À noter : Nathalie Stutzmann sera en concert à la Salle Gaveau avec son orchestre Orfeo 55 le 14 décembre 2012. Retrouvez le calendrier complet de ses concerts ICI
Tutti-magazine : Dès la sinfonia qui ouvre votre Cantate imaginaire, l'énergie véhiculée par l'orchestre est très importante, et on a même l'impression qu'elle sous-tend le programme tout entier. Est-ce une composante importante de votre travail ?
Nathalie Stutzmann : Vous touchez un point auquel j'accorde une importance capitale, et savoir que les auditeurs peuvent y être sensibles me comble. Cette énergie vitale est pour moi une des caractéristiques de toute la musique et de la musique de Bach peut-être encore davantage. Ce caractère rythmique, cette pulsation organique, sont vitaux pour l'interprétation car ils sont ce que l'interprète trouve dans la partition et doit faire ressortir. De fait, cela fait partie des choses que l'orchestre et moi avons travaillées le plus, parallèlement à une recherche sur les phrasés et le son que je souhaite plus rond et plus étoffé que ce que l'on entend habituellement.
Orfeo 55 compte aussi un plus grand nombre d'instrumentistes…
L'effectif, il est vrai, est plus conséquent au regard de la musique de Bach, ce qui se situe a contrario de nombreuses interprétations récentes utilisant un effectif réduit à deux musiciens par pupitre. Avec Orfeo 55, nous sommes sur une formation bien plus importante avec, en particulier, un effectif de basses et de continuo très développé. Le travail sur la pulsation rythmique est directement lié à l'importance de ces basses et, bien sûr, à la manière de les faire jouer : les appuis sur les temps forts, le fait de ne pas jouer toutes les notes de façon égale… Cela représente un travail énorme mais passionnant aussi. Après tout, n'est-ce pas simplement une tentative de mettre en valeur le génie de la musique de Bach ?
Pour ce faire, je me suis appuyée sur les écrits du compositeur qui révèlent combien il rêvait toujours d'avoir à disposition quatre altos, trois ou quatre violoncelles, deux contrebasses, un basson, un orgue puissant et un luth. J'ai eu la chance de pouvoir travailler avec cet effectif qui compte pour beaucoup dans le rendu sonore de ce projet.
Lorsque vous avez agencé les pièces de votre Cantate imaginaire avez-vous travaillé dans l'optique du disque ou, plus largement, du concert ?
Au départ, j'ai pensé ce projet pour le disque. Ce qui m'a guidé était le souhait de faire redécouvrir aux gens ce que j'avais pu redécouvrir moi-même en participant à une intégrale des cantates de Bach, soit une multitude d'airs, des sinfonia d'orchestre et des chœurs. Disons qu'au lieu d'aller fouiller chez les compositeurs inconnus à la recherche de nouvelles partitions, j'avais plutôt envie de chercher chez Bach et son génie afin de réunir dans un seul disque une partie des bijoux que j'avais trouvés.
Pour le programme du CD, vous êtes-vous sentie limitée par la durée autorisée sur un disque ?
J'ai en fait trouvé un matériel si copieux qu'on aurait pu en faire cinq disques ! Le choix a été cornélien malgré l'utilisation des 80 minutes maximales du support. il y avait encore trop de choses, et certaines sont devenues des pistes bonus tant il était difficile de couper.
Ces pièces supplémentaires pourraient-elles être jouées en concert ?
Bien sûr, en fonction de l'effectif de musiciens dont je pourrai disposer, car il faut toujours compter avec l'aspect matériel, toujours contraignant.
Vous allez jouer à la Salle Gaveau le 14 décembre prochain. Le programme sera-t-il celui du disque ?
Nous n'aurons ni les chœurs ni les trompettes car il n'y aurait pas la place, mais la quasi intégralité du programme sera proposé, à une ou deux sinfonia près.
Vous avez parlé du renouvellement de l'intérêt d'un programme musical par les contrastes. Cette organisation s'appuie-t-elle sur l'instinct, sur votre expérience personnelle du récital ?
L'instrumentarium de Bach présente une telle richesse que cela me permettait d'assouvir mon envie d'obtenir un résultat multicolore, du grand chœur avec trompettes, festif et célébrant la gloire de Dieu, à l'intimité de "Vergiß mein nicht, mein allerliebster Gott" accompagné seulement d'un luth, en passant par une sinfonia écrite pour 4 violons solos et 2 fûtes à bec aux harmonies incroyables de modernité et d'inventivité. C'est vraiment de la lecture des partitions de l'intégrale - la Bärenreiter qui trône dans mon bureau -, volume après volume, que j'ai tiré mon programme. C'est en fait mon travail de chef sur les partitions qui m'a guidé dans les choix.
En revanche, je n'avais pas établi l'ordre des œuvres au sein du programme avant d'avoir enregistré. J'avais des idées, comme celle de placer telle ou telle sinfonia comme introduction de l'air à venir. Je savais aussi que le programme commencerait par une sinfonia et terminerait par un chœur, un peu comme l'ordre liturgique des cantates. Mais pour le reste, je ne savais pas… C'est après l'enregistrement que j'ai ordonné les différents segments.
Allez-vous conserver l'ordre du programme du disque pour le concert ?
Pas nécessairement, dans la mesure où certaines pièces ne pourront être jouées en fonction de l'effectif. Une pièce manque et, parfois, il devient nécessaire de tout repenser. Il faut également tenir compte d'impératifs humains, comme tel instrumentiste qui doit changer d'instrument, ou tel autre qui ne peut pas enchaîner deux airs. Le concert et le disque obéissent à deux logiques différentes.
Comment l'expérience de l'interprète nourrit-elle la direction d'orchestre ?
Ces deux activités sont totalement liées. Le travail d'interprétation que j'ai mené toute ma vie avec ma voix est semblable à celui que je tente d'inculquer aux musiciens : le travail en profondeur, la recherche des plus belles couleurs, essayer de trouver le phrasé qui va exprimer le mieux le sentiment qu'évoque la partition… J'envisage mon travail de chef comme une prolongation de mon travail de soliste avec, naturellement, toutes les possibilités qu'offre un orchestre par rapport à la voix seule, à commencer par le contrepoint qui n'existe pas pour une chanteuse, ce qui peut être frustrant pour la musicienne que je suis avant tout. Je vis cet élargissement de mes possibilités comme une véritable apothéose de ma vie musicale.
Lorsque vous dirigez Orfeo 55 tout en chantant, vous devez rapidement changer de position pour vous retrouver face à l'orchestre ou face au public. Comment l'interprète que vous êtes parvient-elle à gérer cette nécessité ?
Au début, on m'a souvent fait remarqué que ce ne serait pas faisable, ce qui m'a bien entendu poussé à montrer que ça l'était ! De fait, j'ai l'impression d'être à la fois concentrée sur ce que je dois faire et, en même temps, d'être en contrôle permanent sur ce qui se passe dans l'orchestre. Bien entendu, je guide tout, mais je suis un instrument au milieu des instruments et je ne ressens pas de différence entre mon rôle de chef et celui de chanteuse. Dès lors que je possède une conception complète de la musique, tout devient naturel pour moi : lorsque je chante, je dirige et, lorsque je dirige, je chante… Cependant, il est vrai que cet exercice demande une énorme énergie. Peut-être, d'ailleurs, n'aurais-je pas pu mener à bien ce double-rôle il y a quelques années car il demande une maîtrise parfaite de l'instrument vocal pour parvenir à s'oublier complètement et pouvoir se consacrer à l'orchestre. Mais, en parallèle, cela devient libératoire tant j'en arrive à ne plus penser à moi. Dans cet exercice, il m'est impossible de penser "tiens, voilà une difficulté vocale !" ou alors je ne peux plus faire ce que j'ai à faire. Un travail intense de préparation est naturellement indispensable, mais aussi la capacité de croire que c'est possible…
Peut-on assimiler ce double-rôle à un claveciniste qui assure le continuo tout en dirigeant l'orchestre ?
L'instrument n'est pas comparable et, qui plus est, je dispose d'une liberté physique à laquelle le claveciniste assis ne peut prétendre. La façon de guider est de plus très différente. Un claveciniste, un violoniste ou un chanteur, de par leur spécificité, ont un impact différent sur l'orchestre. Se trouver debout devant la formation permet de s'exprimer très différemment qu'assis devant un clavier.
La création d'Orfeo 55 concrétise un rêve de toujours. Était-il important d'avoir votre propre orchestre ?
J'ai toujours ressenti ce désir de diriger un orchestre, cela a toujours été ma seconde passion, mon deuxième rêve. La voix était prioritaire pour des raisons évidentes de temps et d'âge, et la décision de créer mon orchestre est survenue à un moment où j'étais consciente d'avoir réalisé une grande partie de mes rêves en tant que chanteuse. J'entends par là après avoir chanté les œuvres mythiques pour alto comme Le Chant de la Terre, la Symphonie no. 3 de Mahler, ou l'Alt-Rhapsodie de Brahms, ces œuvres dont on rêve quand on est très jeune et pour lesquelles on ignore si on pourra les aborder un jour. De la même façon, j'étais arrivé à un moment de ma carrière où j'avais chanté avec les chefs dont je rêvais, avec les orchestres et dans les salles que je souhaitais. Après 25 ans de carrière, même si je continue à chanter avec un égal bonheur, j'avais besoin de passer à un stade différent et de pouvoir maîtriser par la direction d'orchestre, l'interprétation d'un œuvre de la première à la dernière note et non de "ma" première note à "ma" dernière note de chanteuse. J'avais également besoin de ne plus toujours dépendre de mes partenaires : lorsqu'ils sont merveilleux, tout est merveilleux, lorsqu'on ne partage pas les mêmes affinités, c'est plus difficile. Quoi qu'il en soit, on se retrouve souvent dans un compromis. Avec mon orchestre, je n'ai plus besoin de faire de compromis.
Cependant, vous devez gérer tout un tas d'autres aspects…
Diriger sa propre formation prend énormément de temps et d'énergie, et il faut aussi gérer toutes les questions matérielles de structure, on doit trouver de l'argent pour l'orchestre… Le fait de mener parallèlement une carrière de chef invité par les orchestres symphoniques, et bientôt l'opéra, demande une énorme préparation. Concilier tous ces aspects n'aurait pas été possible si je n'avais pas au préalable fait le tour de mon métier de chanteuse.
Orfeo 55 est né en 2009. En 2012, quelle regard portez-vous sur son évolution ?
Au bout de 3 ans, j'éprouve la satisfaction de constater qu'Orfeo 55 a développé une personnalité qui lui est propre, un son particulier. Le travail est également devenu plus "facile" pour moi car nous nous comprenons mieux et mes musiciens savent ce que j'attends d'eux. Je peux maintenant me contenter de suggérer les choses…
J'ai constitué mon orchestre en auditionnant chacun de mes musiciens et en veillant à ce que les différents interprètes puissent constituer un vrai groupe. Certains musiciens sont excellents en audition mais ne s'intègrent pas au groupe… Je savais dès le départ ce que je cherchais : un orchestre qui sonne différemment. À quoi aurait servi, d'ailleurs, un orchestre de chambre baroque supplémentaire alors qu'il y en a déjà tant, s'il n'apportait pas quelque chose d'autre ? Tous mes musiciens ont une double pratique, ils jouent aussi bien sur instruments baroques que sur instruments modernes car je n'aime pas les extrémistes, les spécialistes. Je préfère de beaucoup les musiciens qui possèdent la culture des différents styles mais qui ne sont pas braqués sur une vision spécifique de l'interprétation musicale. Cette double pratique crée déjà en soi un son particulier. Je voulais aussi que cet orchestre fasse entendre les voies intermédiaires et les basses, et je crois qu'aujourd'hui, mon pupitre de basses est de première qualité. Je m'efforce également de travailler le plus possible avec les mêmes musiciens bien qu'ils soient free lance dans la mesure où il est impossible de les salarier. C'est en effet un travail de longue haleine qui crée le son d'un orchestre.
Quel chef d'orchestre êtes-vous pour vos musiciens ?
Ils répondraient sans doute plus facilement à cette question, bien que je puisse capter parfois un bruit qui me revient… Nous travaillons dans une très bonne ambiance que je veille à préserver. Je suis en outre persuadée que le public ressent très bien le plaisir qu'ont les musiciens à jouer ensemble. Il m'est arrivé de devoir faire face à des individualités qui compromettaient cette qualité d'ambiance de travail et je m'en suis séparée. Je pense en fait être respectée en tant que chef parce que les musiciens savent que je suis prête et que je possède une idée très précise de ce que j'attends d'eux. De même, je connais parfaitement la partition et je n'arrive pas devant eux en déchiffrant. Je suis également très organisée, très précise et rigoureuse dans mon travail. Mon exigence, je le sais, peut me conduire à devenir dure car je ne lâche jamais. Mais j'entretiens en parallèle des rapports très amicaux avec mes musiciens, et j'y tiens beaucoup, tout en veillant à ce que cette amitié n'empêche ni l'autorité ni la hiérarchie dans l'orchestre. Toujours est-il que mon exigence est toujours sous-tendue par mon travail et mon amour de la musique. Je suis persuadée que si on est soi-même convaincant musicalement, on obtient beaucoup plus…
Les musiciens d'Orfeo 55 s'expriment à la fois sur instruments baroques et sur instruments modernes. Quel répertoire moderne souhaitez-vous développer ?
Nous avons justement interprété Les Métamorphoses de Richard Strauss sur scène à Ambronay au mois d'octobre, après avoir joué Bach sur instruments d'époque en première partie*. Cette première expérience était très importante pour l'évolution de l'orchestre et donne aussi la mesure du travail qui a été accompli avec des musiciens. En ce qui me concerne, j'étais à la fois très heureuse et très étonnée de ce que l'orchestre est parvenu à exprimer dans Strauss car c'est une œuvre aussi difficile à jouer pour les 23 cordes quasi solistes qu'elle est compliquée pour le chef par son architecture. En 2013, nous allons monter un programme romantique avec La Nuit transfigurée de Schönberg et la Sérénade pour cordes de Tchaikovsky. Nous proposerons ce programme intégralement moderne à L'Arsenal de Metz. Pour l'orchestre, l'alternance est idéale, tant un style nourrit l'autre.
* Ce concert est diffusé en décembre sur la chaîne Mezzo.
Vous allez diriger votre premier opéra en 2014. Ce sera l'Elisir d'amore à l'opéra de Monte Carlo. Comment envisagez-vous cette œuvre particulièrement légère ?
Il est vrai que j'ai beaucoup chanté d'œuvres sérieuses et que je suis moi-même une femme sérieuse. Mais je suis aussi une bonne vivante qui aime beaucoup rire. Il y a quelques années, j'ai chanté le rôle du Prince Orlofsky dans La Chauve-souris et je me souviens des éclats de rire de la salle. Cela m'a beaucoup amusée de constater que je pouvais aussi faire rire des spectateurs, et pas seulement les faire pleurer. C'est un moment que j'ai réellement beaucoup apprécié !
Je chante Mahler et Brahms toute l'année mais j'adore l'opérette. J'aime bien sûr aussi l'opéra bouffe et diriger cet Elisir d'amore dans lequel je ne chante pas alors que je poursuis ma carrière de chanteuse est une proposition qui me séduit beaucoup. Cela n'aurait d'ailleurs pas de sens pour moi de diriger aujourd'hui un opéra dont le rôle principal serait taillé pour ma voix. Pour cela, on verra lorsque je ne chanterai plus. Le fait est que je suis touchée que Jean-Louis Grinda ait pensé à moi à contre-pied de la façon dont on me perçoit généralement. Je vais me préparer à cet Elisir d'amore comme pour le reste, c'est-à-dire en commençant à travailler la partition dès que possible.
Revenons à votre voix. Pensez-vous gagner en grave avec la maturité et qu'elle évolue différemment d'une autre tessiture ?
Eh bien, pour être franche, je ne sais pas. Mais, sur les dix dernières années, je pensais prendre du grave et perdre de l'aigu et, en fait, la voix s'est étendue aux deux extrêmes et j'ai gagné à la fois en aigu et en grave. C'est, je vous l'accorde, le scénario idéal et cela m'a permis de continuer à chanter certaines œuvres que je n'étais pas certaine de pouvoir conserver à mon répertoire encore longtemps. Pour le moment, ma voix est stable. Quant au futur, il m'est difficile d'avancer quoi que ce soit dans la mesure où il y a peu de contraltos auxquelles je puisse me référer en termes d'évolution. La seule vraie contralto, pour moi, c'était Kathleen Ferrier, et elle est décédée alors qu'elle était plus jeune que l'âge que j'ai atteint. On dit toujours que les voix graves vieillissent bien et chantent plus tard… D'une certaine façon, cela semble logique car la maturité d'une voix de contralto est beaucoup plus tardive qu'une voix aiguë. À 25 ans, j'avais beaucoup moins de possibilités qu'à 35, alors qu'une soprano et un ténor sont en pleine possession de leurs moyens à 28 ans. Hans Otter est le premier à m'avoir dit : "Tu vas vraiment te faire plaisir lorsque tu auras 40 ans". À cette époque j'en avais 19 et cette perspective m'apparaissait comme une éternité et je me demandais comment je pourrais attendre tout ce temps ! Il avait pourtant raison, et je me suis rendue compte que la maîtrise d'un instrument grave nécessite beaucoup plus de temps. Il est à la fois très solide et très délicat, et il lui faut un travail complexe, une technique particulière et le laisser se développer un peu à la manière d'un vin de garde.
Se sent-on un peu seul lorsque l'on possède une voix rare et qu'il s'agit de trouver des repères et des coaches ?
On se sent très seule, mais j'ai eu la très grande chance d'avoir deux parents chanteurs. Ma mère était soprano mais possédait un très joli grave qu'elle savait parfaitement exprimer. Elle s'est véritablement prise de passion pour ce qu'était ma voix et a cherché ce qui lui permettrait de travailler dans le bon sens avec toute la prudence et la patience nécessaires. C'est grâce à ces bases techniques que j'ai acquises par son enseignement que je peux m'exprimer comme je le fais aujourd'hui. J'ai également eu la chance de ne pas avoir à écouter trop de conseils. Dès que l'on possède un petit talent, des tas de gens vous disent ce qu'il faut faire, et je pense que c'est ce qui perd beaucoup de chanteurs. En ce qui me concerne, une fois que j'ai trouvé ma ligne, je la suis obstinément, ce qui a permis à ma voix d'éviter bien des dangers.
Si vous vous retournez vers le début de votre carrière, par exemple à l'époque où vous chantiez Souffrance dans Gercœur de Magnard sous la direction de Michel Plasson, pensez-vous que cette trajectoire que vous avez parcourue avec sagesse pour aboutir à la direction d'orchestre était déjà inscrite en vous ?
Sans doute tout cela était-il déjà en moi, mais sous un aspect de souhaits confus alors que je me consacrais à ce qui me semblait être instinctivement l'immédiat. Je serais aussi tentée de croire en des rencontres importantes qui jalonnent une évolution, en des lectures ou des concerts qui nous révèlent certains aspects, un peu comme si nous étions spectateurs d'événements et devions savoir saisir certaines opportunités ou suivre un chemin qui se dessine. J'ai su aussi être attentive à ce type de signaux.
Il y a plusieurs années, bien avant que je décide de me jeter à l'eau dans la direction d'orchestre, je répétais un grand cycle de Mahler avec un orchestre et un chef avec lequel il n'y avait pas beaucoup d'affinités musicales. Je chante la générale, puis le directeur artistique de l'orchestre vient vers moi et me dis : "Est-ce que tu veux diriger ?". Il me connaissait depuis longtemps et, effectivement cette envie me trottait dans la tête et je me demandais alors quand je passerais à l'action. Il s'était aperçu que, pendant la répétition, j'avais chanté en dirigeant avec mon dos ! L'orchestre était tout à fait bienveillant avec moi mais je ne trouvais pas satisfaction dans la direction du chef et mon corps exprimait la direction musicale dont j'avais besoin pour m'exprimer. Cette personne extérieure qui a perçu ce que j'exprimais spontanément, presque malgré moi, à joué un rôle de déclencheur et, 2 ans plus tard, j'abordais la direction…
Sur le livret de votre disque Une Cantate imaginaire, figure à la page consacrée à Orfeo 55 une amusante statuette. Que pouvez-vous nous en dire ?
C'est une statuette très légère en papier mâché que l'on m'a offerte alors que je chantais au Brésil avec l'Orchestre Symphonique de São Paulo. Il y a là-bas une boutique de disques à laquelle je me rends toujours pour en repartir avec plein d'albums. J'avais remarqué les objets qui y sont vendus comme les cravates décorées d'un clavier et il y avait des statuettes que je trouvais adorables. Quelqu'un qui m'aimait bien s'en est aperçu et m'a offert cette statuette de femme chef d'orchestre à l'issue du concert en me disant : "J'espère que ça te portera chance dans ton projet de direction…". Lorsqu'il s'est agi de trouver un logo pour l'orchestre j'ai pensé que cette petite bonne femme aux lèvres très fardées, qui fait un peu penser à Giacometti, serait parfaite.
Cette statuette est maintenant à la maison, sur mon bureau, et il se trouve que mon premier grand projet d'artiste en résidence se concrétise l'année prochaine avec l'Orchestre de São Paulo. Je le dirigerai dans mon premier Requiem de Mozart, dans les Symphonies de Mendelssohn et je chanterai Wagner et Winterreise avec cette formation. Il est également prévu que je donne une masterclass… Ce projet promet d'être réellement très riche et complet…
Propos recueillis par Tutti-magazine
Le 27 novembre 2012
Pour en savoir plus sur Nathalie Stutzmann :
www.nathaliestutzmann.com