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Interview de Jean-François Borras, ténor

 

Jean-François Borras.  D.R.

Nous rencontrons le ténor Jean-François Borras alors qu'il répète La Vestale de Spontini qu'il va chanter au Théâtre des Champs-Élysées. Il nous parle bien sûr de cette production, mais aussi de sa façon de travailler et de mener sa carrière, des rôles qu'il affectionne, de ses envies et des œuvres rares qu'il défend avec passion. Ainsi, après l'opéra de Spontini, il sera à l'Amphithéâtre Bastille pour un récital au cours duquel il chantera le non moins rare roman musical de Gounod Biondina, accompagné au piano par Marcelo Amaral. Entretien placé sous le signe de la musique, du partage et de la générosité…

Jean François Borras joue le rôle de Cinna dans La Vestale de Gaspare Spontini du 15 au 28 octobre 2013 au Théâtre des Champs-Élysées. À ses côtés, Ermonela Jaho, Andrew Richards, Béatrice Uria-Monson et Konstantin Gorny forment la distribution placée sous la direction de Jérémie Rhorer. Avec La Vestale, Éric Lacascade signe sa première mise en scène d'opéra. Plus de renseignements ICI


 

Jean-François Borras (Cinna), Andrew Richards (Licinius) et Ermonela Jaho (Julia) dans <i>La Vestale</i> mis en scène par Éric Lacascade.  © Vincent Pontet/WikiSpectacle

Tutti-magazine : Vous répétez actuellement La Vestale de Gaspare Spontini qui n'avait pas été donné depuis 1854. Cela représente-t-il pour vous une découverte ?

Jean-François Borras : Non seulement une découverte mais aussi ma première expérience dans ce répertoire. Nous travaillons actuellement avec le chef d'orchestre Jérémie Rhorer qui nous livre de très bonnes explications, ce qui nous permettra sans aucun doute d'aboutir à une excellente collaboration avec son orchestre. Cette Vestale représente pour moi la chance de débuter dans le très beau Théâtre des Champs-Élysées en même temps que de chanter dans une œuvre qui n'a pas été donnée sur scène à Paris depuis 159 ans malgré son succès phénoménal à la création. En tant que chanteur je trouve toujours positif de pouvoir faire de nouvelles expériences comme celle-ci.
Sur le plan musical, je rapprocherais le style de La Vestale d'un opéra Baroque. Or je n'ai jamais vraiment travaillé la musique baroque hormis durant mes études musicales à l'Académie de musique de Monaco. Nous allons chanter La Vestale avec un diapason à 430 et nous serons accompagnés par des instruments anciens du Cercle de l'Harmonie.

Ce saut dans un répertoire différent est-il difficile ?

J'ai commencé à chanter à l'âge de 8 ans et j'ai été petit chanteur durant 15 ans, ce qui m'a amené à chanter de la musique sacrée. Puis je me suis familiarisé avec la mélodie française et de nombreux autres styles de musique. C'est donc très naturellement que je me suis investi dans cette Vestale qui m'offre un rôle intéressant. Présentement, la difficulté que je rencontre vient de l'écriture qui me demande de descendre très bas à certains moments. Mais nous sommes en train d'en discuter avec le chef d'orchestre car ces notes sont vraiment très graves pour une tessiture de ténor. Nous étudions bien sûr le style, les notes groupées, les accents de la langue et de la musique. Je trouve ce travail tout à fait intéressant.

Jean-François Borras dans <i>La Vestale</i> au Théâtre des Champs-Élysées.  © Vincent Pontet/WikiSpectacle

De quelle façon travaillez-vous avec Jérémie Rohrer ?

Nous avons commencé par faire avec Jérémie une grande musicale sur deux jours. C'est généralement de cette façon que l'on débute la préparation d'un opéra. Actuellement, nous travaillons avec son assistant Atsushi Sakaï. Une grande importance est accordée aux récitatifs, car ils doivent être non seulement compréhensibles mais actifs. Ces récitatifs sont capitaux pour raconter l'histoire. Un peu trop mous ou trop lents, la tension de l'œuvre retombe. Nous avons commencé par parler les textes avant d'intégrer la musique afin de pouvoir leur donner le plus de dynamisme possible.

La mise en scène de cette nouvelle production du Théâtre des Champs-Élysées est assurée par Éric Lacascade. Comment se déroulent ces répétitions placées sous le signe annoncé de la collaboration ?

En ce qui me concerne, ce travail est différent de ce que j'ai fait jusqu'à présent. Éric Lacascade vient du théâtre. C'est la première fois qu'il met en scène un opéra et nous nous adaptons à sa manière de travailler qui est intéressante. Souvent, les chanteurs se plaignent du manque de direction d'acteurs des metteurs en scène qui peuvent être pressés par le temps ou davantage attentifs à la scénographie… Avec Éric, au contraire, nous sommes plongés dans le jeu d'acteur et nous travaillons sur les émotions des personnages. Il souhaite épurer au maximum tous les mouvements et déplacements afin de se concentrer sur le texte. Je pense que cela apportera beaucoup de clarté. Évacuer tous les mouvements parasites qu'un chanteur peut manifester, et qui n'apportent rien de plus ni au discours ni au chant, va sans doute renforcer non seulement la mise en scène, mais aussi le chant et notre interprétation.

Éric Lacascade est-il un metteur en scène exigeant ?

Oui, je le pense. Par exemple, avec Andrew Richards*, nous sommes arrivés deux jours avant les répétitions proprement dites afin de commencer à travailler avec lui et voir comment les choses pourraient se dérouler. Pour vous donner une idée de la précision qu'il demande, durant ces deux jours, nous avons travaillé ensemble durant environ douze heures pour monter sept minutes d'opéra. Croyez-moi, pour un chanteur lyrique, cela tranche beaucoup avec ce qui se passe habituellement ! Mais il faut reconnaître que très peu de maisons d'opéras se permettent le luxe d'un travail en profondeur comme le Théâtre des Champs-Élysées. Nous travaillons uniquement de façon chronologique par rapport au livret sans jamais nous contenter de survoler la moindre scène. Nous pouvons ainsi être amenés à refaire trente fois la même scène en trois heures pour essayer d'en tirer la quintessence. Ce soir, nous arrivons au terme de notre dixième jour de répétitions et nous aurons terminé de monter le premier acte. Pour l'acte II, je crois pouvoir imaginer que des répétitions longues et difficiles attendent les rôles de Julia et Licinius, très présents sur scène. J'ai eu l'occasion de voir Ermonela Jaho dans les scènes du premier acte. Éric lui demande de chanter dans des positions particulières et le rôle de Julia est très difficile vocalement. Il demande un gros investissement. Ce sera vraiment une performance pour Ermonela ! C'est d'ailleurs la première fois que je travaille avec elle et je l'apprécie beaucoup.
* Andrew Richards chante le rôle de Licinius dans La Vestale.

 

Jean-François Borras chante le rôle d'Edgardo di Ravenswood dans <i>Lucia di Lammermoor</i> au Teatro Verdi de Trieste en juin 2011.  D.R.

Jean-François Borras dans <i>Norma</i> à l'Opéra de Nice en 2006.  D.R.

Vous chantez le rôle du chef de légion Cinna, ami et confident de Licinius. Quelle est votre approche du personnage ?

Cette Vestale est une histoire d'amour qui n'est pas située dans un temps défini. Éric a voulu exprimer une dimension intemporelle. Cinna est effectivement l'ami de Licinius. Comme lui, il est soldat. Dans la première scène, il voit son ami un peu dépressif et désarmé par rapport à ce qu'il ressent pour la jeune vestale. Il devrait pourtant être heureux d'avoir gagné une guerre difficile et Cinna ne comprend pas son comportement. Mon rôle est alors celui de l'ami qui est présent à ses côtés pour le soutenir et même imposer ce soutien contre sa volonté.

 

Jean-François Borras chante Flavio dans <i>Norma</i> à l'Opéra de Nice en 2006.  D.R.

Sur le plan musical, comment exprimez-vous cette situation ?

Sans atteindre la précision des indications que Puccini a placées dans ses œuvres, Spontini indique un certain nombre de couleurs sur sa partition. Cela se traduit par des indications sur la dynamique de l'orchestre et même du chant. Par ailleurs c'est sur ce niveau expressif qu'intervient la complémentarité que nous apportent Jérémie Rohrer et Éric Lacascade. De même, en tant qu'interprète, j'utilise l'expérience musicale acquise durant l'étude de la partition de mon côté, bien avant la rencontre avec le metteur en scène. Rassembler ces différents apports lorsqu'on commence à travailler dans un théâtre est une étape passionnante. Qui plus est, Éric et Jérémie avancent main dans la main pour nous proposer un travail particulièrement cohérent.

 

Jean-François Borras dans <i>Robert le Diable</i> mis en scène par Laurent Pelly au Royal Opera House en 2012.

<i>Robert le Diable</i> est disponible chez Opus Arte.

Robert le Diable enregistré à Covent Garden en décembre 2012 est sorti récemment en Blu-ray et DVD. Vous y interprétez le rôle de Raimbaut dans la mise en scène de Laurent Pelly. Quels souvenirs gardez-vous de cette production ?

Robert le Diable est un beau souvenir. Cet opéra a marqué mes débuts à Covent Garden. J'étais très heureux de pouvoir chanter dans cette maison d'opéras mythique qu'est le Royal Opera House. Souvent les opéras sont donnés dans des salles qui sont surdimensionnées. La taille de l'Opéra Garnier est parfaite pour le chant. Avec Covent Garden, comme avec l'Opéra Bastille où j'ai chanté, on est confronté à des dimensions bien plus vastes. Mais j'ai trouvé l'acoustique de cette salle merveilleuse, aussi bien en tant que chanteur que spectateur, lorsque j'ai assisté à deux représentations. J'ai ressenti sur cette scène un vrai plaisir de chanter. On bénéficie d'un certain retour de la voix et la sensation globale est vraiment très agréable.

Robert le Diable était aussi votre rencontre avec le metteur en scène Laurent Pelly…

C'était effectivement la première fois que je travaillais avec lui, et je peux vous garantir que son imagination ne s'arrête jamais. Il souhaitait que le spectacle soit amusant, espiègle, et cela a demandé environ six semaines de répétitions. Robert le Diable est un opéra de 5 Actes. C'est très long et énorme à monter, en même temps que très coûteux de par la démesure de l'opéra. Cette production était très attendue car peu de théâtres se risquent à un tel investissement. Toutes proportions gardées, les opéras de Meyerbeer étaient à l'époque de leur création, ce que représentent pour nous les superproductions hollywoodiennes. De nos jours, Robert le Diable est rarement repris. Daniel Oren, qui dirigeait l'orchestre à Covent Garden, avait voulu le monter tout d'abord à Salerne afin de se familiariser avec l'œuvre. Mais il s'agissait d'une version de concert. L'œuvre a aussi été montée en Allemagne en 2011 par Jean-Louis Grinda. Quoi qu'il en soit, nous nous situons très loin des valeurs sûres du répertoire actuel qui sont données un peu partout dans le monde… Alors je trouve que pour Robert le Diable, comme pour La Vestale ou Alceste que j'ai vu récemment à l'Opéra Garnier, c'est une bonne chose de revenir aussi sur ces œuvres passées de mode, même si certaines sont plus désuètes que d'autres.

 

Jean-François Borras interprète le rôle de Des Grieux dans <i>Manon</i> à l'Opéra Bastille en février 2012.  D.R.

Jean-François Borras chante <i>Faust</i> à l'Opéra de Graz en 2011.  D.R.

Pensez-vous qu'être un ténor français, particulièrement à l'aise avec la diction, représente aujourd'hui un avantage sur la scène internationale ?

C'est un avantage et, à ce jour, je chante bien plus à l'étranger qu'en France, tant en italien qu'en français. Il est vrai que j'ai fait mes débuts dans l'opéra français, mais à l'étranger : Roméo et Juliette à Trieste puis à Vérone, Faust à Graz, Manon à Rome puis à Valencia, avant de pouvoir le chanter à l'Opéra de Paris. Ma première Manon était à l'Opéra de Rome et j'ai eu la chance de travailler avec le chef d'orchestre Alain Guingal qui est exceptionnel pour l'opéra français, de telle sorte que cette expérience a été formidable. La mise en scène était réalisée par Jean-Louis Grinda* qui m'a en quelque sorte redécouvert grâce à cette production. En effet, si j'ai fait toutes mes études à Monaco, je n'y ai jamais chanté. Cette Manon nous a permis de nous retrouver par hasard. Tout s'est très bien déroulé et il m'a ensuite engagé pour une Traviata que j'ai chantée avec Sonya Yoncheva en janvier dernier. Dans quelques années Sonya et moi devons nous retrouver dans Manon à Monaco.
* Jean-Louis Grinda est Directeur général de l'Opéra de Monte-Carlo.

Dans quelques semaines, le 26 novembre, vous serez à l'Amphithéâtre Bastille pour un récital des mélodies de Reynaldo Hahn et Franz Liszt, mais aussi Biondina, un rarissime roman musical de Gounod pour ténor et piano. Comment abordez-vous cette œuvre ?

Je ne connaissais pas cette œuvre de Gounod, et j'ai commencé à étudier la partition il y a quatre ou cinq mois. M'investir dans une œuvre nouvelle est parfois délicat car je dois respecter un emploi du temps qui est basé sur la chronologie de mes contrats. Avec Robert le Diable et Le Vaisseau fantôme de Pierre-Louis Dietsch à Berlin, les derniers mois ont été riches en prises de rôles pour lesquels je devais prévoir le temps nécessaire à l'assimilation. De même, pour Biondina, je souhaitais me familiariser avec l'œuvre le plus tôt possible afin de m'en imprégner petit à petit. Je travaille parallèlement pour le même récital les Chants vénitiens de Reynaldo Hahn en dialecte vénitien. Une fois ce cycle de mélodies bien acquis, je pense demander à des amis qui habitent près de Venise de m'aider à parfaire ma prononciation. Je chanterai Hahn ainsi que les Élégies françaises de Liszt en première partie de récital, et Biondina en seconde.

 

Au second rang : Jean-François Borras (Pang), Marc Barrard (Ping) et Florian Laconi (Pong) dans <i>Turandot</i> à Orange en 2012.

Le texte de Biondina est écrit en italien or vous chantez habituellement Gounod en français. La différence est-elle importante par rapport à la pose de voix ?

La partition de Biondina propose également les paroles en français, mais je me suis intéressé dès le départ à la version italienne qui est celle généralement chantée, bien que très rarement. Ceci dit, je suis persuadé que cette œuvre, selon qu'elle est chantée en français ou en italien, sonne différemment. La langue est capitale. Autant ces deux langues sont relativement proches lorsqu'on les parle, autant elles sont extrêmement différentes lorsqu'on les chante. Bien sûr, dans tous les cas, on retrouve les couleurs propres à Gounod. Dans ce cycle, les douze mélodies se succèdent de très jolie façon pour nous raconter l'histoire de cette Biondina, depuis le moment où elle rencontre quelqu'un, jusqu'à sa mort.

Comparée à l'écriture vocale de Massenet, celle de Gounod passe pour être particulièrement difficile pour de nombreuses sopranos. Qu'en est-il pour vous ?

J'aime chanter Gounod mais je serais assez d'accord avec ce point de vue. La problématique de l'écriture vocale de Gounod est qu'elle utilise très souvent les voix comme des instruments et qu'il peut être difficile de pouvoir tenir vocalement. Par exemple, la scène du mariage de Roméo et Juliette est extrêmement exigeante avec sa succession de demi-tons sur "Sois béni". Les rôles de Gounod ne sont pas moins accessibles que ceux de Massenet, mais ils sont en réalité plus difficiles sur le plan vocal. Lorsque je chante Des Grieux dans Manon, un rôle qui n'est pourtant pas des plus faciles à chanter, aucune note ne me pose problème sur toute l'étendue de l'œuvre et le chant me vient facilement. Dans Roméo, certains moments sont extraordinaires, surtout si on les interprète comme Gounod le voulait, tels ces duos qui sont chargés de contrastes dynamiques et qui font passer du forte au pianissimo. Cela apporte toute la légèreté à cette musique, mais chanter ainsi est beaucoup plus sportif qu'interpréter un opéra de Massenet. Ceci dit, il faut relativiser car je ne connais aucun opéra français dans lequel la soprano et le ténor n'ont pas à s'impliquer à 200 % pour chanter !

 

Jean-François Borras dans <i>Manon</i> de Massenet à l'Opéra Bastille en 2012.  D.R.

Jean-François Borras.  D.R.

Pour ce récital, vous serez accompagné par le pianiste Marcelo Amaral…

Je n'ai pas encore rencontré Marcelo Amaral mais nous avons déjà communiqué par e-mails. Christophe Ghristi m'a chaleureusement recommandé Marcelo qui connaît parfaitement ce répertoire. Pour lui, nous devrions parfaitement être complémentaires sur le plan musical. Nous allons du reste très bientôt commencer à travailler sur l'interprétation. Je n'ai pas encore une grande expérience du récital et ce rendez-vous à l'Amphithéâtre Bastille sera le premier à être uniquement composé de mélodies. Les quatre récitals que j'ai donnés jusqu'alors étaient basés sur des airs d'opéra et quelques mélodies italiennes. C'est donc une vraie première pour moi.

En récital, quelle est la part de théâtralité que vous vous autorisez ?

Lorsque je chante l'opéra en récital, j'essaye toujours d'exprimer des émotions par le corps, quitte à m'inventer spontanément une sorte de mise en scène. Dans le cas de la mélodie, je pense qu'un certain comportement est de mise pour être en rapport avec une forme d'intériorité. J'attends en tout cas de la collaboration avec Marcelo Amaral de trouver un équilibre qui sera à la fois le plus juste pour moi, mais aussi pour le public.

Aimeriez-vous que ce premier récital basé sur la mélodie soit suivi d'autres ?

Ce premier rendez-vous me permettra de savoir si une envie est née. Quoi qu'il en soit, préparer des mélodies demande du temps. Il en va de même pour les airs d'opéras, bien sûr, mais la mélodie réclame un gros travail intellectuel qui ne peut être mené à bien qu'avec le temps. Mon planning actuel me fait déjà jongler pas mal entre les répétitions, les voyages et les représentations d'opéras. Le cas échéant, il me faudra donc pouvoir dégager des moments à consacrer au travail de recherche sur les mélodies.

Avec La Vestale et Biondina, vous choisissez de vous exprimer dans des œuvres peu représentées. Or peu d'artistes acceptent de s'investir ainsi sans avoir l'assurance de rentabiliser l'étude d'un rôle…

Je crois ne jamais avoir pensé de cette façon, et tout me porte à croire que mieux vaut ne jamais dire "jamais". Je vais vous donner un exemple… Il y a cinq ans, j'ai accepté de chanter Giovanna d'Arco, un opéra de Verdi très peu monté. Je l'ai joué en scène à Rouen et, dans les cinq années qui ont suivi, je l'ai déjà repris quatre fois, ce qui fait de moi le seul ténor à avoir chanté cet opéra à plus de deux reprises ! Après les représentations de Rouen, j'ai chanté Giovanna d'Arco en concert en Tchécoslovaquie, pour le reprendre en septembre 2012 à Graz, et l'été dernier dans le cadre du festival della Valle d'Itria à Martina Franca avec Jessica Pratt. Pas plus tard que ces derniers jours, j'ai dû refuser une représentation à Hambourg à la suite de l'annulation d'un de mes confrères. J'étais en répétitions pour La Vestale et il m'était impossible d'honorer cette proposition… Béatrice et Bénédict de Berlioz appartient à cette même catégorie des opéras rares et j'aimerais beaucoup pouvoir le reprendre sans tarder car cette œuvre m'a réellement touché. Bien entendu, il est toujours plus facile de refaire des Roméo, des Bohème et des Traviata !

Jean-François Borras dans <i>La Traviata</i> à l'Opéra de Monte Carlo en 2013.  D.R.

Vers quels compositeurs et rôles souhaitez-vous évoluer ?

Après Manon qui, je crois, me convient bien, Roméo, Faust et Lakmé* que j'adore et que je reprendrai à Toulon en 2014, il me manquait Werther. J'ai attendu pendant des années l'occasion d'interpréter ce rôle… Or j'ai eu la chance, après Robert le Diable à Covent Garden, de me voir proposer d'être la doublure de Jonas Kaufmann dans Werther au Metropolitan Opera en janvier prochain. Cette opportunité va donc me permettre de travailler au Met, d'être présent à toutes les répétitions et d'aller en profondeur dans ce rôle, entouré de toute une équipe. Je n'aurai pas nécessairement l'occasion de chanter mais je me réjouis d'apprendre ce rôle dans ce cadre. Alain Altinoglu dirigera l'orchestre et j'ai appris il y a quelques jours que Sophie Koch remplacerait Elīna Garanča qui était distribuée Initialement…
J'ai toujours refusé Don José car je suis très conscient que si la voix n'est pas prête pour aborder pleinement le dernier acte de Carmen, ce rôle peut être dangereux. Même chose pour le rôle écrasant d'Hoffmann, excessivement long et difficile. Mais, avec la maturité, ce sont peut-être des opéras que je vais pouvoir envisager. Tout dépend également de l'endroit où je suis susceptible de chanter, avec quel orchestre et sous la direction de quel chef… J'aimerais aussi pouvoir aborder quelques rôles avant de ne plus pouvoir les chanter comme Nemorino dans L'Élixir d'amour.
* Retrouvez l'air de Gérald tiré de Lakmé par Jean-François Borras à la fin de cette interview.

Prenez-vous conseils avant de faire ces choix difficiles ?

Bien sûr, je demande toujours conseil à mon professeur à l'Académie de Monaco. Michèle Command, avec laquelle j'ai aussi travaillé, se montre toujours de bon conseil. Par exemple, lorsqu'on m'a proposé Béatrice et Bénédict, elle m'a assuré que le rôle était totalement fait pour moi, et elle a eu absolument raison de m'inciter à le chanter car c'est effectivement un rôle extraordinaire. Il me semble toujours important de prendre conseil avant une décision car certains rôles sont parfois écrits à cheval entre deux tessitures. La réflexion devient d'autant plus importante. J'ai refusé L'Africaine car j'ai bien vu à la lecture de la partition que cet opéra n'est pas écrit pour ma voix. De la même façon, je ne chante pas Tosca même si j'adore interpréter en concert les airs de cet opéra. Mais de telles œuvres ne se résument pas à seulement quelques airs, et il faut tenir sur toute la durée. Il est très important de tout considérer avant de faire un choix, d'autant que les chanteurs sont aujourd'hui plutôt poussés à chanter tout et n'importe quoi, et très rapidement ! Certains s'en sortent, d'autres moins bien. Pour moi, le chant est une vraie passion pour laquelle je me suis battue. Avant de pouvoir vivre du chant, j'ai travaillé 8 ans au casino de Monaco pour assurer le quotidien. Aujourd'hui, la crise aidant, une carrière est risquée car le métier est en difficulté. Il s'agit d'autant plus de ne pas faire n'importe quoi.

Jean-François Borras (face à Roberto Alagna) chante le rôle de Pang dans <i>Turandot</i> aux Chorégies d'Orange en 2012.

Quels seront vos grands rendez-vous de la saison ?

Après La Vestale, je partirai à Graz pour la reprise d'une production de La Bohème dans laquelle j'ai déjà chanté, avant de m'envoler en novembre pour le Brésil, à São Paulo, pour une autre Bohème. Je reviendrai ensuite à Paris le temps du récital à l'Amphithéâtre Bastille, avant de repartir au Brésil. Il se trouve que ce contrat avec le Théâtre Municipal de São Paulo est arrivé après celui du récital. Quoi qu'il en soit, je tiens absolument à ce concert et j'ai obtenu de pouvoir faire cette parenthèse parisienne. Bohème m'occupera jusqu'à la fin de cette année et, dès le premier trimestre 2014, je serai au Met de New York pour ce Werther dont je vous ai parlé. Je devrais aussi retourner à Tel Aviv pour une reprise du Rigoletto que j'avais chanté il y a deux ans. Le 23 mai, je serai à Marseille pour une Messa di gloria de Puccini. Je ferai ensuite mes débuts dans Dialogues des carmélites à Santa Cecilia à Rome…
D'autres projets sont en discussion, en particulier en Italie où je travaille beaucoup. Nombre d'entre eux se décident au dernier moment. Des dates plus lointaines sont en revanche déjà retenues : Lucia à Avignon en 2016, Manon en 2017 à Monaco. Peut-être aurai-je l'occasion de débuter auparavant dans Un Bal masqué à Metz. Entre trois semaines et un mois et demi sont nécessaires pour l'apprentissage d'un nouveau rôle. Bien sûr, je n'ai jamais un tel temps, et j'étudie le plus souvent en parallèle des productions. Cet été, j'ai eu 15 jours d'affilée à moi pour la première fois depuis six ans. Cette carrière de chanteur demande de l'organisation !


Propos recueillis par Philippe Banel
Le 10 septembre 2013

 

 

Nous retrouverons Jean-François Borras le 26 novembre dans un récital particulièrement original présenté dans le cadre de la série Convergences programmée à l'Amphithéâtre Bastille par Christophe Ghristi. Accompagné au piano par Marcelo Amaral, il interprétera les Chants vénitiens de Reynaldo Hahn, les Élégies françaises de Liszt et Biondina de Gounod. Plus de renseignements ICI



Consultez l'agenda de Jean-François Borras sur Operabase :
www.operabase.com

 

 

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