoline est devenue un outil et je ne me sens pas tellement différent d'un violoniste dont le répertoire est par ailleurs très proche de celui du mandoliniste. Le violoniste doit dépasser la technique pour faire chanter son instrument. Pour ma part, j'ai longtemps travaillé des points techniques pour y parvenir, mais je les oublie aujourd'hui. Un bon trémolo doit être lisse, chantant, et se fondre dans la ligne musicale.

 

Julien Martineau et l'Orchestre de Chambre de Toulouse interprètent le <i>Concerto en do majeur</i> de Vivaldi en 2016 lors des Estivales de Musique en Médoc.  D.R.

Avez-vous été assisté par un maître dans votre recherche ?

Je me suis radicalement éloigné de la technique de base que l'on m’a enseignée, qui était très traditionnelle et donc un peu percussive. Mon jeu qui se situe un peu moins sur le chevalet et un plus sur la touche, dans la partie tendre des cordes qui sont en nylon et non en acier pour les notes basses, est plutôt le résultat d'échanges avec certains musiciens. En particulier l'alto solo de l'Orchestre du Capitole, Domingo Mujica, que j'ai rencontré alors que j'allais sur mes 20 ans, et qui avait aussi des notions de mandoline. Il m'a pris sous son aile et je le considère comme mon parrain dans mon métier. Cette rencontre m'a beaucoup marqué et nous nous sommes liés d'amitié. Domingo est Vénézuélien, et il est un des premiers instrumentistes issus du Sistema à faire une grande carrière. C'est lui qui m'a appris à jouer en me posant les bonnes questions. Avant cette rencontre, j'avais besoin de connaître mes dates de concert au moins 6 mois à l'avance afin de me préparer. Avec lui, je me souviens qu'on nous a proposé de jouer avec une seule semaine pour nous préparer. J'avais refusé pensant que je n'y arriverais pas. Mais il m'a poussé, nous avons joué, et tout s'est très bien passé. Cette approche du concert inscrit dans la vie quotidienne et vécu comme une fête a totalement changé ma façon de voir les choses, elle m'a décontracté. J'ai eu ensuite l'occasion de jouer avec des instrumentistes qui avaient des sons crémeux et j'ai voulu évoluer en ce sens, tout en préservant la couleur cristalline de la mandoline, adoucir le son… Je me suis construit un peu comme Mowgli dans Le Livre de la jungle car je n'ai pas été élevé par les mandolinistes !

 

Julien Martineau.  © Jean-Baptiste Millot

Il est possible de faire un parallèle entre le trémolo et le vibrato de la voix chantée. Le chanteur est-il un modèle pour vous ?

C'est effectivement le cas pour certaines voix. Je me reconnais énormément dans les contre-ténors comme Philippe Jaroussky et Franco Fagioli, ou encore dans certaines voix à la fois très volubiles et simples. Je me sens moins proche de voix lyriques très puissantes que je trouve pourtant sublimes à l'opéra. Je me reconnais aussi dans le chant du violon. Je suis d'ailleurs un grand admirateur de cet instrument depuis longtemps. C'est une vraie passion qui me pousse à essayer d'écouter tout ce qui sort et à collectionner les enregistrements. Si je devais nommer un seul violoniste, ce serait Nathan Milstein, en qui je trouve ma référence absolue. Non seulement son timbre instrumental est sublime, mais c'est un musicien extraordinaire. Toujours sobre, il sait appuyer là où ça fait mal, au bon moment, et sans en rajouter.

Votre dernier disque paru chez Naïve a été enregistré à Rome par Fabio Framba, tandis que le précédent, "Paradis Latin", a été enregistré en France par Pierre-Emmanuel Triffault et François Petit. Recherchiez-vous une approche sonore différente pour les concertos ?

Julien Martineau et Pierre-Antoine Devic, Directeur du label Naïve Classique.  D.R.Mon but est de trouver le meilleur son pour la mandoline, or force est de constater qu'il s'agit d'une préoccupation relativement récente. Autant pour un concerto de Vivaldi, la prise de son ne se pose pas en termes de complications, alors que pour celui de Calace, cela devient plus difficile en raison du trémolo. La difficulté de la prise de son qui est réalisée avec des micros de proximité, est qu'ils sont très sensibles aux attaques de médiator qui deviennent alors bien plus audibles et assez métalliques. Ce qui passe inaperçu à l'oreille des spectateurs d'une salle de concert prend alors une place étonnante dans l'enregistrement. De plus, la mandoline est aiguë, et les attaques n'en sont que plus valorisées. Ce problème n'existe pas avec la guitare qui est un instrument plus grave, d'autant qu'il n'y a pas de trémolos, ou alors il s'agit d'un artifice rarement utilisé. Nous avons donc procédé à de multiples essais pour le premier disque et trouvé pas mal de solutions. Nous étions alors dans une salle où la réverbération était assez importante, et pour le second, j'avais envie d'une prise de son plus brute sans sacrifier à la beauté sonore. L'ingénieur du son étant différent, il avait ses propres recettes, et partant de ma première expérience, nous nous sommes mis d'accord après de nombreuses discussions. Il faut dire que Fabio Framba est italien et recherchait un son plutôt italien, c'est-à-dire très clair. Or je désirais une solution intermédiaire entre un son clair dépourvu d'acidité et les prises de son allemandes, plus sombres mais aussi plus douces, que j'affectionne beaucoup. Je voulais aussi que le son puisse être autant diffusé sur une installation sonore de qualité, qu'un ordinateur ou un smartphone. Il peut bien sûr y avoir de nombreux débats autour de ces options mais j'ai été guidé par le son entendu depuis le premier rang de l'auditorium dans lequel nous avons enregistré. Je suis vraiment satisfait du résultat obtenu, mais j'ai déjà d'autres idées de microphones à tester pour le prochain album.

Comme le guitariste Thibault Cauvin, vous utilisez un système d'amplification de Jean-Luc Joie…

Comme pour Thibault, le système de Jean-Luc Joie a changé ma vie, car la puissance sonore est un vrai problème pour les instruments à cordes pincées comme la guitare, la mandoline ou le luth. J'avais fait de nombreux essais depuis longtemps, entre autres avec Pierre-Emmanuel Triffault, qui est un ingénieur du son extrêmement compétent et ouvert d'esprit. Puis, j'ai eu l'occasion de jouer en 2016 dans le cadre des Estivales de Musique en Médoc où j'ai rencontré Sébastien Ferger, un collaborateur de Jean-Luc Joie. Voyant le système d'amplification que j'utilisais - un ampli à lampes Fender assez vintage et des pédales d'effets que j'avais moi-même réglées - il m'a parlé du système sur lequel il travaillait avec Jean-Luc. Mon système était satisfaisant sur le plan musical et me permettait de jouer avec orchestre, mais il n'était pas totalement naturel…
Lorsque Jean-Luc m'a fait essayer son système qui n'était pas encore optimisé pour moi, je suis tombé sous le charme de cette technologie d'un naturel absolu. Sans être au courant, personne ne peut déceler la présence de ce système tant la couleur du son amplifié reste identique au son naturel de la mandoline, que je joue à la Halle aux Grains ou à l'auditorium de Radio France.
En revanche, j'utilise rarement l'amplification lorsque je joue en récital solo. La mandoline est un instrument clair et aigu qui passe sans aucun problème dans une salle de 300 à 400 personnes. En revanche, si une seule contrebasse est présente, elle absorbe le son de la corde pincée et l'amplification s'impose.

 

Applaudissements pour Julien Martineau et l’ONBA dirigé par Jonathon Heyward à l'issue du <i>Concerto No. 2</i> de Calace.  © Les Estivales de Musique en Médoc

Le livret du CD "Come una volta" consacre sa dernière page aux Estivales de Musique en Médoc. Que pouvez-vous dire de cette collaboration ?

Ma première rencontre avec Jacques Hubert et sa compagne Hélène remonte aux Victoires de la musique qui étaient organisées à Toulouse. J'étais spectateur et Jacques est venu vers moi car il m'avait invité à jouer l'été suivant dans son festival. Le courant est immédiatement passé entre-nous et une véritable amitié est née. Puis, à l'occasion du 15e anniversaire des Estivales, Jacques m'a invité à jouer le Concerto de Calace avec l'Orchestre de Bordeaux… Jacques a ensuite proposé mon nouveau disque en avant-première à un partenaire institutionnel, et il me semblait très naturel de consacrer une page du livret à son festival qui me soutient… Lors des dernières Estivales, une importante délégation du Festival de Besançon était présente. Et lorsque je vais reprendre le Concerto de Calace avec l'Orchestre Victor Hugo-Franche-Comté sous la direction de Jean-François Verdier pour deux dates début février 2019, c'est Jacques et Hélène qui se déplaceront !

 

Julien Martineau et Éric Franceries lors de l'enregistrement de l'album <i>Paradis Latin</i>.  © Naïve Classique

Votre premier disque chez Naïve, "Paradis Latin", remonte à 2016 et propose une grande variété d'œuvres des XIXe et XXe siècle. Parmi les instrumentistes autour de vous, on note la présence du guitariste Éric Franceries et du contrebassiste Yann Dubost, deux interprètes desquels vous semblez assez proche…

Julien Martineau au côté de Michel Plasson, après avoir joué un <i>Prélude</i> de Calace pour les mécènes de l'ONCT en 2003.  D.R.En 2003, je participais à l'enregistrement d'un disque avec Natalie Dessay sous la direction de Michel Plasson, lorsque j'ai vu Éric Franceries arriver. Je le connaissais car Éric était le professeur d'un ami guitariste, Jérémy Jouve, qui a gagné de nombreux concours internationaux et fait une remarquable carrière internationale. Plusieurs années ont passé, et Éric m'a invité pour un concert, puis je l'ai invité à Toulouse, et nous ne nous sommes plus jamais quittés. Nous avons une génération d'écart, mais notre relation musicale et amicale est à la fois riche et très spontanée.
Quant à Yann Dubost, c'est l'un des meilleurs contrebassistes français. Nous nous sommes rencontrés il y a une dizaine d'années à l'occasion d'un concert au Théâtre du Châtelet. Puis nous nous sommes retrouvés au festival de Colmar où je jouais la très belle et rare Symphonie concertante de Leopold Kozeluch écrite pour piano, mandoline, trompette et contrebasse. J'étais aux côtés de Nathanaël Gouin, Lucienne Renaudin-Vary et Yann… Plus tard, pour mon premier disque chez Naïve avec Éric Franceries, j'ai eu l'idée d'essayer quelques pièces avec Yann, et là, bien au-delà de ce que nous attendions, une alchimie un peu miraculeuse est apparue, le trio sonnant comme un petit orchestre. De telle sorte que nous avons enregistré le maximum de pièces en trio. Quant à L'Histoire du Tango de Piazzolla que nous avions gravée en duo mandoline et guitare, c'est maintenant une œuvre que nous jouons à trois.

 

Julien Martineau lors de la création du Concerto de Karol Beffa avec l'ONCT.  D.R.

En septembre 2016, vous avez créé le "Concerto pour mandoline" de Karol Beffa avec l'Orchestre national du Capitole…

Ce projet a été initié avec Geneviève Laurenceau, qui était alors violon supersoliste de l'Orchestre du Capitole et qui avait déjà joué de nombreuses œuvres de Karol Beffa, qu'elle connaissait très bien. Nous avions l'idée de lui commander un concerto pour mandoline et violon. Karol était partant, mais il préférait réserver des parties solistes au violon au sein d'un concerto pour mandoline, pensant qu'il serait difficile de programmer une œuvre avec deux solistes. J'ai très bien compris ce problème d'ordre pratique car une œuvre doit être jouée après être créée. C'est ainsi qu'est véritablement né son Concerto pour mandoline, sur lequel nous avons travaillé main dans la main, Karol et moi. En effet, nous nous sommes vus tout au long de l'écriture afin de garantir l'aspect idiomatique de l'écriture pour mon instrument. Il était d'ailleurs incroyable de voir de quelle façon Karol appliquait ce que je lui disais. Il suffisait que j'émette une remarque pour que, quinze jours après, tout soit intégré dans sa partition.
Karol a également adapté pour notre trio son Tango qu'il avait écrit pour violon et piano. Avec Yann et Éric, nous nous étions retrouvés pour travailler avec lui et, là encore, Karol a été très impressionnant : en une séance de travail, il est parvenu à une complète réécriture de sa partition prenant en compte nos remarques mais en allant beaucoup plus loin comme si les spécificités de nos instruments n'avaient plus aucun secret pour lui. Quand on connaît la difficulté d'écrire pour la guitare quand on n'est pas guitariste, c'est étonnant. Il faut le voir pour le croire !

 

Julien Martineau photographié par Kathy Sebbah.  D.R.

Quel rapport corporel entretenez-vous avec votre instrument ?

Mon rapport physique à la mandoline est simple et sain, car je n'ai jamais souffert de douleurs. Contrairement à d'autres mandolinistes, je préfère jouer debout. J'ai longtemps joué assis et je me sentais très mal à l'aise car j'aime faire corps avec mon instrument. J'ai besoin de ne faire qu'un avec la mandoline pour jouer facilement. J'essaye aussi d'adopter une position esthétique en scène. En tout cas je trouve mon petit instrument très confortable à jouer.

La mandoline peut-elle encore évoluer en termes de facture et de jouabilité ?

Bien sûr, non seulement sur le plan de la lutherie, mais aussi au niveau des cordes, et même de l'amplification car j'estime que la gestion du son fait partie intégrante de l'instrument. Je joue une mandoline canadienne récente qui a été fabriquée par Brian N. Dean, que je tiens pour le meilleur luthier en mandolines. Son travail du bois est exceptionnel et le son est incroyable, merveilleusement timbré. Ses instruments offrent aussi une excellente projection que je n'ai trouvée nulle part ailleurs. Avec Brian, nous avons travaillé à concevoir une mandoline aux nouvelles cordes que j'utilise, et que j'ai mis 5 ans à développer avec Savarez, une entreprise lyonnaise qui a été créée en 1770. Savarez est leader du marché pour les cordes de guitare classique.
J'étais assez demandeur d'un développement car j'avais trouvé chez ce fabricant des cordes pour luth que j'utilisais pour mes deux cordes de basse - sol et ré - car elles avaient un son incroyable. Je cherchais ce son depuis des années sans parvenir à le trouver. C'était donc formidable. Seul hic : ces cordes avaient une durée de vie moyenne de 3 jours !
Grâce à Éric Franceries dont le père, également guitariste, travaillait déjà avec Savarez, j'ai pu rencontrer le patron de l'entreprise, Bernard Maillot, et lui faire entendre la différence entre ses cordes de mandoline et celles pour luth. Il a été instantanément convaincu et m'a dit : "OK Julien ! On va travailler ensemble…". Il a ensuite fallu du temps pour développer des cordes de basse qui surpassent même en qualité sonore celles pour luth et, surtout, ont une pérennité assurée. Le jeu est sur le point de sortir, mais cela ne m'empêche pas de tester en ce moment de nouvelles cordes aiguës…

 

Julien Martineau entouré par les élèves de sa classe de mandoline au CRR de Toulouse.  D.R.

Vous enseignez au Conservatoire de Toulouse depuis 2005…

L'enseignement tient une place importante dans ma vie dans la mesure où j'ai commencé à enseigner à l'âge de 18 ans. L'Orchestre de Mandolines et Guitares de Toulouse, une formation amateur fondée il y a 132 ans, m'avait invité à donner des cours dans le but de faire perdurer la mandoline. Il se trouve que la mandoline n'existait pas dans les conservatoires, et on ne pouvait donc pas l'enseigner dans ce cadre…
J'ai commencé par me rendre à Toulouse pour enseigner à l'orchestre tous les 15 jours, puis toutes les semaines, et le niveau a progressé. Par la suite, en unissant plusieurs volontés, et après de nombreux rendez-vous, nous avons obtenu l'ouverture d'une classe de mandoline au Conservatoire de Toulouse. J'ai commencé modestement par une demi-classe, c'est-à-dire 8 heures de cours par semaine. Aujourd'hui, j'ai une classe complète de 16 heures, un poste de titulaire, et la classe est pérennisée.
Quant à mon approche de l'enseignement, je la crois assez simple. J'essaye de donner envie tout en préparant mes élèves au niveau d'exigence élevé du Conservatoire de Toulouse, qui est l'un des meilleurs de France. Ma réussite, c'est de voir de nombreux élèves continuer la mandoline après le Conservatoire. J'ai conscience du peu de débouchés de mon instrument, et je n'ai pas la prétention de former une majorité d'élèves professionnels, contrairement aux professeurs de piano ou de violon. Si deux de mes élèves sont maintenant professionnels, mon but premier est de communiquer l'amour de la musique afin que le maximum d'élèves continuent la pratique de l'instrument et jouent en amateurs.

 

Julien Martineau en studio avec Laurent Goumarre.  D.R.

Imposer la mandoline en concert est compliqué ?

Oui, car il n'existe aucun marché pour l'instrument. Un marché ne peut exister pour les mandolinistes que s'ils développent au préalable un projet musical fédérateur qui suscite l'envie. Il faut ensuite convaincre les programmateurs, car la mandoline traîne avec elle un certain nombre de préjugés qu'il faut dépasser. Le problème des violonistes est qu'ils sont très nombreux à très bien jouer. Pour les pianistes, c'est encore pire. Qui plus est, le pianiste est nécessairement soliste. En revanche, un programmateur de concerts symphoniques proposera très naturellement des concertos pour violon ou piano, mais il ne lui sera pas naturel de proposer un concerto pour mandoline… Il est nécessaire d'amener la mandoline là où elle n'est pas. L'atout de la mandoline est cependant sa rareté. Le mandoliniste, à partir du moment où les choses basculent, peut aussi se retrouver bien plus sollicité qu'un pianiste ou un violoniste.

 

Julien Martineau.  © Jean-Baptiste Millot

Que pouvez-vous annoncer à moyen et long termes ?

Je réfléchis à mon prochain projet d'album pour Naïve qui pourrait s'inscrire autour de Beethoven, lequel nous a laissé quatre pièces pour mandoline. Le programme de ce disque débouchera aussi sur des concerts… J'ai aussi commencé à travailler sur des transcriptions de chansons françaises pour mandoline solo. J'utilise des thèmes connus mais l'intérêt est de les transformer en parties virtuoses tout en restant respectueux de la pièce originale. Il ne s'agit pas de présenter des petits numéros de cirque sur des chansons populaires mais de faire de la vraie musique pour mandoline seule. Je vais tester ces pièces en concert pour voir ce qu'elles donnent, et si je suis satisfait du rendu, je ferai quelques autres transcriptions.
Je travaille aussi sur une pièce de Yann Tiersen avec qui j'avais joué à l'époque du film Amélie Poulain. J'avais été très impressionné de voir à quel point il pouvait maîtriser le spectacle, passant du piano au violon, et de l'alto au mélodica. Dans l'axe dédié aux chansons françaises, j'ai eu envie de reprendre une pièce qu'il avait écrite pour violon, Sur le fil
Enfin, cela fait un an que j'ai recommencé à jouer la Chaconne de Bach. Entre 16 et 22 ans, la Chaconne était devenue mon cheval de bataille. Puis j'ai senti qu'il me fallait la laisser reposer. Ce repos fut bien plus long que prévu. Mais quel plaisir de rejouer ce chef-d'œuvre. C'est un challenge de jouer cette pièce sur quatre cordes comme au violon. L'intégrale des Sonates et Partitas de Bach est encore un autre projet, mais à long terme !



Propos recueillis par Philippe Banel
Le 23 octobre 2018



Pour en savoir plus sur l'actualité de Julien Martineau :
julienmartineau.com

 

 

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