Tutti-magazine : Pour accueillir le public lors des générales, vous lui adressez quelques phrases de bienvenue. Quel sens donnez-vous au mot "hospitalité" en tant que directeur de théâtre ?
Jérôme Deschamps : J'ai plaisir à accueillir le public lors de cet événement un peu spécial qu'est une générale. Certains artistes ne se sentent pas totalement rassurés à ce stade de la préparation d'un spectacle et ne donnent pas forcément tout leur potentiel. Le public, quant à lui, n'est pas composé des spectateurs habituels et diffère de celui de la première. Cet accueil n'est pas pour moi une occasion de me mettre en avant mais fait partie d'une démarche globale que j'ai voulu instaurer à l'Opéra Comique dès mon arrivée. Derrière le mot "hospitalité", je placerais ainsi tout autant la façon dont le public est accueilli à la billetterie, que l'entretien de cette maison d'opéra que je souhaite la plus belle possible pour ses visiteurs. Cette démarche touche également les personnels en interne quels qu'ils soient. Je tiens à impliquer les gens, tous les gens qui travaillent ici, à la politique de programmation en expliquant ce que nous faisons et en quoi nos actions s'inscrivent dans l'histoire de cette maison. Une telle implication renforce une certaine fierté de laquelle découle de la solidarité. Il y a quelques jours, j'ai remarqué au premier rang des personnels de l'Opéra Comique venus en famille avec leurs enfants et je les ai sentis fiers de leur appartenance à ce théâtre. Je vois parfois également passer des notes de service, les lendemains de représentations, sur lesquelles je trouve des commentaires sur le bonheur d'avoir assisté aux spectacles… Cet état d'esprit se transmet, j'en suis persuadé.
L'Opéra Comique mène également des actions envers des enfants en les accueillant, non comme des spectateurs auxquels on offrirait des places et qui assisteraient au spectacle de façon passive, mais en les faisant participer à une vraie démarche qui leur permet de vivre une expérience bien plus profitable. C'est un autre genre d'accueil très important aussi.
Vous avez été nommé Directeur de l'Opéra Comique en 2005. Dans quel état d'esprit étiez-vous alors ?
Pour vous répondre, je dois revenir sur ce qui a précédé ma nomination. Tout d'abord, j'ai été sélectionné pour construire un projet sur l'Opéra Comique sans que je fasse la moindre démarche en ce sens. Je me tenais alors un peu éloigné de cette maison, et en particulier de sa programmation. Je me suis alors mis à écrire un projet sur la maison en percevant là un défi qui consistait en quelque sorte à réveiller la Belle au bois dormant. Il fallait retrouver l'âme de ce lieu magnifique, c'est-à-dire lui redonner son répertoire dans une perspective de relation avec le public. L'Opéra Comique a brûlé très souvent et de façon tragique, mais le lieu reste peuplé de fantômes et ses mûrs sont remplis de quelque chose d'extraordinaire. De telle sorte que je me suis dit qu'il suffisait d'insuffler une énergie au bon endroit pour que la vie reprenne sa place. Cette sensation était d'autant plus forte qu'elle était partagée par des artistes ou de jeunes chefs comme Jérémie Rohrer et des personnalités comme William Christie et John Eliot Gardiner. Tous étaient totalement amoureux de cet endroit et je sentais la force de leur désir. Il fallait bien sûr renouer avec le public mais une force était déjà présente du côté des artistes. Il n'a pas été très difficile de réunir ensuite une équipe de direction qui adhère immédiatement au projet.
Vous a-t-on donné pleinement les moyens de faire aboutir votre projet ?
Après avoir constitué mon dossier, je devais me présenter devant une commission composée de gens du Ministère et d'un certain nombre de personnes dites "qualifiées" issues de l'Opéra de Paris, de France Musique, du Syndicat des directeurs d'opéras, etc. Au cours de cette sorte d'oral, quelqu'un m'a interpellé : "Mais Monsieur, la subvention actuelle de l'Opéra Comique est d'environ six millions d'euros et vous en demandez dix !". J'ai répondu : "Dix millions d'euros pour réussir mon projet c'est beaucoup, certes, mais six millions pour le rater, c'est beaucoup plus cher !". Je n'avais pas vocation à être concierge de luxe de l'Opéra Comique, mais à mettre en œuvre ce projet avec les moyens nécessaires pour le mener à bien… On m'a donné les moyens dont j'avais besoin.
Une fois l'équipe constituée, votre projet pour l'Opéra Comique a-t-il pris corps rapidement ?
Le démarrage a été plutôt chaotique dans la mesure où j'ai été nommé assez tard quand il s'est agi de lancer des productions comme L'Étoile. Qui plus est, les gens se montraient assez troublés de voir remonter des œuvres telle que celle-ci. J'ai moi-même entendu dire du mal, non de la production, mais de la musique de Chabrier. Il y avait une sorte de rejet par rapport à une programmation qui ne correspondait pas à ce qui était proposé habituellement sur cette scène. Des moments de bonheur ont ainsi alterné avec des périodes plus difficiles, à l'image de la programmation de Manfred de Schumann. Le pari qui consiste à monter une œuvre difficile est naturellement à la hauteur de cette difficulté. En l'occurrence notre Manfred n'était pas tout à fait réussi… Dernièrement, lorsque nous avons monté Robert le cochon et les kidnappeurs de Marc-Olivier Dupin, je peux vous dire que j'étais assez préoccupé et inquiet. Ceci dit, je n'ai jamais eu honte ni de ce que nous avons programmé ni de nos tentatives.
Ce sont donc les œuvres qui ponctuent votre action à la tête de l'Opéra Comique…
Pas seulement, mais la vie de cette maison a évolué vers l'harmonie de façon somme toute fluide. Au fil du temps, l'état d'esprit qui régnait dans ce lieu s'est véritablement transformé. Au point de modifier le comportement de certaines personnes. Je pense en particulier à une femme qui travaille à la régie du théâtre et qui s'est totalement métamorphosée. Lorsque je suis arrivé, elle travaillait à l'accueil où elle se montrait particulièrement désagréable et faisait sentir son mécontentement aux gens qu'elle accueillait. Nous nous sommes intéressés à ce cas et nous avons appris qu'elle savait lire la musique. Nous avons donc commencé à l'intégrer dans l'équipe de régie. Après des débuts épouvantables, au fil du temps, cette personne s'est complètement épanouie. Elle est devenue souriante et s'applique à porter les projets de la maison d'une façon très positive. Un tel changement est significatif de ce qui a évolué ici… Je ne veux pas dire non plus que tout le personnel de ce théâtre est entièrement acquis à la cause. Il y a ici aussi des gens qui seront toujours contre tout, et contre ce que représente un patron. Mais il y a eu une véritable évolution à laquelle je suis très sensible.
Avant de prendre la direction de l'Opéra Comique, vous étiez Directeur artistique du Théâtre de Nîmes. Avez-vous dû sacrifier une part de vos modes d'expression ou de votre créativité à vos obligations administratives ?
Je suis très bien entouré pour tout ce qui est administratif, mais il est vrai que j'ai laissé une part de ma créativité en acceptant ce poste de Directeur. Ceci étant, je parviens maintenant à m'impliquer avec beaucoup plus de sérénité dans un cadre très bien organisé. Par exemple, j'ai pu monter l'année dernière, à l'Opéra de Lausanne, Les Mousquetaires au couvent, que nous reprendrons d'ailleurs à l'Opéra Comique la prochaine saison. Je me suis ainsi absenté de la maison cinq ou six semaines sans problème… Mais il n'en allait pas ainsi les premières années. La réussite de la maison était très importante pour moi. Les retrouvailles attendues avec un public allaient-elles s'accomplir ? Le contexte économique tendu faisait que, abordant un répertoire rare, nous n'avions pas les moyens de payer des doublures pour certains rôles. Jouer sans filet apporte bien sûr son lot de stress. J'étais très préoccupé par tout cela sans pour autant souffrir d'une quelconque pesanteur liée à ce poste. L'organisation de l'Opéra Comique demande du temps, comme il faut du temps pour donner une orientation esthétique et proposer de beaux programmes. Il faut aussi se donner le temps de réfléchir aux horaires des spectacles et au prix des places, à la vocation de notre répertoire à être diffusé dans le monde, etc. Tout n'est pas facile. Au cours des cinq dernières années, la part de notre budget que nous consacrons à faire vivre le théâtre sur le plan artistique s'est réduite d'un tiers. Cela nous a poussés à coproduire de plus en plus de spectacles afin d'en alléger les coûts.
Les reprises permettent-elles de réaliser des économies ?
Quasiment pas. Surtout si la reprise est quelque peu éloignée dans le temps. Il faut alors répéter le spectacle, refaire des costumes pour des chanteurs qui ne sont plus les mêmes, le chœur de la création n'est pas forcément disponible, pas plus que l'orchestre et même le chef ! Les économies sont donc marginales. Toutefois, il est capital d'avoir un répertoire à sa disposition, ce que je me suis efforcé de constituer au cours de mes mandats, et je suis heureux qu'Olivier Mantei me succède car je suis certain qu'il y aura une continuité dans ce qu'il proposera à cette maison.
Cette continuité est importante pour vous…
Lorsque je suis arrivé ici, mon idée était très ambitieuse car je voulais qu'à mon départ, on ne puisse plus revenir en arrière sur la vocation de maison dédiée à l'art lyrique de l'Opéra Comique. Il est si facile de casser. Les exemples sont nombreux. Or nous avons réussi à créer un lien avec notre public et il ne faudrait pas que ce lien soit coupé…
La prochaine saison sera celle du tricentenaire du théâtre. Que proposerez-vous de particulier ?
La première des choses était de le faire savoir haut et fort, ce à quoi nous nous employons. Nous voulons ainsi souligner l'importance du passé de l'Opéra Comique dans l'histoire de l'Art. Ce tricentenaire sera l'occasion de redire que ce lieu est une grande maison de création et de parler de sa spécificité… Deux expositions vont être proposées en marge de notre programmation : l'une, du 18 mars au 28 juin 2015 au Petit Palais, Carmen et Mélisande - Drames à l'Opéra Comique ; l'autre au Centre National du Costume de scène de Moulins, L'Opéra Comique et ses trésors, du 7 février au 25 mai 2015, un projet qui s'annonce lui aussi délicieux. Il se trouve que les pièces les plus anciennes de ce musée se trouvent être des costumes de l'Opéra Comique !
Notre soirée d'ouverture intitulée Si l'Opéra Comique m'était conté…, le 13 novembre prochain, sera filmée et, sur scène entre les diverses interventions d'artistes, des archives seront projetées. Tous nos efforts portent à faire connaître cette vie méconnue de l'Opéra Comique, une histoire pas si facile à raconter tant elle est multiple et abondante. Saviez-vous par exemple qu'il n'y a pas très longtemps, cette maison a failli devenir un parking, puis un magasin Virgin ?
Quelles seront les grandes dates de la Salle Favart, la saison prochaine ?
J'adore cette saison, à commencer par cette Chauve-Souris en français qui s'inscrit de fait dans la tradition de l'Opéra Comique qui était de toujours présenter les œuvres en français. Nous enchaînerons avec Les Fêtes vénitiennes de Campra qui marquera le retour de William Christie après une année de problèmes de santé. Nous avons coproduit Au Monde de Boesmans mis en scène par Joël Pommerat qui s'annonce très réussi… Le Pré aux clercs nous permettra de revenir à Hérold avec une œuvre merveilleuse avant de reprendre Ciboulette* qui n'engendre pas la tristesse…
Au mois de mai 2015, nous accueillerons une création : Les Contes de la lune vague après la pluie de Xavier Dayer. La scénographie sera confiée à Richard Peduzzi et la mise en scène à Vincent Huguet, qui était le jeune assistant de Patrice Chéreau. Après la disparition douloureuse de Chéreau, je suis particulièrement heureux de permettre ainsi à cette équipe de continuer la vie autrement. Enfin, l'Opéra Comique accueillera Les Mousquetaires au couvent. Tout cela constitue une saison très réjouissante !
* Extraits de la production de 2013 de Ciboulette à la fin de cet article.
L'opérette de Varney est-elle l'œuvre idéale pour votre dernière mise en scène en tant que Directeur ?
Les Mousquetaires au couvent est une œuvre drôle que j'affectionne beaucoup. Elle représente un choix emblématique pour l'Opéra Comique. Je suis d'ailleurs persuadé que peu de gens connaissent cette opérette qui, par-delà son côté joyeux et enlevé, demande des qualités importantes aux chanteurs… Ce choix n'était pourtant pas évident car, en arrivant ici, je me suis tout d'abord démarqué assez nettement de la politique de mon prédécesseur Jérôme Savary, de la légèreté obligatoire et du French Cancan qu'il mettait à toutes les sauces. Il me fallait faire comprendre au grand public que l'opéra comique est un genre qui n'est pas toujours comique. Il était pour moi très important de m'inscrire à l'encontre de l'idée qui présidait alors et sous-entendait que ce répertoire ne méritait pas tant d'efforts et de raffinement. Non seulement je suis persuadé du contraire mais je tenais à inclure également dans notre programmation la gravité qui fait partie intégrante du genre. J'ai donc d'abord tourné le dos aux œuvres dites "faciles" et c'est petit à petit que nous avons à nouveau inscrit à l'affiche des Fra Diavolo et autres œuvres légères. Au début de mon mandat, je n'aurais sans doute pas pu programmer ces Mousquetaires au couvent. Aujourd'hui, les choses sont plus faciles et ce spectacle symbolise en quelque sorte un retour à une sorte d'équilibre qui se retrouve dans la prochaine saison. Les réservations pour l'opérette de Varney marchent d’ores et déjà très fort et placent Les Mousquetaires en tête des ventes de l'année prochaine. Il y a cinq ans, je n'aurais jamais pu croire à cela.
Le programme imprimé de la saison du tricentenaire est particulièrement luxueux…
J'ai choisi un format que j'aime beaucoup et je tenais à ce que ce programme de saison exprime une exigence de qualité par son contenu et son papier. Je voulais mettre en valeur le bâtiment et la fabrication, que ce soit à la fois raffiné et léger. Cela a été du reste été ma ligne directrice pour les programmes des spectacles. Eux aussi ont évolué, y compris au niveau de la mise en page. Tricentenaire oblige, la plaquette de la prochaine saison ajoute un luxe supplémentaire.
Les animaux de Grandville peuplent la communication de l'Opéra Comique. Est-ce votre idée ?
Tout à fait, et je suis resté fidèle à ce concept qui a accompagné les saisons depuis mon arrivée dans cette maison. Je trouve d'ailleurs très drôle qu'on m'ait proposé pour la saison du tricentenaire un animal dont on dit qu'il me ressemble…
Dans le programme de la prochaine saison, une double page est consacrée au Palazzetto Bru Zane. Quel soutien vous apporte-t-il ?
Cette institution nous aide très concrètement depuis 2009. Chaque année, le Palazzetto Bru Zane choisit une ou deux productions et des concerts qu'il aidera financièrement de façon importante. Par exemple, pour la saison du tricentenaire, cette collaboration bénéficiera à deux productions, Le Pré aux clercs et Les Mousquetaires au couvent, ainsi qu'à des concerts qui entrent dans le cadre de la redécouverte de la musique romantique française, avec Aubert, Bordes, Hérold et Bizet… L'aide que nous apporte le Palazzetto Bru Zane est devenue particulièrement importante à une époque où les théâtres n'ont pas une autonomie financière totale.
L'Opéra Comique ne possède pas d'orchestre attitré. Est-ce un avantage ?
Je ne suis absolument pas attristé de ne pas avoir de formation orchestrale à demeure dans la mesure où cela nous permet de proposer au public une palette orchestrale bien plus large que si nous possédions notre propre orchestre. De plus, de nombreuses formations manquent de débouchés. Dès lors que nous respectons une ligne de qualité, je trouve très bien que ces orchestres aient l'opportunité de venir jouer à l'Opéra Comique. Nos relations avec les différents orchestres sont en outre très bonnes, alors que je ne doute pas qu'elles deviendraient très vite mauvaises si nous possédions une formation permanente. En outre, nous serions confrontés à un souci de couleur car peu d'orchestres sont capables de produire des couleurs différentes. C'est le cas de la formation Les Siècles, dont les musiciens jouent à la fois sur instruments anciens et modernes. François-Xavier Roth est de plus quelqu'un de particulièrement ouvert… L'alternance des orchestres à vocation radicalement différente dans la fosse ou sur la scène de l'Opéra Comique est manifestement un avantage.
L'Opéra Comique va fermer à la fin de la prochaine saison pour 18 mois de travaux. De quelle nature sont-ils ?
Ces travaux visent à la fois la sécurité et le confort, avec la mise en place d'un système d'aération dans la grande salle. J'aurais voulu que ces travaux importants puissent se dérouler entre les saisons mais la mise en œuvre par l'appareil de l'État est très lourde et cette ambition était trop importante… À l'heure actuelle, la salle n'est équipée d'aucune ventilation, et il n'y a pas d'échange d'air car les pompiers ont bouché les orifices existants afin de limiter les dégâts en cas d'incendie. Moyennant quoi, par forte chaleur, des gens s'évanouissent et peuvent même faire une crise cardiaque. Aussi, ces travaux sont devenus indispensables. Mais il va quasiment falloir désosser la salle, démonter le plancher pour faire passer des conduits, faire des emmarchements… L'aération est le plus grand chantier qui attend ces murs, mais le réseau électrique va également être entièrement mis aux normes. Dans certaines parties du théâtre, rien n'a été fait depuis cinquante ans. Je me souviens d'une situation à laquelle j'ai été confronté à mon arrivée… On me signale un court-circuit à la corbeille. Je demande donc à ce qu'on répare. Mais, pour ce faire, je devais appeler l'architecte en chef. Nous nous rencontrons et je lui demande l'autorisation de faire cette réparation urgente. Nous n'avions pas besoin d'un nouvel incendie à l'Opéra Comique ! Il me répond : "Je ne vous donne pas d'autorisation car cela engagerait ma responsabilité sur l'intégralité de l'installation électrique de l'Opéra Comique. C'est comme si je la validais alors qu'elle n'est absolument pas aux normes !".…
Que vont devenir les personnels de l'Opéra Comique pendant la fermeture liée aux travaux ?
Plusieurs cas de figure vont se présenter. En dépit du fait qu'il faille quitter les lieux pendant la durée des travaux, certaines personnes resteront attachées à la maison. Elles participeront, à distance et le moment venu, à la préparation, à l'organisation et à la production de la saison de la réouverture. Pendant les travaux, des tournées vont avoir lieu et il faudra aussi les accompagner. D'autres personnes ont choisi de changer de vie et d'autres encore arrivent en fin de carrière. Enfin, ce sera, pour ceux qui le souhaitent, une période propice à se perfectionner. À l'heure où je vous parle, tout cela est en préparation et des rendez-vous sont pris avec chaque membre du personnel.
La vertu de cette interruption est de nous permettre de réfléchir, de mettre les choses à plat et de tirer les leçons de tout ce qui s'est passé durant les dernières années. Cela permettra de revoir l'organisation du théâtre en fonction du projet porté par Olivier Mantei qui me succédera. Comme dans toutes les maisons d'opéras de notre âge, des archaïsmes perdurent dans certains services, et ce, malgré ce que nous avons réussi à faire évoluer. Ce sera aussi l'occasion de revoir certaines habitudes comme celles qui peuvent consister à faire faire à trois personnes ce qui peut être réalisé par une seule ! Bien sûr, il faut de la détermination pour changer ces choses, mais aussi beaucoup de délicatesse car certains peuvent s'être enlisés avec la plus grande des sincérités et ont perdu la notion de leur situation. Les travaux seront l'occasion d'une telle réflexion, mais elle est de toute façon devenue inéluctable en raison de la situation économique que nous traversons, car les frais de fonctionnement augmentent jusqu'à écraser la marge artistique, c'est-à-dire le cœur de la vie de la maison.
En 2012, vous avez mis en place l'Académie de l'Opéra Comique…
Cette académie répond à une préoccupation d'assurer la pérennité de notre répertoire et la qualité de sa transmission. La création de notre académie n'a pas été simple dans la mesure où le ministère pensait qu'elle doublonnerait avec d'autres institutions. Or elle est dédiée au répertoire français et à l'opéra comique en particulier. On y apprend un style de jeu, le passage du texte au chant et les règles tout à fait particulières du genre en même temps que la tradition qui se trouve à la base de ce répertoire. J'ai demandé à Christiane Eda-Pierre de présider cette académie où elle donne des master classes merveilleuses. La formation est financée par l'Opéra Comique et reçoit des aides du mécénat. Elle dure six mois, les cours sont dispensés dans nos locaux et les chanteurs participent à certaines de nos productions. Trois cents candidats se présentent chaque année et nous en sélectionnons une dizaine. Nous conservons ensuite le contact avec les jeunes professionnels que nous formons, nous suivons leur carrière et pouvons même les conseiller en leur apportant une assistance non mercantile et désintéressée. Cela leur permet d'éviter d'aller se perdre et de s'abîmer en chantant prématurément certains répertoires, ou dans des théâtres trop grands. L'Académie de l'Opéra Comique a comme projet de s'associer à d'autres académies, à Bruxelles et à Londres. Certains échanges pourraient être même mis en place. Quoi qu'il en soit, la présence de ces jeunes artistes a changé la vie de ce théâtre.
Il a été dit que vous reviendrez à l'Opéra Comique pour mettre en scène. Quelles œuvres lyriques vous tentent ?
Je ne voudrais pas anticiper sur la conversation que je dois avoir avec Olivier Mantei, mais je peux déjà dire qu'il souhaiterait reprendre des productions que nous avons créées comme Les Boulingrin de Georges Aperghis. Sur un plan plus général que l'Opéra Comique, je serais tenté par un opéra comme La Cenerentola. Je suis plutôt attiré par des œuvres dans lesquelles je trouve un peu d'humour… À vrai dire je ne sais pas encore très bien ce que je vais faire. Un lieu de fabrication me correspondrait bien, lequel serait aussi un lieu de transmission. Pourquoi pas un projet sur l'enseignement des artistes, une formation au théâtre, au chant et à la scénographie. Tout cela m'intéresse et répondrait à une attente manifeste des jeunes artistes.
À l'Opéra Comique, vous êtes entouré de statues et de cariatides. Avec laquelle entretenez-vous le meilleur contact ?
Je me sens peut-être plus proche d'Albert Carré, qui a dirigé cette maison. C'est la raison pour laquelle j'ai installé son buste dans mon bureau. Lorsque je l'ai trouvé, il était relégué dans un coin et personne ne savait de qui il s'agissait. C'est Albert Carré qui a signé Pelléas et Mélisande, ici, dans ce bureau auquel je me suis efforcé de rendre son charme…
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 16 juin 2014
Pour en savoir plus sur la saison du tricentenaire de l'Opéra Comique :
www.opera-comique.com