Tutti-magazine : Comment pouvez-vous définir votre métier de photographe ?
Julien Benhamou : Je mène parallèlement une activité de photographe de spectacle, de danse en particulier, et de portraitiste pour un grand nombre de supports, de magazines, d'agences ou d'artistes.
En quoi consiste une photo de spectacle ?
C'est pour moi avant tout la dynamique et la force qui passent dans le regard d'un interprète. J'ai commencé la photo par le portrait et c'est peut-être cet aspect qui se retrouve dans mes images. Par exemple, lorsque je photographie des poses de danse classiques ou académiques, au-delà du mouvement juste, je veille souvent à ce que les danseurs soient beaux et expressifs. De même, je cherche à ce que leur expression s'inscrive avec cohérence dans la narration du ballet qu'ils dansent.
Comment est née votre vocation ?
Je crois avoir toujours été attiré par les images car elles me parlent. À l'âge de 12 ou 13 ans, on m'a offert ce dont je rêvais : un appareil photo entièrement manuel et assez compliqué. J'ai trouvé cet outil immédiatement passionnant et, très vite, j'ai réalisé que photographier les gens me permettait d'accéder à un rapport privilégié, une proximité qui n'était pas celle de la vie de tous les jours. En photographiant mes amis, j'ai senti qu'il se passait quelque chose de vraiment intense dans la relation. Mes images n'étaient peut-être pas encore très intéressantes mais l'échange était fort. Le rapport pouvait être superficiel et, en même temps, porter une dimension intense. De là j'ai compris quelle était ma vocation et j'ai commencé des études de photo dès 17 ans.
La danse, l'opéra et le music-hall vous inspirent particulièrement. S'agit-il de passions personnelles ?
Oui, j’aime beaucoup l’univers du théâtre et la danse me procure de grandes émotions. Je n'ai jamais senti d'affinités avec un travail traditionnel de reportage mais toujours avec une vision altérée de la réalité, et le spectacle me donne la possibilité de créer des images fortes. Je trouve les émotions particulièrement photogéniques.
Retrouve-t-on une dimension de spectacle dans vos portraits ? Créez-vous une mise en scène autour de votre sujet ?
Rien n'est plus difficile que photographier une personne devant un fond blanc et qui regarde votre objectif ! J'essaye avant tout de rendre mon modèle beau et de faire en sorte que l'image soit intéressante. Je peux donc avoir parfois recours à des objets comme des choses qui volent. Mais je ne crée pas à proprement parler de mise en scène car, au départ, mon envie et mon intérêt résident dans le choix de la personne à photographier. Ensuite, avec le modèle, j'essaye de créer une ambiance.
Lorsque vous utilisez des accessoires, est-ce prémédité ?
Oui car j'ai toujours une idée de départ, même si je m'en éloigne ensuite pour aboutir à un résultat qui ne sera peut-être pas celui imaginé. Il n'y a rien de pire que de ne pas savoir quoi faire lorsqu'on photographie quelqu'un et, en général, il ne se dégage rien du tout. Il y a un an et demi, Libération m'a demandé de faire des portraits de la danseuse Marie-Agnès Gillot pour illustrer un papier. Elle dansait alors dans Orphée et Eurydice de Pina Bausch et il s'agissait en même temps d'intégrer la promotion de son spectacle Sous apparence. Je crois aussi qu'elle avait travaillé avec des cygnes pour une chorégraphie indépendante. Tout cela convergeait en une séance photo. Lorsque j'ai rencontré Marie-Agnès, je lui ai demandé si elle pouvait apporter la robe rouge d'Eurydice et une tenue sombre de répétition, puis nous avons travaillé sur deux looks différents au niveau des cheveux et du maquillage. C'est ensuite que j'ai réfléchi à ce que je voulais donner comme image de Marie-Agnès Gillot à travers mes photos. L'idée de mouvement s'imposait tant je la sentais vive et pleine d’énergie et j'ai tenté de figer ce mouvement en utilisant la robe rouge du ballet de Pina Bausch. Pour Sous apparence, j'ai imaginé son visage derrière un voile et, pour rejoindre son travail avec les cygnes, nous avons fait voler des plumes. Ces accessoires ne sont pas compliqués mais ils permettent de donner la possibilité à l'artiste de donner quelque chose de lui. Lorsque je confie un voile ou des plumes à Marie-Agnès Gillot, c'est elle qui les utilise et cela va créer un mouvement que je pourrai capter. Nous avons ainsi travaillé très intensément pendant une heure et je trouve les images obtenues assez réussies.
Qu'est-ce qu'une séance photo réussie ?
Il convient de distinguer deux choses : une bonne séance photo et un bon résultat ! Une bonne séance photo est une séance dans laquelle l'ambiance est bonne et où l'on sent que chacun est impliqué dans la réalisation d'une belle image. Une photo réussie, c'est une image qui atteint une vérité de la personne, une authenticité ou qui permet de la découvrir sous un autre jour et avec une certaine force. Tout cela tient en fait à peu de choses. J'en prends conscience lorsque j'opère la sélection. Le côté technique entre bien sûr en ligne de compte - la composition, le cadrage, les couleurs et la lumière, à laquelle j’attache une attention particulière
Par opposition une séance photo que vous jugez ratée est…
…une séance durant laquelle je n'aurais pas réussi à tisser un lien avec le modèle. Mais, dans ce cas, les photos peuvent tout de même être belles. Le souvenir est simplement moins sympa ! Souvent, à l'origine d'une déception, il y a un manque de temps pour photographier la personne ou l'impossibilité de la rencontrer avant. Lorsque je dois travailler en 5 minutes, je dois arriver avec une idée forte tout en sachant que je n'aurai pas plus de temps pour la réaliser que ce qui est prévu. La photo sera peut-être réussie, mais l'échange humain beaucoup moins intéressant.
Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec l'Opéra National de Paris ?
Ma collaboration a débuté il y a environ 8 ans. J'étais alors assistant et je démarrais mon activité. Après avoir vu un spectacle de danse, j'ai trouvé les artistes beaux et inspirant et j'ai eu envie de baser mon projet personnel sur des portraits de danseurs. Brigitte Lefèvre m'a permis de le réaliser et ces photos ont été exposées au Ministère de la Culture. L'Opéra m'a ensuite invité à assister aux générales pour faire des essais. Ils ont été concluants et on m'a confié la responsabilité de photographier certaines productions. Depuis, à chaque début de saison, on m'attribue certains ballets et opéras à photographier. J'assiste aux répétitions et les photos prises pendant les séances de travail des danseurs ou des chanteurs illustrent le programme. Je photographie ensuite le spectacle pendant la générale, et ce matériel servira aux archives de l'Opéra. Je peux parfois être sollicité pour une affiche, comme cela a été le cas pour le ballet de Marie-Agnès Gillot Sous apparence, ou pour des portraits. J'ai ainsi récemment photographié Benjamin Millepied pour son portrait officiel.
Ces photos vous appartiennent-
elles ensuite ?
L'Opéra peut les utiliser pour ses futurs programmes et me rémunère alors en droits d'auteur. De mon côté, je peux aussi exploiter ces photos en reversant un pourcentage des ventes à l'Opéra. Dans le cas d'une exposition, je sollicite également l'accord de l'institution. Par exemple, lorsque j'ai exposé des photos de spectacles de danse au Conseil de l'Europe après avoir demandé l'autorisation de Brigitte Lefèvre qui a validé la sélection des images.
Vous photographiez beaucoup les danseurs, mais également des chanteurs. Est-ce différent ?
Bien sûr. Lorsque je photographie un chanteur lyrique je travaille avant tout sur l'interprète en essayant de révéler sa personnalité. Cette dimension peut également être présente face aux danseurs, à la différence qu'ils peuvent également participer à la force de l'image par la manière dont ils utilisent leur corps. Face à un comédien ou un chanteur, je me dois aussi d'être authentique dans le rendu ainsi que plutôt flatteur. En revanche, une photo de danseur peut aussi être réussie même si le visage du danseur n’est pas l'élément fort de la composition. Mais il ne faut pas en déduire que les séances de portraits de chanteurs sont plus fades. Lorsque j'ai photographié Stéphane Degout, l'échange était vraiment très sympathique et le résultat représente bien ce moment. En fait, dès lors qu'une personnalité se montre disponible, les possibilités deviennent riches.
Comment établissez vous un lien avec votre modèle ?
Je discute toujours avec mon modèle avant une séance. Par exemple, avec Mathilde Froustey ou Ève Grinsztajn, le contact est très vite devenu amical. Quoi qu'il en soit, l'essentiel est d'installer un climat de confiance. Il ne faut jamais oublier qu'être pris en photo n'est pas une chose facile. Ensuite, j'essaye toujours de laisser la personne s'exprimer le plus possible en posant des question courtes et ouvertes. De même, rassurer le modèle en lui disant qu'il participera au choix des photos me semble important.
N'est-ce pas dangereux si vous n'êtes pas d'accord avec votre modèle et que celui-ci se voit autrement ?
Pour moi, le rapport de confiance prime dans la relation, plus que le choix de la bonne photo. Je souhaite vraiment qu'il s'agisse d'une collaboration. Si le modèle ne se retrouve pas sur ma photo, c'est alors que je ne suis pas dans le juste. Une photo forte plaît généralement à tout le monde. Si elle ne fait pas l'unanimité c'est généralement qu'elle n'est pas assez bonne. Mais une série comporte de nombreuses photos et, si un cliché passe à la trappe, un autre assez voisin sera généralement conservé.
Photographiez-vous de la même façon les femmes et les hommes ?
Pas tout à fait. Le stylisme intervient beaucoup moins lorsque je photographie un homme. Avec une femme, il y a le plus souvent une véritable recherche de look. Un danseur en pantalon et torse nu peut très bien faire l'affaire. Je pense aussi qu'un homme sera moins regardant sur sa photogénie. Pour être honnête, je crois que j'ai envie de rendre une femme belle, alors que pour un homme je suis plus à la recherche d'une photo intéressante. Par exemple, avec Julien Mezindi et Vincent Chaillet nous nous sommes amusés à créer des images originales, alors qu'avec Agnès Letestu, Mathilde Froustey, Marie-Agnès Gillot ou Ève Grinsztajn, je me suis senti davantage impliqué dans une dimension esthétique et j'ai recherché les images flatteuses.
Vous avez photographié plusieurs danseuses de l'Opéra habillées par François Tamarin. Que pouvez-vous nous dire de cette collaboration ?
François Tamarin a tout d'abord été un de mes contacts Facebook que je pensais être une fille comme le laisse entendre son pseudo Isadora Gamberetti ! Lui s'intéressait à mes photos et il m'a un jour invité à un spectacle qu'il présentait au China Club avec sa troupe. J'ai assisté deux heures plus tard à un show burlesque absolument incroyable autour de ce personnage d'Isadora Gamberetti alias François Tamarin, totalement baroque et exprimant une folie incroyable. À ce moment j'ai senti quelque chose d'intense, comme un terrain d'entente et de jeu sur lequel j'étais convié. Les costumes baroques que portait François étaient fantastiques et, dans mon attirance pour les images fortes, j'ai tout de suite compris ce qu'ils pouvaient apporter à mes photos. Le lendemain nous débutions notre premier projet. La danseuse Ève Grinsztajn m'avait sollicité pour une séance photo et nous nous sommes retrouvés dans l'atelier de François pour essayer des corsets avant le shooting une semaine plus tard… Il est passionné de chant, d'Art en général et son regard sur la danse est très intéressant. Je collabore désormais très souvent avec François en lui louant des vêtements. Parfois même, il en crée comme ce très beau manteau porté par Agnès Letestu durant la séance photo…
Quel matériel utilisez-vous pour travailler ?
Pour la photo de spectacle, j'utilise un appareil très sensible qui, même en basse lumière, permet de faire de très bonnes images, le Nikon D4 avec un zoom 70/200 mm qui ouvre à 2,8. Dans ce contexte le challenge est de parvenir à photographier avec une vitesse d'obturation suffisamment rapide pour figer le mouvement.
Pour le portrait, j'utilise un zoom 24/70 mm ou un objectif de 85 mm et des flashes avec de grosses boîtes à lumière qui créent un éclairage diffus. Pour mes images, je suis toujours très vigilant sur la qualité de la lumière. C'est même un aspect capital de mes photos. En studio, le matériel est assez lourd et doit être installé. J'aime que le cadre de mes photos présente des lignes parallèles et diffuse une idée d'illustration par opposition au reportage. En studio, je travaille avec un assistant.
Après le shooting, avez-vous beaucoup recours à la retouche numérique ?
Pas spécialement car tout est généralement calé en amont pour la séance photo. J'évoquais l'importance de la lumière dans mon travail et c'est justement cette gestion qui me permet d'obtenir en photo exactement ce que j'ai sous les yeux au moment de shooter. Ensuite, sous Photoshop, je me contenterai de gommer de petits défauts, mais ces retouches sont vraiment très légères. Dans le cas où je travaille sur une composition, je peux avoir à effectuer un petit montage, comme sur le portrait de Patrick Marie Aubert, chef du chœur de l'Opéra. Pour ce portrait, le traitement numérique m'a permis de parfaire la position des feuilles de musique qui volent. Mais je préfère toujours capter le mouvement réel, comme les paillettes lancées par le musicien Rudy Guittar. Ce type d'élément permet au modèle de s'impliquer différemment, d'oublier la question "suis-je beau ou pas ?" et, pour moi, de photographier un sujet qui se livre bien plus. Lorsque j'ai donné un voile à Marie-Agnès Gillot, elle a joué avec et j'ai pu figer un mouvement. Au final, je pense que si Marie-Agnès a aimé cette image, c'est aussi parce qu'elle s'est impliquée dans cette recherche d'image. Cela resserre la collaboration entre le photographe et son modèle.
Comment pouvez-vous définir la composition de vos images ?
Je pense que je photographie toujours de la même façon. Certaines choses me plaisent. Dès que je suis face à une femme figée dont la robe est en mouvement, je me sens interpellé. Je suis moi-même quelqu'un d'assez posé et j'aime quand, dans une photo, chaque élément est installé. De la même façon, les regards que je capte sont plutôt pénétrants et intenses parce que j'aime ça. Vous retrouverez aussi d'autres constantes dans mon travail, comme la qualité de la lumière qui, peut-être, constitue une partie de mon style.
Êtes-vous tenté par le cinéma ?
Non. Si je fais des photos, c'est pour pouvoir observer un visage et m'arrêter sur un instant précis. Ce paramètre de l'instant est vraiment ce qui m'anime. C'est l'image arrêtée, figée, qui m'intéresse. En outre, le cinéma est plus lourd et nécessite un grand nombre de personnes. Je suis sensible au cinéma en tant que spectateur mais ce que j'aime dans la photo, et contrairement au cinéma, c'est être surpris par un résultat que je n'attendais pas précisément.
Photographier les gens en studio ne vous permet pas beaucoup de contacts avec d'autres créateurs…
C'est la raison pour laquelle je développe deux projets personnels sur le long terme avec les compagnies de danse Timeless Ballet et Inkörper Company. Cela me permet de m'investir dans une recherche commune qui associe l'image au corps et au mouvement. Pour Inkörper Company je travaille avec le danseur et chorégraphe Aurélien Dougé qui fait partie du Ballet du Grand Théâtre de Genève, et pour Timeless Ballet, je collabore avec le danseur Sohrâb Chitan. Les photos sur lesquelles nous travaillons ensemble servent autant à promotionner leurs activité que la mienne.
On regarde de moins en moins de photos tirées sur papier. Que pensez-vous de la façon dont les images sont dématérialisées aujourd'hui ?
Cela m'importe peu. Auparavant les photographes devaient faire des expositions pour montrer leur travail. Avec Internet la visibilité est bien supérieure et, finalement, je trouve cela très positif. Contrairement à d'autres modes d'expression artistique qui souffrent de la gratuité de la circulation sur la Toile, mon travail est rémunéré à la commande. Internet devient ensuite la vitrine de mes photos. Cela me permet de recevoir d'autres commandes. Mes photos sont faites pour être vues et, plus elles le sont, plus je m'en réjouis…
Comment voyez-vous votre futur ?
Aujourd'hui je suis heureux de pouvoir vivre de la photo, et seulement de la photo. Ce qui me plaît dans ce métier est avant tout la relation à l'autre et je peux dire que je fais des rencontres passionnantes. Si l'on continue à me commander des séances de portraits, je serai ravi.
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 17 avril 2013
Pour en savoir plus sur Julien Benhamou :
www.julienbenhamou.com