À 34 ans, Joseph Calleja compte parmi les ténors les plus remarqués de la jeune génération. À Tutti-magazine, nous l'avons beaucoup apprécié dans La Traviata au côté de l'impériale Violetta de Renée Fleming, et dans un excellent Simon Boccanegra enregistré en 2010 au Royal Opera House. Il nous a également surpris dans un très bon Hoffmann au Metropolitan Opera, qui a du reste séduit un grand nombre de spectateurs dans les salles de cinéma au gré d'une diffusion HD Live le 19 décembre 2009. Avec Be my Love, son nouvel album pour le label Decca, il part à la rencontre d'une audience plus large sans perdre une once de son exigence artistique ni de son engagement total pour le "beau chant". Ajoutons que l'ingénieur du son Philip Siney a réalisé pour ce disque un très beau travail de captation de la voix et une formidable balance de l'orchestre de la BBC dans le cadre du Colosseum de Watford, salle qu'il tient pour "un des trésors acoustiques de Londres". Un enregistrement réalisé en février 2012 dont il se souvient avec plaisir, comme nous de notre rencontre rapide mais intense avec Joseph Calleja…
Tutti-magazine : Vous avez dit que votre vocation de chanteur d'opéra était née en voyant Mario Lanza chanter dans Le Grand Caruso. Mais le jeune homme que vous étiez alors n'était-il pas aussi tenté par la scène et la réussite attachée au personnage ?
Joseph Calleja : Pour être tout à fait honnête, je dois dire que c'est la voix, et la voix seulement qui a exercé cet effet quasi viscéral sur moi. J'avais alors 13 ans et, bien sûr, je voyais alors des films bien plus modernes que Le Grand Caruso. Il faut dire que, si la voix de Mario Lanza était le grand intérêt de ce film de 1951, ce n'était pas pour autant un chef-d'œuvre ! Lorsque je l'ai découvert, j'étais déjà familiarisé avec diverses formes de chant : le chant grégorien dans les églises, le chant en latin et les chansons populaires que j'entendais à la maison. À cette époque, je faisais partie à la fois de la chorale de mon école et du chœur de l'église de mon village, ainsi que d'un groupe de rock. Mon oreille était donc formée lorsque, pour la première fois, j'ai découvert Mario Lanza. Cela a été un choc tel que j'étais persuadé que le son que j'entendais était le plus beau qu'un homme puisse produire avec sa voix. C'était une cette certitude pour l'adolescent que j'étais…
Aujourd'hui, comment reliez-vous cette certitude à votre carrière ?
Cela m'a fait comprendre qu'il est parfois nécessaire de s'investir dans une démarche populaire pour aller vers les gens. Un très bon exemple est l'émission anglaise Britain's got Talent, destinée à faire connaître de nouvelles voix. En 2007, Paul Potts, un des candidats, a chanté Nessun Dorma d'une façon absolument exécrable, même pour un amateur. Mais tous les gens qui assistaient au show pleuraient en l'écoutant… Cela a opéré en moi un déclic et je me suis dit que, si nous, interprètes d'opéras, pouvions chanter à notre manière dans le contexte approprié, le résultat pourrait être incroyable.
Comment avez-vous fait le choix des airs qui composent l'album Be my Love ?
Ce sont, pour la plupart, des mélodies que j'ai apprises lorsque j'avais entre 14 et 19 ans, mais aussi ce que je considère comme les plus beaux airs du répertoire de Mario Lanza. Bien entendu, nous n'avons pas pu tout rassembler sur ce disque, mais je crois que l'essentiel de ses meilleures mélodies y est.
Il est étonnant de ne pas avoir enregistré I walk with God, composé pour Mario Lanza par Nicolas Brodsky pour le film The Student Prince…
Effectivement, nous avons discuté de l'opportunité de retenir cet air pour ce disque, mais il pourra bien mieux trouver sa place, un jour, dans un album de chants religieux ou de Noël.
Les critiques parlent de votre voix comme d'un timbre qui a l'élégance de la veille école. Êtes-vous d'accord avec cela ?
Oui et non car, pour moi, il s'agit ni plus ni moins que de "Bel Canto", c'est à dire de "beau chant", et non d'ancrage dans une époque. C'est une façon de chanter qui s'applique aussi bien à Wagner. Mon maître Paul Asciak m'a dit un jour que les plus grands ténors chantaient tout le répertoire "Bel Canto" afin de préserver leur couleur de voix. Même Mario Del Monaco, dont beaucoup ont dit qu'il chantait constamment forte, et même qu'il criait ! Il existe un disque pirate de 1946 d'un live avec Renata Tebaldi, et un Otello qu'il a enregistré lorsqu'il était encore jeune et frêle qui contiennent de nombreuses longues phrases exprimées mezza-vocce. Elles prouvent que, lui aussi, chantait "Bel Canto".
Est-il différent d'entrer en studio pour enregistrer Be my Love comparé à vos albums classiques ?
Enregistrer n'est pas ce qui est primordial, mais plutôt la musique que je vais chanter. Mon approche de Be my love est basée sur la même technique que pour interpréter n'importe quelle autre mélodie. Plus largement, je pense rester le même quel que soit le style d'air que je chante. En revanche, je me suis appliqué à trouver une émotion spécifique, une couleur particulière. Mais cette démarche n'est pas différente lorsque je chante "Che gelida manina" pour Mimi. J'essaye, dans la mesure du possible, de me concentrer sur la situation et d'être juste par rapport à elle.
Vous interprétez Arrivederci, Roma avec une intention particulière. Quel sentiment évoque cette pièce pour vous ?
Le texte et la musique d'Arrivederci Roma contiennent une vraie nostalgie, comme également Parlami d'amore, Mariù. Au risque de vous paraître arrogant, j'essaye de chanter en respectant la volonté du compositeur. Ceci dit, je pense que ma façon d'aborder ces airs populaires italiens se rapproche de celle de Mario Lanza, même si je considère toujours qu'il reste le plus grand dans ce répertoire.
Steven Mercurio a dirigé le BBC Concert Orchestra et arrangé plusieurs airs. Pouvez-vous nous parler de votre travail avec ce chef ?
Il est tout simplement idéal pour ce répertoire. Steven Mercurio connaît parfaitement cette musique pour avoir grandi avec. Qui mieux que lui aurait pu diriger l'orchestre ?
Vous chantez Amor ti vieta de Fedora sur un tempo plus lent que celui adopté par de nombreux ténors. Est-ce une tentative pour le disque ou le chantez-vous ainsi en public ?
Je ne fais aucune différence entre le livre et le disque. À la fin de mes concerts, on me dit parfois que je chante comme sur mes disques, et même mieux ! Que ce soit pour Be my love ou les disques classiques que j'ai enregistrés, je ne fais généralement que 2 ou 3 prises. Pour la grande majorité des airs, la première est la bonne, parfois la seconde. J'enregistre toujours un air complet car je n'aime pas du tout travailler par morceaux. Je tiens vraiment à proposer au public un enregistrement le plus naturel possible. Avancer par petites séquences ne permet pas de maintenir une émotion juste. Je dirais même que je suis prêt à accepter un petit défaut au disque si cela me permet de préserver une forme d'honnêteté vis à vis de ma voix. Le montage qu'il est possible d'opérer a posteriori ne me concerne pas.
D'une façon générale les airs sélectionnés demandent une grande maîtrise du souffle et de l'endurance. Comment avez-vous composé le programme de votre Mario Lanza Tour pour le rendre viable ?
Cela ne m'inquiète nullement car, comme je vous l'ai dit, je réussis la plupart du temps mes enregistrements en une prise. Par exemple, j'ai sorti le contre-ut de Be my Love dès la première prise. Comme il en fallait une deuxième, par sécurité, je l'ai repassé sans problème à la seconde prise. En concert, ce sera pareil…
Votre Mario Lanza Tour s'arrêtera à Paris au Théâtre des Champs-Élysées le 18 janvier 2013 dans le cadre des Grandes Voix. Le programme sera-t-il le même que sur le disque ?
Il contiendra un plus grand nombre d'airs d'opéras car c'est ce qu'attend le public du Théâtre des Champs-Élysées*. Bien loin de moi l'envie de le décevoir ! Bien sûr, si la télévision m'invite, je choisirai d'autres airs, y compris certains qui ne sont pas sur l'album, comme Besame Mucho. C'était le cas pour un concert que j'ai donné récemment à Malte.
* Le programme du concert est disponible sur le site des Grandes Voix.
Si l'on vous proposait un jour de chanter sur scène The Student Prince de Romberg accepteriez-vous ?
Pourquoi pas ? Tout dépend du concept de base, de la production et de la mise en scène. Mais je préférerais de beaucoup chanter Lucia di Lammermoor dans une mise en scène à la Braveheart filmée dans des décors naturels afin de montrer aux jeunes qu'un opéra peut être aussi intéressant qu'un concert de rock. Voilà une idée intéressante, non ?
Votre planning d'opéras et de concerts à venir est particulièrement chargé. Comment parvenez-vous à trouver du temps pour préparer de nouveaux rôles ?
Essentiellement en été car je chante peu durant la période estivale. Je récupère pendant 6 à 7 semaines. Ceci dit, je reconnais que ma saison est chargée, peut-être un peu trop. Il faudra donc que je me réserve quelques jours pour souffler entre les prestations prévues. Cela implique aussi une certaine discipline, de ne pas boire quand je chante, de ne pas parler beaucoup, de ne pas sortir. Ce n'est pas facile mais c'est le lot des chanteurs…
Quelle est votre approche d'un nouveau rôle ?
Je commence systématiquement par le chant car il contient ce qui constitue un personnage, ses émotions. Faire des recherches sur un rôle est sans doute une bonne chose mais, honnêtement, je ne pense pas que ce soit indispensable pour chanter. Dans la plupart des grands opéras - Rigoletto, La Bohème ou Madame Butterfly - tout est contenu dans la partition. Il est aussi important d'être à l'aise dans son corps afin qu'il suive la voix. C'est même capital. Ensuite, bien entendu, il y a le travail d'acteur avec le metteur en scène et la mémorisation des gestes. Mais, à la base de tout, il y a la compréhension de chaque mot que l'on chante afin de pouvoir lui donner la bonne nuance.
Vous ne vous voyez pas étudier un rôle phonétiquement…
Je ne l'ai jamais fait. Je chante en espagnol, en anglais, en maltais, en français et en italien. J'apprends actuellement l'allemand car je veux pouvoir chanter en Allemagne et avoir un niveau suffisant pour comprendre ce que je chante et apporter les nuances que je souhaite. Le répertoire allemand est intéressant. Sans doute ferai-je Lohengrin, des opéras de Mozart ainsi que des lieder que je trouve absolument splendides, et qui demandent justement une bonne connaissance de la langue.
Reprendrez-vous Les Contes d'Hoffmann au Metropolitan Opera dans les années qui viennent ?
Tout à fait, mais ce n'est pas pour tout de suite. Je reprendrai tout d'abord le rôle d'Hoffmann à Munich en février 2014 dans une production différente.
Dans la production du Met signée Bartlett Sher en 2009, nous avons beaucoup aimé le duo que vous formiez avec Kate Lindsey dans le rôle de Nicklausse et de la Muse…
Kate Lindsey est une artiste très sympathique, très honnête, et elle transmet une forme de pureté au rôle de Niklausse. Elle parvient à construire un personnage extraordinaire. En 2009, sur la scène du Met, je chantais mon premier Hoffmann. Je n'avais eu que 2 ou 3 mois pour préparer ce quadruple rôle. Car, pour moi, interpréter Hoffmann, c'est chanter trois Rigoletto dans la même soirée ! C'était en plus sur la scène du Met, d'où une pression évidente. Parallèlement, je traversais personnellement une période difficile… Mais travailler avec Bartlett Sher était un plaisir car il aime l'opéra et cela se sentait. En fait, j'ai pu constater que, lorsqu'un metteur en scène aime une œuvre, il fait généralement un bon travail. À l'inverse, s'il n'aime pas l'œuvre, on aboutit toujours à un désastre.
Pensez-vous que votre Hoffmann puisse être en partie composé de ce que vous avez vécu alors que vous prépariez ce rôle ?
Nous sommes tous des Hoffmann en puissance car nous sommes tous à la recherche d'un idéal. Idéal féminin ou autre, bien sûr… Les Contes d'Hoffmann est un opéra véritablement fantastique. Pour le coup, il contient une vrai richesse pour qui s'intéresse à la psychologie des personnages !
Propos recueillis par Tutti-magazine
Le 16 octobre 2012
Pour en savoir plus sur Joseph Calleja :
josephcalleja.com