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Interview de Jean-Claude Auvray, metteur en scène d'opéra

Jean-Claude Auvray.  © Christian Leiber/ONP

 

Avec quelque 160 mises en scènes d'opéras produites sur les plus grandes scènes du monde, le metteur en scène Jean-Claude Auvray est une personnalité incontournable du monde lyrique. Riche d'une carrière extraordinaire faite de rencontres, d'associations, de succès mais aussi de déceptions qu'il sait analyser, nous le rencontrons pour une discussion à bâtons rompus alors qu'il prépare pour les Chorégies Un Bal masqué de Verdi dont ce sera la première représentation à Orange cet été.

 

 

Les Chorégies d'Orange présenteront Un bal masqué de Verdi mis en scène par Jean-Claude Auvray les 3 et 6 août 2013. Kristine Lewis, qui fait ses débuts à Orange, chantera le rôle d'Amelia, Sylvie Brunet, celui d'Ulrica et Anne-Catherine Gillet sera Oscar aux côtés de Ramón Vargas, Lucio Gallo et de Nicolas Courjal, pour les principaux rôles masculins. L'Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine sera dirigé par Alain Altinoglu.
À noter : Cette production sera retransmise sur France 2 le 6 août 2013.


Vérone, Orange, Aix-en-Provence… Vous avez l'habitude de travailler pour de grands espaces ouverts. Comment a débuté votre expérience dans ce domaine ?

J'ai commencé à Vérone comme quatrième assistant de Jean Vilar. À l'époque j'étais inscrit au cours Dullin pour devenir acteur. Après avoir perdu la vision de l'œil gauche dans un accident de voiture, j'ai préféré m'orienter dans la mise en scène de théâtre. Puis, la révélation de l'opéra est venue avec Boris Godounouv

 

Boris Godounov, un curieux départ pour aimer l'opéra !

À la fin des années soixante, chaque Printemps se déroulait à Paris le Festival des Nations qui, parallèlement, proposait une université. J'ai postulé et j'ai été admis en première année. Jorge Lavelli était en dernière. Tous les soirs nous allions voir un spectacle, et c'est ainsi que j'ai assisté à Boris Godounov présenté par l'Opéra de Zagreb. Cette production très traditionnelle m'a fait prendre conscience que la mise en scène d'opéra était faite pour moi. J'ai ensuite tout fait pour devenir assistant de Jean-Pierre Ponnelle, de Margharita Wallmann et surtout de Giorgio Strehler, mon maître ! Mais, à cette époque, j'étais toujours chez Dullin et je voyais Jean Vilar à la cantine. Là j'apprends qu'il devait monter Don Carlo à Vérone. J'arrive donc un jour avec une partition de Don Carlo à la main, m'arrangeant pour être le plus près possible de sa table. Il me remarque et m'appelle pour me demander si je suis musicien. Je réponds "non", mais que j'aime beaucoup cet opéra. Le lendemain, il me proposait d'être son quatrième assistant à Vérone durant l'été. C'est ainsi que j'ai rencontré Montserrat Caballé…

 

L'imposant décor de Mario Garbuglia pour  <i>La Gioconda</i> aux Arènes de Vérone en 1988.  Courtesy of Fondazione Arena di Verona

Giovanna Casolla dans <i>La Gioconda</i> aux Arènes de Vérone en 1988.  D.R.

 

Robe de Jacob Jost pour <i>La Gioconda</i> mis en scène en 1988 par Jean-Claude Auvray aux Arènes de Vérone.  D.R.

En 1988, vous êtes revenu à Vérone pour monter votre propre mise en scène…

En quittant Vérone, j'avais eu le malheur de dire que je reviendrais aux Arènes pour monter mon propre spectacle, peu importe l'œuvre ! Et c'est pour La Gioconda que je suis revenu, un opéra que je n'aime pas hormis le dernier Acte. C'est du reste le seul Acte que je revendique dans cette production car je suis arrivé en catastrophe après la défection du metteur en scène engagé. Le décor avait déjà été commandé à Mario Garbuglia, qui travaillait alors beaucoup avec Visconti, et les costumes à Jacob Jost. La marge de manœuvre qui était la mienne était donc extrêmement réduite. Heureusement je me suis très bien entendu avec Giovanna Casolla qui chantait Gioconda. Elle pouvait pourtant se montrer parfois terrible avec ses partenaires, mais cette complicité m'a permis de mettre en scène la dernière partie de l'opéra comme je l'entendais et de m'inspirer de l'émotion que diffusait Elena Souliotis, que je connaissais fort bien, dans l'air "Suicidio". Cet Acte demeure le seul bon souvenir que je garde de cette production que je considère comme bien peu mienne.

Lorsqu'on a mis en scène, comme vous, un grand nombre de productions d'opéras, on est amené à travailler plusieurs fois sur le même opéra pour des théâtres différents. Abordez-vous ces œuvres avec un esprit de continuité par rapport à ce que vous avez déjà créé ou bien essayez-vous de trouver un angle différent ?

Cette question appelle de multiples réponses et, croyez-moi, je me la suis posée de nombreuses fois. Si une production a très bien marché et que le succès est tant public que critique - ce qui a été le cas pour moi avec une Traviata, une Force du Destin à l'Opéra de Montpellier et mes premières Carmen - on se dit que mieux vaut améliorer certaines choses sans s'éloigner du chemin déjà balisé. La pente est glissante et mieux vaut rester sur les rails, non par paresse, mais plutôt par besoin de sécurité. Cela peut être parfois un bon choix, parfois un mauvais, comme ma Force du Destin à l'Opéra Bastille en 2011. Non que je renie cette production, mais ce spectacle avait tellement bien marché à Montpellier en 1993, qu'avec le décorateur Alain Chambon, nous sommes repartis sur les mêmes bases. Or il n’aurait pas fallu oublier que ce superbe succès qualifié de novateur, datait justement de 1993 ! Compte tenu des capacités et de la technologie de Bastille, qui ne sont pas celles du Corum de Montpellier, l'inventivité de la création ne fonctionnait plus de la même façon 20 ans après. Le public a pourtant très bien accueilli cette production, mais pas la critique parisienne. Était-ce un règlement de compte visant Nicolas Joel ? Quoi qu'il en soit, personne n'a tenté de voir ce qui pouvait être digne d'intérêt dans ce que je proposais, oubliant sans doute qu'on ne peut pas faire n'importe quoi avec La Force du Destin car cet opéra est particulièrement fragile et certains traitements scéniques peuvent lui être fatals. À Paris, je crois que les critiques attendent l'originalité à tout prix. Il faut surprendre en permanence, et tant pis si le public ne suit pas…

 

Scène de <i>La Force du Destin</i> mis en scène par Jean-Claude Auvray en 2011.  © Opéra national de Paris/Andrea Messana

 

<i>Don Carlo</i> à Orange en 1990. Effet de lumière rouge projetée au sol au moment de l'autodafé. À la fin de l'opéra, la croix est abaissée et prend la place de la lumière. Lle Grand Inquisiteur avance…

Vous avez pourtant monté deux Don Carlo différents à Orange avec le même succès…

Effectivement, en 1984, le premier avait été couronné de succès. Lorsqu'il s’est agi du deuxième, 6 ans plus tard, je n'ai pas voulu travailler à nouveau avec Jean-Paul Chambas qui est peintre avant d'être décorateur de théâtre. Je pensais qu'après avoir élaboré ensemble une scénographie, revenir quelques années après sur le même opéra serait, pour lui, en quelque sorte renier ce qu'il avait exprimé dans la première production. Mais, à l'époque, je n'ai pas trouvé de décorateur avec lequel j'aurais pu construire une nouvelle vision de cet opéra et j'ai donc décidé de signer moi-même le décor. J'ai été assisté pour cela par un excellent assistant scénographe qui a réalisé les plans et la maquette sur mes instructions. Cette seconde production a aussi très bien marché. Il faut dire que je bénéficiais d'un casting extraordinaire…

Comment abordez-vous une mise en scène quand, par le passé, votre travail n'a pas été apprécié ?

Si un spectacle n'a pas marché du tout, je repars à zéro. S'il a marché moyennement, je réfléchis en quoi je peux l'améliorer, ce qui aboutit parfois à un bien, parfois à un mal. En général, cette solution n'est pas souhaitable.

 

<i>Don Carlo</i> mis en scène par Jean-Claude Auvray à Orange en 1990. © Philippe Gromelle

Vous avez également souvent mis en scène Carmen…

J'ai effectivement mis en scène onze Carmen avec le décorateur Bernard Arnould, dont six étaient des répliques de productions que nous avions déjà montées. Tout cela a toujours très bien marché, mais nous avons décidé tous les deux de nous arrêter là pour nous consacrer à quelque chose de plus original. Puis est arrivée une proposition de Munich. J'ai décidé de travailler sur cette nouvelle production avec le décorateur Hubert Monloup. Cette Carmen se déroulait à Cuba et, sur le papier comme sur la maquette, cela fonctionnait très bien. Mais, par la suite, la réalisation n'était pas terrible, la distribution non plus, le chef était un désastre et, au final, cela n'a pas marché. Pourtant cette production était tout à fait originale et n'avait absolument rien à voir avec les dix précédentes. Comme quoi, on ne sait jamais. Toutefois, avec l'expérience, je ne veux plus faire deux fois de suite la même chose. Malgré tout, j'ai oublié cette sage décision pour La Force du Destin à l'Opéra Bastille en voulant être fidèle à la fois au succès de Montpellier et en associant à cette reprise le même décorateur.

<i>La Force du Destin</i> à l'Opéra Bastille.  © Opéra national de Paris/Andrea Messana

Cette Force du Destin à Bastille était importante ?

Après le succès de ma mise en scène de Cavalleria Rusticana et Paillasse à Orange, Nicolas Joel m'a téléphoné pour m'offrir une production à l'Opéra Bastille. À vrai dire, je n'étais pas emballé à l'idée de refaire une Force du destin, mais c'était ça ou rien ! Je dois vous avouer que j'attendais depuis un certain nombre d'années de travailler à Bastille ! Après 160 mises en scène, un Cosi fan tutte à l'Opéra Comique et une Tosca qui s'est jouée au Palais Garnier 6 ans de suite, j'attendais de créer quelque chose à Bastille… Il y avait pourtant bien eu une tentative sous la direction de Jean-Marie Blanchard. Il souhaitait reprendre à Bastille ma production de Tosca créée pour Garnier, et peut-être même me confier par la suite un Manon Lescaut. Nous avons donc discuté des dates, de mon cachet, de la distribution. Tout allait bien. Quinze jours après, on m'appelle - une situation typiquement française - pour me dire qu'on ne savait plus où étaient passés les décors ! Jean-Marie Blanchard a préféré engager un autre metteur en scène pour monter Tosca et, comme il n'est pas resté en poste, je n'ai pas fait non plus Manon Lescaut, projet resté au stade de l'évocation…

 

Eva Lind sur la scène de l'Opéra de Bâle en 1985, entourée d'Edouardo Villa (à droite) et d'Anton Diakov (à gauche) dans <i>Lucia di Lammermoor</i>.  D.R.

Quels sont les chanteurs qui vous ont le plus impressionné durant votre carrière de metteur en scène ?

À vrai dire, peu de chanteurs m'ont beaucoup impressionné. Je citerais la soprano anglaise Valerie Masterson avec laquelle nous avons travaillé sur notre première Bohème à tous les deux. Et, bien sûr, Alexia Cousin qui a été ma Blanche dans Dialogues des carmélites, un rôle vraiment fait pour elle. Un peu avant, il y avait eu à près le même phénomène lié à jeunesse de l'interprète avec la soprano autrichienne Eva Lind. Elle avait été engagée par Armin Jordan qui était Directeur à l'Opéra de Bâle. Elle n'avait encore jamais chanté Lucia et j'étais présent lors de son audition. Je me souviens parfaitement l'avoir entendue chanter à la suite les deux airs de Lucia et les deux airs de la Reine de la nuit de La Flûte enchantée. Elle a été engagée immédiatement et la Lucia di Lamermoor que nous avons donné a été qualifiée par la critique de Lucia d'anthologie. De nombreux journalistes s'étaient déplacés et l'ont découverte à cette occasion. Elle aimait la scène, avait un talent fou et savait tout sur le plan scénique sans l'avoir jamais appris. De plus, âgée de 20 ans, elle n'était pas belle mais sublime…

Vous parlez de sopranos. N'avez-vous jamais été impressionné par des artistes masculins ?

Bien sûr que si. J'ai monté Un Bal masqué à Nice dans lequel chantait un jeune baryton italien : Vittorio Vitelli qui, du reste, mène une carrière très honorable. Avec lui, travailler était un plaisir car il était intelligent et aimait s'investir dans ce qu'il faisait. Croyez-moi, ce n'est pas si courant…

 

<i>Elektra</i> mis en scène par Jean-Claude Auvray à Orange en 1991.  © Philippe Gromelle

Qu'attendez-vous lorsque vous êtes face aux chanteurs ?

J'adore les chanteurs et leur fragilité me touche. Mais j'attends toujours une rencontre comme celles que je viens de vous décrire et je suis souvent déçu. Lorsque je dois rencontrer un chanteur je ressens toujours une appréhension et je reste toujours sur mes gardes car, pour moi, une mise en scène est d'abord une rencontre humaine. Je pense qu'un metteur en scène doit rester modeste et se mettre à la disposition des chanteurs. Il est inutile de vouloir apprendre aux artistes ce qu'ils savent, mais il faut utiliser cette connaissance et essayer de l'enrichir un peu plus. J'ai commis un jour une grave erreur, et cela m'a servi de leçon. C'était lors d'une Elektra à Orange avec Gwyneth Jones. J'étais tellement fou de travailler avec elle et de monter cet opéra qui n'avait encore jamais été donné aux Chorégies, que j'avais totalement occulté le fait que sa carrière l'avait amenée à chanter un très grand nombre de fois le rôle d'Elektra. Elle s'était déjà forgée une Elektra, or je voulais lui révéler ce personnage. Gwyneth Jones a pris une bonne partie de ce que je lui proposais, mais je n'aurais pas dû faire abstraction de tout ce qu'elle avait acquis et construit en chantant cet opéra dans plusieurs productions. Je n'ai ensuite jamais reproduit cette erreur et je me mets systématiquement à l'écoute de ce qu'un chanteur peut me proposer avant de lui demander d'être à l'écoute de ce que je vais lui demander. Avec doigté et psychologie, je tente d'amener leurs wagons sur mes rails.

Y a-t-il des chanteurs actuels avec lesquels vous aimez particulièrement travailler ?

Sylvie Brunet interprète le rôle d'Ulrica à Avignon dans <i>La Force du Destin</i> mis en scène par Jean-Claude Auvray.  @ ACM-Studio-DelestradeBien sûr, et je pense en particulier à deux chanteuses que j'apprécie beaucoup : la mezzo-soprano Sylvie Brunet et la soprano Anne-Catherine Gillet. Nous entretenons avec Sylvie une relation humaine très riche. Je vois en Anne-Catherine une artiste au potentiel important qui est en droit de viser une carrière internationale. Mais c'est maintenant qu'elle doit être reconnue. Je suis heureux d'avoir appris récemment qu'elle va débuter dans La Traviata. Voilà un moment que je lui conseille ce rôle. Je suis particulièrement heureux de retrouver ces deux belles artistes dans Un Bal masqué à Orange. Sylvie Brunet chantera le rôle d'Ulrica et Anne-Catherine Gilet, celui d'Oscar.

Quel regard portez-vous sur la programmation actuelle des grandes maisons d'opéra ?

En général, je trouve qu'aujourd'hui, les Directeurs de théâtres suivent la logique suivante : si la maison n'a pas programmé Turandot depuis 10 ans ou La Bohème depuis 8 ans, on les programme à nouveau. Or, si j'étais Directeur, ce que je n'ai jamais voulu être, je monterais un opéra en fonction d'un artiste. Si je pouvais engager une chanteuse faite pour Aida, je programmerais Aida pour elle. Il me paraît aberrant de décider de présenter un Otello en 2015 et de voir ensuite qui le chantera. C'est avant tout l'artiste fait pour un rôle et disponible qui doit présider à un choix de programmation. À l'Opéra de Bâle, telle était la politique d'Armin Jordan et du Directeur du théâtre Horst Statkus. Ils montaient des opéras en fonction des artistes qu'ils trouvaient l'année précédente. Naturellement, dans ces conditions, la programmation se faisait environ 1 an avant et non plusieurs années, comme c'est souvent le cas aujourd'hui.

Anne-Catherine Gillet interprète Blanche dans <i>Dialogues des carmélites</i> mis en scène par Jean-Claude Auvray à Avignon en 2011. @ ACM-Studio-Delestrade

 

 

 

 

Vous avez dit être heureux de retrouver Ramón Vargas pour votre Bal masqué à Orange. Quels souvenirs gardez-vous de votre collaboration avec le chanteur ?

Lorsque j'ai mis en scène La Bohème dans les années 1990, il était en troupe à l'Opéra de Lucerne à la même époque que Ludovic Tézier. Tous deux étaient dans la production que je montais, très à l'écoute de ce que je pouvais leur proposer : Ramón chantait Rodolfo et Ludovic, Marcello… En 1995, j'ai mis en scène un Macbeth à l'Opéra de Montpellier. J'avais suggéré à Henri Maier, qui était Directeur, d'engager Ramón Vargas pour le rôle de Macduff. Et la première de Macbeth a été mémorable. C'est la première fois qu'à Montpellier on voyait Macduff bisser un air tant Vargas était magnifique ! Depuis je l'ai perdu de vue mais j'ai suivi sa carrière. Je sais qu'il a traversé de lourdes épreuves familiales qui m'ont toujours dissuadé de prendre de ses nouvelles. Mais je me réjouis de le retrouver après ces années et de pouvoir travailler prochainement avec lui à Orange. J'espère seulement qu'il sera bien là car je voulais lui faire une surprise en allant le voir récemment dans Don Carlo, et la surprise était pour moi, car il ne chantait pas !

Comment abordez-vous votre Bal masqué aux Chorégies d'Orange ?

J'ai dû faire mon premier Bal masqué en 1994 ou 1995 à Lausanne et cette production a circulé depuis dans plusieurs théâtres français, dont Nice pour finir par Marseille en 2008 avec la formidable soprano Micaela Carosi. J'avais confié la scénographie de cette production à Alain Chambon. Bien entendu, après la déconvenue de La Force du Destin à l'Opéra Bastille, il n'était pas question pour moi de refaire la même erreur en travaillant à nouveau avec la même personne et j'ai choisi un décorateur qui n'avait jamais encore travaillé à Orange. C'était le seul moyen pour travailler sur une conception entièrement différente de ce que j'avais réalisé par le passé. De plus, je trouve exaltant de monter aujourd'hui ce Bal masqué qui n'a jamais été donné aux Chorégies.

 

Les Chorégies d'Orange en 2006 accueillent le <i>Requiem</i> de Mozart.  © Philippe Gromelle

Présenter le premier Bal masqué à Orange représente-t-il un risque ?

Ce risque ne tient pas seulement au fait qu'il s'agit d'une première mais que ce soit en plein air car ce n'est pas un opéra qui s'y prête. Un Bal masqué est constitué de nombreuses scènes mais pas de grandes scènes qui font intervenir des masses humaines, à part le bal final. Ceci étant, Aida, en dehors du triomphe, ne comporte pas de scène à grand spectacle. Mais sa réputation fait qu'on donne cet opéra dans de grands espaces. Un Bal masqué est également difficile en raison d'aspects techniques purement liés à la musique. Dans l'Acte III, Verdi présente tout d'abord la fameuse scène intime d'Amelia et de Renato, lorsqu'ils rentrent chez eux après le coup fourré. Ensuite intervient l'air du ténor avant le bal masqué. Dans les mises en scènes dites traditionnelles, le décor en avant-scène est assez réduit et tous les chœurs se placent dans le grand espace dévolu à l'arrière de la scène. Cela permet une transition rapide de l'intime au spectaculaire, d'autant que la partition ne ménage aucune pause à ce moment et enchaîne directement avec le bal… À Orange, comment faire rentrer 90 choristes et les placer en position pour chanter en seulement cinq mesures ? Il n'y a aucun moyen, et les chœurs sont obligés de se placer sur l'espace scénique pendant la cabalette du ténor avec l'intervention d'Oscar. En cela résidait pour moi la grosse difficulté d'Un Bal masqué à Orange. Ajoutons qu'aux Chorégies, la scénographie n'est pas spécialement facile si vous décidez de monter autre chose que Les Troyens !

Vous avez annoncé votre Bal masqué comme une déclaration d'amour au théâtre que vous aimez tant…

C'est vrai, mais n'y voyez tout de même pas un ouvrage posthume ! Mais ce Bal est sans doute ma dernière mise en scène à Orange.

Pour quelle raison ?

Eh bien, j'ai dépassé les 70 ans, et physiquement, Orange est difficile. Je suis un metteur en scène physique et j'ai besoin d'une relation directe, corporelle, avec les chanteurs, aussi bien les solistes que les chœurs. On voit à Vérone des metteurs en scène âgés qui ne peuvent faire autrement que rester dans les gradins et qui envoient trois assistants pour bouger les gens sur la scène ! En ce qui me concerne, si je ne palpe pas, si je ne participe pas et si je ne peux pas établir un contact physique avec les chanteurs, je ne peux pas mettre en scène. Je cours, je vais, je viens et tout cela est très physique. Orange, cet été, sera donc un test à cet égard. Ceci dit je ne m'engage pas dans cette production sans une certaine appréhension, non par rapport à l'ouvrage ou à ma propre conception de l'opéra, mais par rapport à ma résistance physique, mon endurance.

 

Combien de temps avez-vous pour monter Un Bal masqué à Orange ? Comment organisez-vous les répétitions ?

Je n'ai que 15 jours. C'est une folie ! On a au minimum trois semaines dans les théâtres les moins bien lotis. Je commencerai le 18 juillet dans un gymnase avec les solistes, et les chœurs arriveront le 22. J'aurai ensuite 6 jours de répétitions sur scène à partir du 23 juillet. Viendront ensuite deux jours de répétitions scène-orchestre, la générale piano, puis la générale, le 1er août. De plus, Ramón Vargas n'arrivera que le 21 juillet et nous devrons placer les lectures musicales ce jour-là. Il est impossible de les faire sans le ténor ! Ce rythme est infernal, mais ce n'est en aucun cas une nouveauté pour Un Bal masqué. Lorsque j'ai monté Don Carlo et Cavalleria Rusticana/Paillasse pour Orange, c'était exactement la même chose. Il est bien sûr nécessaire d'arriver à Orange préparé car, contrairement à un théâtre, vous n'avez pas la possibilité d'essayer quelque chose. Vous devez savoir ce que vous allez faire et, si vous vous trompez, la marge de correction sera assez réduite.

 

Kristin Lewis interprète le rôle d'Amelia dans <i>Un Bal masqué</i> au Teatro Regio de Parme en 2011.

La soprano américaine Kristin Lewis va faire ses débuts à Orange dans le rôle d'Amelia. Lui donnerez-vous un conseil ?

Je ne sais pas si je me permettrais de lui donner un conseil à part celui de s'économiser au maximum. En revanche, j'espère qu'elle viendra vers moi si quelque chose ne lui convient pas, car seul un chanteur heureux chante bien. Je sais déjà que je ne lui demanderai pas de chanter le fameux air "Ecco l'orrido campo" en salle de répétition. Car travailler sans la pente de scène exacte, sans la référence que constituent les murs, les portes et les entrées aboutit à tout refaire lorsqu'on se trouve sur scène. Alors pourquoi la fatiguer ? De même, j'ai l'intention de demander aux chanteurs de ne pas chanter pendant les répétitions. Bien sûr, ils se testeront mais en aucun cas ils ne doivent chanter à pleine voix pendant le travail de préparation. En répétition, il faut qu'un chanteur donne le minimum de voix afin de ne pas se fatiguer. Je ne suis en tout cas pas un metteur en scène qui demande aux artistes de chanter vraiment. Bien sûr, entendre une belle voix est un grand plaisir, mais je ne suis pas là pour me faire plaisir. Lorsque la mise en place est faite sur la scène, je tiens aussi à ce que les chanteurs puissent choisir le lieu qui leur semble le meilleur pour être à l'aise et j'adapte ma mise en scène à ce bien être qui est indispensable pour qu'ils puissent se sentir à l'aise. Roberto Alagna, pour ne citer que lui, sait très bien où se positionner et où ne pas se placer en fonction de l'acoustique. Bien entendu, je livrerai deux ou trois trucs à Kristine Lewis qui ne connaît pas encore les Chorégies. Contrairement à ce que l'on pense généralement - c'est Montserrat Caballé qui me l'a appris - il est très facile de chanter de dos à Orange car le mur amplifie le volume de la voix. Bien sûr, Caballé n'avait pas besoin de ça ! Quoi qu'il en soit, l'acoustique est très bonne à Orange : vous parlez à voix basse sur le plateau et les spectateurs assis au dernier rang vous entendent. Il faut d'ailleurs faire très attention à ce qu'on dit pendant les répétitions quand il y a du public sur les gradins !

 

<i>Boris Godounov</i> aux Chorégies d'Orange en 1985 : un des plus beaux souvenirs du metteur en scène Jean-Claude Auvray. Au moment de l'<i>Acte polonais</i>, 16 prêtres jésuites masquent quatre morceaux de la croix orthodoxe avec des draps noirs et la transforment en croix catholique.  Maquette de Bernard Arnould.  D.R.

Ne vous trouvez-vous pas face à une dichotomie difficile à gérer entre monter votre mise en scène et préserver le confort des chanteurs ?

Non, car je pense avoir maintenant acquis suffisamment d'expérience pour savoir ce qu'il ne faut pas demander aux chanteurs. Si, parfois, la mise en scène justifie qu'un chanteur s'allonge sur le dos pour chanter, il ne faut pas oublier que ce n'est pas un singe savant ! Faire rouler des chanteurs au sol en leur demandant de chanter ne fera pas de moi un merveilleux directeur d'acteurs. Mais la solution n'est pas non plus de placer sur une scène des chanteurs qui resteront figés car, s'ils s'expriment avec leurs cordes vocales, leur corps doit chanter en même temps. Le corps doit donc bouger aussi, mais pas d'une façon inconséquente ou ridicule qui mettra l'interprète en difficulté. Du reste, il est inutile de forcer un chanteur à faire quelque chose car, s'il s'exécute en répétition, à la première il sera maître à bord et fera ce qu'il voudra. Je tairai le nom d'un certain ténor auquel il est inutile de demander plus que ce qu'il accepte de vous donner car, de toute façon, il ne le fera pas sur scène. Avec certains artistes, vous comprenez très vite la mesure de ce que vous pouvez obtenir ou pas. Inutile de se casser la tête s'ils ne peuvent pas, ou ne veulent pas, pour les mauvais coucheurs.

 

<i>Fidelio</i> à Avignon en 2007. De gauche à droite : Anne-Catherine Gillet, Nicolas Cavallier, et Janice Baird.  © Cédric Delestrade/ACM-Studio

Lorsque nous avons rencontré la soprano Anne-Catherine Gillet, elle nous a confié que votre travail sur Dialogue des carmélites s'appuyait sur une importante documentation. Préparez toujours ainsi vos mises en scène ?

J'amasse toujours une documentation phénoménale. Cette habitude me vient de mon assistanat de Patrice Chéreau à l'Opéra de Paris sur Les Contes d'Hoffmann pendant l'ère de Rolf Liebermann. Un an avant les répétitions, je me rendais souvent chez lui pour travailler. Dans une pièce, il avait installé cinq tables. Chacune était consacrée à un ouvrage et accueillait des monceaux de bouquins, de documents et de maquettes. J'étais fasciné par tout cela et j'ai adopté cette façon de travailler. Depuis, lorsque je prépare une mise en scène, j'ajoute régulièrement des tas de choses que j'achète sans compter pour enrichir ma documentation. Je vous confirme qu'actuellement, il y a bien chez moi une table consacrée à Un Bal masqué !

Trouve-t-on des DVD sur votre table de travail ?

Ah non ! Seulement des disques et mêmes des dizaines de versions d'Un Bal masqué dans lesquelles je sélectionne un air ou un passage que je trouve meilleur dans une version particulière. Pour être très honnête, j'ai tout de même acheté un DVD de Paillasse avec Roberto Alagna avant de travailler avec lui sur ma version. Mais c'était expressément pour ne pas lui demander la même chose et surtout pour qu'on ne puisse pas m'accuser d'avoir repris des idées de cette production.

Pourquoi cette crainte d'être accusé de copier ?

En 1981, j'ai monté à l'Opéra de Bâle un Rigoletto mafieux inspiré de l'époque de la prohibition à New York dans lequel le Duc de Mantoue était Al Capone. Ce spectacle a très bien fonctionné et il a été joué pendant 3 ans. Mais, 3 ans après, le metteur en scène Jonathan Miller a situé son Rigoletto dans le même contexte pour sa production à l'English National Opera. Jonathan n'a jamais vu ma mise en scène mais cela n'a pas empêché certains de dire qu'il s'était inspiré de mon travail… J'essaye toujours d'éviter ce genre de situation.

Qu'avez-vous accumulé lors de la préparation d'Un Bal masqué ?

J'avais déjà rassemblé de nombreux documents pour mon premier Bal masqué, et voilà 2 ans que je cherche à nouveau en vue de la production d'Orange. Je dirais que c'est sans fin. Je fréquente les bibliothèques, je me rends dans des librairies spécialisées dans l'architecture ou l'histoire, je me renseigne… Par exemple, j'ai voulu me familiariser un peu avec le fonctionnement de l'Assemblée Nationale et du Conseil des Ministres pour m'en imprégner et revenir à l'idée première de Verdi qui s'inspirait du modèle suédois de Gustave III. Ma manière de fonctionner est de toujours essayer, dans mes mises en scène, de réaliser ce que j'aimerais voir si j'étais spectateur. Je rêvais par exemple de voir une Carmen à l'époque de Franco. Personne ne l'a montée ainsi, alors je l'ai mise en scène. Pour les sorcières de Macbeth, j'ai également réalisé ce que j'aurais aimé voir en les transformant en sorte de Nornes d'une civilisation finissante, vivant sur une accumulation de détritus de la société. Ce décor de décharge a d'ailleurs provoqué une bronca incroyable ! Lorsque j'ai une vision attachée à un opéra, il est évident que je vais vouloir l'exploiter. Mais ces idées ou celles issues de mes recherches doivent ensuite être confrontées au budget de la production. Or, à Orange, le budget n'est pas suffisant pour orienter mon Bal masqué vers une grande production historique.

 

Maquette de la scénographie de Rudy Sabounghi pour <i>Un Bal masqué</i> de Verdi mis en scène par Jean-Claude Auvray aux Chorégies d'Orange.  D.R.

Le sol de la scène va être décoré d'une reproduction du rideau de l'Opéra de Stockholm. Est-ce là un rêve ?

Non, car je ne l'avais pas rêvé en tapis de scène ! Raymond Duffaut* m'a proposé Un Bal masqué en 2009, lors de la conférence de presse de Cavalleria rusticana/Paillasse. J'ai répondu que ce serait alors ma dernière mise en scène à Orange puis, le lendemain, d'une façon peut-être un peu idiote, je me suis dit : "Rideau !", comme on tire le rideau. De plus on n'a jamais placé un rideau sur scène aux Chorégies. J'ai alors imaginé une sorte de rideau de théâtre qui se serait figé dans le temps, en quelque sorte fossilisé. Pour ce faire, on aurait moulé en atelier un véritable rideau afin de le réaliser en plaques de fibro-glace, ce qui aurait constitué une structure offrant la possibilité de faire apparaître et disparaître Ulrica en utilisant les qualités translucides du matériau. Mais, la dernière saison a été marquée par un problème de décor pour Turandot. Dans cette production, le palais reprenait la texture du mur des Chorégies, mais 3 mètres devant le vrai. Ce mur déporté aurait été la cause de tous les maux rencontrés par Roberto Alagna. Raymond Duffaut a donc demandé de ne plus recourir à des constructions verticales solides qui risquent d'altérer la qualité sonore et de compromettre l'efficacité vocale des chanteurs. Comme j'ai beaucoup insisté pour défendre mon idée, je lui ai proposé une pré-maquette. Raymond Duffaut a alors demandé l'avis d'un acousticien qui, après quelques semaines, a conclu que mon concept de rideau ne devrait pas être dérangeant. J'étais tellement désireux d'utiliser cette solution scénique que Raymond Duffaut a finalement accepté de prendre le risque et nous avons pu avancer dans cette maquette de rideau solidifié tenu par des châssis. Malheureusement, le devis d'une telle réalisation a coupé court à la réalisation sous cette forme car le coût était rédhibitoire. Le double, à vrai dire, de ce qui pouvait être investi ! J'ai alors eu l'idée de plaquer ce rideau au sol sur une pente à 10 % pour que les premiers rangs puissent aussi le voir. Je trouve cela très beau car on bénéficie à la fois de la verticalité du mur des Chorégies et de l'horizontalité de la scénographie, et on obtient même cette impression intéressante que le mur tente d'absorber le rideau qui, lui, résiste.
* Raymond Duffaut est Directeur général des Chorégies d'Orange.

Avez-vous renoncé aux effets pour accompagner Ulrica ?

J'aurais aimé pouvoir jouer sur des apparitions-disparitions. Je m'étais même renseigné auprès de l'illusionniste Dani Lary dans l'optique de collaborer avec lui. Mais il était pris par sa tournée et avait très peu de temps, et l'installation de son matériel était telle que cela soulevait d'autres problèmes. Cependant, avec l'équipe du scénographe Rudy Sabounghi, nous allons utiliser des projections

À Orange, Un Bal masqué sera capté le 6 août pour une retransmission en direct sur France 2. Allez-vous donner des conseils spécifiques aux chanteurs pour cette captation unique et sans filet ?

Ce sera une représentation comme les autres. J'ai simplement demandé au réalisateur Dominique Thiel d'être présent à toutes les répétitions sur le plateau et, si possible en salle avec les solistes. À chaque fin de répétition, nous pourrons discuter ensemble, s'il le souhaite, des modifications possibles compte tenu de la position des caméras. Je pourrai alors apporter de légères modifications lors de la séance de travail suivante. Le direct diffusé à la télé sera la seconde représentation à Orange. En raison de l'entracte, la première partie de l'opéra sera un différé enregistré lors de la générale et, peut-être, de la première. La seconde partie sera, elle, en direct. Bien entendu en cas de problème le jour "J", il sera toujours possible de switcher sur l'enregistrement réalisé en amont et prêt à prendre la relève.

Roberto Alagna et Anne-Catherine Gillet dans <i>Cavalleria Rusticana</i> aux Chorégies d'Orange en 2009. @ Philippe Gromelle

Vous avez mis en scène de nombreux opéras, y en a-t-il encore que vous voudriez aborder ?

Mes envies se heurtent à la viabilité des projets. Par exemple, cette année à Orange, on a dû supprimer une des deux représentations du Vaisseau fantôme car il n'y avait pas suffisamment de places vendues. Bien sûr, si nous avions Roberto Alagna dans Un Bal masqué, ce qui n'enlève rien aux qualités artistiques et vocales de Ramón Vargas dans ce répertoire, son impact est tel sur le public, et à Orange en particulier, que les gradins seraient déjà pleins. Quelle que soit l'œuvre que vous présentez avec Roberto, vous êtes assuré de faire salle comble. Il chantera Otello aux Chorégies l'année prochaine et des gens demandent déjà s'ils peuvent louer. L'année suivante, on le retrouvera dans Simon Boccanegra et je suis certain que ce sera la même chose.

Le public d'orange entretient-il un lien particulier avec Roberto Alagna ?

Roberto a une très belle voix, un timbre très chaud et fait preuve d'une générosité, en tant que chanteur et être humain, qui va droit au cœur d'un public populaire comme celui d'Orange. Ce public est assez particulier, très différent de celui d'Aix-en-Provence, et un metteur en scène ne peut pas faire n'importe quoi à Orange. Prendre des risques avec une production un peu trop dérangeante, c'est provoquer le public. Je me suis ainsi ramassé de sacrées broncas pour Elektra malgré la présence de Gwyneth Jones. J'avais imaginé un chantier abandonné dans lequel s'était réfugiée une ancienne chanteuse qui, chaque nuit, revivait l'histoire d'Elektra… L'accueil a été désastreux.

 

La costumière Chiara Donato et Jean-Claude Auvray pendant la production de <i>La Force du Destin</i>, dans l'atelier de couture de l'Opéra de Paris.  © Christian Leiber/ONP

Si nous revenons sur ce que vous nous avez confié, il semblerait qu'un succès public avéré ne vous empêche pas d'être sensible à une critique négative…

Je suis extrêmement sensible à cela, mais ce n'est pas tant de recevoir une mauvaise critique qui me blesse que de me dire que je n'ai pas été compris. Quand vous avez travaillé sur un ouvrage avec la plus grande honnêteté, ce qui est pour moi la valeur essentielle, cette incompréhension touche la sensibilité au plus profond et pose alors des interrogations : Ai-je vraiment raté ma mise en scène ? Suis-je la victime indirecte d'une querelle ? Suis-je sacrifié dans le but de discréditer un directeur d'opéra ? Un public qui se manifeste en vous sifflant parce qu'il n'aime pas ce que vous lui avez proposé est une situation différente. Plus jeune, je trouvais même une satisfaction à l'idée d'avoir sorti les spectateurs d'une certaine léthargie en malmenant leur confort. Mais, entendons-nous, j'ai toujours été conscient des sacrifices financiers de certains spectateurs pour assister à un opéra à Orange, car cela coûte cher, et je ne me suis jamais exprimé par provocation gratuite. Je n'ai jamais voulu faire parler de moi, mais avant tout me faire plaisir en nourrissant l'espoir de faire également plaisir aux autres. Je vise à rendre les spectateurs curieux de la vision que je leur propose avec une forte envie de la partager. Si les réactions du public ne m'ont jamais blessé, j'ai en revanche été profondément meurtri par certaines attitudes critiques négatives. Pour n'en citer qu'une, la critique de Marie-Aude Roux dans Le Monde à propos de La Force du destin m'a profondément blessé. Le "processus de ringardisation"* dont elle qualifie mon travail est difficilement supportable. Dans ses points de vue exprimés dans Les Échos, Philippe Venturini s'est montré aussi d'une grande méchanceté. Or, je pourrais reprocher à de tels journalistes de ne pas développer leurs points de désaccord, d'être entiers dans leur négativité et dans la destruction systématique. La moindre des choses, lorsqu'on n’a pas aimé un spectacle, est d'expliquer pourquoi. Cependant, il m'est aussi arrivé de pouvoir instaurer un dialogue très constructif avec certains critiques qui tantôt appréciaient mon travail, tantôt portaient un avis négatif. Mais le point de vue était toujours développé. Marcel Claverie, par exemple, était un critique avec lequel on pouvait discuter…
* Le Monde - 17 novembre 2011.

 

Jean-Claude Auvray met en scène <i>Fidelio</i> à Avignon en 2007. Anne-Catherine Gillet chante Marzelline (robe jaune).  © Cédric Delestrade/ACM-Studio

Pouvez-vous apprécier le travail d'un autre metteur en scène ?

J'aime les mises en scène de Robert Carsen, car elles me donnent souvent l'impression d'être le spectateur du travail que j'aurais pu faire moi-même. Par exemple, je n'ai jamais monté d'opéra de Handel et j'ai toujours trouvé le travail de Robert Carsen sur Handel particulièrement magnifique. Lorsque j'ai vu, dernièrement, la production de David McVicar d'Adrienne Lecouvreur au Royal Opera House de Londres, un opéra que j'aurais tant aimé mettre en scène, je me suis retrouvé spectateur de ce que j'avais en tête depuis des années, avec ce petit théâtre qui tourne… Je lui ai d'ailleurs dit "Bravo !" car je suis toujours heureux de voir ce que j'avais envie de voir. En revanche, je peux être souvent déçu, agacé et même furieux parfois, devant un massacre. Cela provoque en moi un accès de violence, mais je ne suis jamais jaloux. J'ai d'ailleurs écrit à Robert Carsen pour lui dire qu'il avait réalisé ce que j'aurais voulu mettre en scène moi-même. Cela l'a surpris car rares sont les compliments adressés par un metteur en scène à un confrère.

L'année prochaine, vous mettrez en scène Cavalleria Rusticana et Paillasse à Avignon…

Il s'agit en fait d'une coproduction avec l'Opéra de Marseille que nous avons présentée à Orange en 2009. Marseille prenait en charge les costumes, et les Chorégies, les décors. Dans cette coproduction étaient inclues les modifications du décor et ce qui devait être construit pour la scène de Marseille qui a programmé ces opéras en 2011. Cette production de Marseille ira l'année prochaine à Avignon.




Propos recueillis par Philippe Banel
Le 10 juin 2013

 

Mots-clés

Anne-Catherine Gillet
Chorégies d'Orange
Jean-Claude Auvray
Kristin Lewis
Opéra Bastille
Sylvie Brunet-Grupposo

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