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Interview de Dominique Delouche

Dominique Delouche nous a accueilli avec une extrême gentillesse dans son domicile parisien et a accepté de se livrer à un jeu de questions-réponses sur sa carrière et ses films. Réalisateur connu pour ses nombreux documentaires sur la danse et la musique, il a lié de passionnants liens avec de grandes figures de la scène et du cinéma dont Federico Fellini, Max Ophüls, Danielle Darrieux, Yvette Chauviré ou Denise Duval avec laquelle il a tourné La Voix humaine. Rencontre avec une personnalité passionnante et attachante…



À noter : L'éditeur Doriane Films propose depuis le 28 novembre 2011
un coffret de 6 DVD regroupant avec intelligence l'intégrale de
l'œuvre de Dominique Delouche consacrée à la danse,
soit 11 films dont le dernier en date "Balanchine in Paris".
Six courts métrages et des entretiens avec le réalisateur
complètent cette superbe compilation proposée à un prix attractif.
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Dominique Delouche en 2006.  © Collection D. DeloucheAvant de faire du cinéma vous avez suivi plusieurs formations artistiques…


Dominique Delouche :
À l'âge de 5 ans, j'apprenais les lettres en même temps que les notes de musique. Tout a commencé en fait par le piano, que j'ai beaucoup pratiqué. J'étais élève de Jean Doyen. Lorsque j'ai atteint 13 ans, il voulait me présenter au Conservatoire. Mais c'était en 1940 et nous étions alors en guerre. Nous souffrions de malnutrition et j'ai été contraint de tout arrêter pendant deux ans afin de soigner mes poumons. Lorsque je me suis remis au piano j'ai compris que la grande carrière que j'aurais pu envisager n'était pas pour moi.

 

Vous avez également travaillé le chant…


J'ai travaillé le chant classique, que j'aimais beaucoup, avec Germaine Lubin et Geneviève Touraine. J'ai d'ailleurs remporté des prix dans des concours de chant internationaux.

Puis la peinture…


Oui, aux Beaux-Arts. Mais toutes ces activités me donnaient l'impression de me disperser. Je souffrais beaucoup à l'idée d'être catalogué comme un charmant amateur. Alors, très brutalement, j'ai tout abandonné pour me diriger vers le cinéma pour lequel je ne possédais du reste aucune notion.

 

Pas même quelques rudiments ?


Autant j'étais un consommateur affamé d'images cinématographiques, autant je ne savais rien de la manière dont on les fabriquait. Je voyais beaucoup de films sans comprendre la nature même de la fonction d'auteur de films. Les génériques regorgent pourtant de noms et de fonctions diverses, mais je ne voyais pas comment s'organisait la création.

 

Isabelle Guérin dans Istar de Serge Lifar filmée en 1987 par  Dominique Delouche.  © Collection D. DeloucheVous vous sentiez prêt à quitter un domaine d'interprète pour aborder celui de la création…


Je pense que j'aurais été très malheureux si j'avais dû exercer une profession non créative. Le bonheur de ma vie est justement d'avoir pu m'exprimer à travers un métier de création car c'est pour cela que j'étais fait. N'entendez par là aucun jugement de valeur porté sur mon travail, c'était un vrai besoin de vie. Comme on a besoin d'oxygène pour respirer, j'avais besoin de créer.

Vous êtes alors entré à l'IDHEC…


Je suis en effet entré à l'Institut des Hautes Études Cinématographiques*. J'étais très cinéphile et je courais les festivals. C'est ainsi qu'à Venise, j'ai rencontré Fellini alors qu'il présentait La Strada. Cette rencontre a été capitale dans ma vie, sur tous les plans. Fellini m'a fait entrer dans le monde du cinéma italien par la grande porte à l'époque de l'âge d'or du cinéma européen. J'avais trouvé ce que je voulais faire. Quant à la musique, elle est toujours restée présente dans ma vie, bien entendu.

* Aujourd'hui la Fémis.

Vous êtes devenu l'assistant de Fellini, comment s'est déroulée cette collaboration ?


Le terme de collaboration est impropre. Cela pourrait signifier que nous faisions des films à deux. Or ce n'était pas du tout cela. J'étais en fait un témoin, je crois même que ma présence au côté de Fellini était assez mystérieuse. Il pensait que je lui portais bonheur.
La Strada avait été mal reçu et j'étais la première personne, et la seule pendant longtemps, à lui dire la beauté de son film. L'élan qui m'a porté vers lui à ce moment a provoqué un choc suivi de reconnaissance. Il savait que je voulais faire du cinéma et il m'a en quelque sorte parrainé. Notre relation se situait de fait sur un plan affectif proche, pour moi, d'une seconde paternité. J'incarnais un aspect quasi spirituel pour Fellini. Il essayait souvent de capter mon regard pour savoir s'il avançait dans le bon sens. Ce que je lui apportais était de l'ordre de l'instinct, impalpable, indéfinissable*.
* Dominique Delouche a décrit cette relation dans son livre Mes felliniennes années - P.A.S. 2007.

Mais lui, que vous a-t-il apporté ?

Fellini m'a apporté infiniment. Essentiellement, du reste, sur le plan de la philosophie de la vie dont il m'a donné l'exemple. J'arrivais alors de Paris, issu d'un monde rationaliste, bourgeois, pétri de scrupules et de codes, au beau milieu du cinéma romain où tous ces codes n'existaient plus du tout. Ce plongeon dans la Rome baroque et sensuelle de La Dolce Vita a été pour moi un bouleversement et une véritable révélation sur le plan humain : il était possible de vivre autrement que le mode sur lequel j'avais vécu jusqu'à 20 ans, à Paris, au sein de ma famille et dans mon milieu. Mes barrières ont en quelque sorte explosé et mes scrupules se sont volatilisés. Fellini avait certes une morale, mais une morale à lui et certainement pas dictée par les autres.

Comment s'est passé votre éloignement de Fellini ?

Cela a été déchirant. Après 5 ans et 3 films* passés à ses côtés, j'aurais pu continuer à jouer ce rôle d'assistant-ami très longtemps. Mais je ressentais le besoin de créer et je suis rentré en France pour essayer de faire des films. Nous nous sommes alors un peu fâchés sans nous le dire. J'ai compris seulement après qu'il m'en avait voulu. Puis je lui en ai voulu de m'en avoir voulu… Bref, nous avons traversé une période durant laquelle nous ne nous comprenions plus.
Danielle Darrieux et Dominique Delouche en 1967.  © Collection D. Delouche* Il Bidone (1955), Les Nuits de Cabiria (1957) et La Dolce Vita (1960).

Fellini s'est-il ensuite intéressé à votre travail ?


Pas tellement. Il ne me le disait pas, bien sûr, mais ça lui déplaisait. Lorsqu'il a vu mon premier film, j'ai compris que ça ne l'emballait pas. Il s'agissait du court-métrage Béatrice ou la servante folle, que j'ai tourné en 1959 et qui a maintenant plus ou moins disparu. Lorsque je me suis orienté vers la danse, cela ne l'intéressait pas du tout. Il a sans doute découvert mes films de fiction à la télévision, mais on se voyait moins…

Ce n'est que vers la fin de sa vie, deux ou trois ans avant sa mort, que j'ai revu Fellini. Je sentais que je risquais de ne plus le revoir et nous avons retrouvé cette chaleur dans nos rapports. Lorsqu'il a été très malade, il m'a fait comprendre qu'il fallait que je vienne et nous avons renoué un lien très intense. Fort de ces dernières impressions, Fellini est resté très vivant pour moi…

Le Spectre de la danse est votre premier film sur la danse. Ce sera le premier d'une longue série de films consacrés à cet art…


Parlons plutôt de documentaires. Il est d'ailleurs très difficile de réaliser de vraies fictions dansées. Souvent, on tombe un peu à côté sans convaincre les gens qui connaissent la danse. Ne pensez pas que je sois contre un film comme Black Swan, par exemple, mais sur le plan de la danse on se retrouve bien souvent dépaysé.

Avec mes documentaires, j'ai voulu pénétrer avec beaucoup d'humilité les arcanes de ce métier mystérieux qui permet de montrer sur scène des choses féeriques mais qui demande une véritable ascèse, un travail, un courage et une assiduité qu'on imagine difficilement. C'est ce qui se passe en amont du spectacle que j'ai voulu montrer.
Puis, petit à petit, j'ai compris que la danse est un art de transmission et qu'il faut s'intéresser aux danseurs qui ne dansent plus et montrer comment ils parviennent à transmettre cet art qu'on ne peut pas apprendre dans les livres, mais uniquement par la parole et le geste. C'est cette transmission dont le cinéma peut témoigner, et c'est ce pourquoi ma caméra s'est infiltrée dans le travail de legs des grands personnages qui ont marqué la danse de la seconde partie du XXe siècle. Je les ai confrontés à de jeunes danseurs afin de montrer comment le partage de l'art a lieu.

Auriez-vous aimé vous-même être danseur ?


Je n'y ai jamais pensé. Quand j'avais 13 ans, je me souviens avoir été amené à l'Opéra de Paris. C'était pendant la guerre, durant la période de Serge Lifar. J'étais totalement ébloui. Mais, pour moi, ce monde était tellement surnaturel que j'avais du mal à imaginer que les danseurs que je voyais sur scène étaient faits de la même texture que les spectateurs assis dans la salle. À aucun moment je n'aurais pu penser possible d'emprunter le chemin qui les séparait de mon état de spectateur émerveillé, ce qui a retiré en moi toute velléité de les rejoindre mais a créé l'envie de les célébrer.

Dans votre filmographie, on distingue deux axes : le documentaire et la fiction ? Avec quelle forme d'expression êtes-vous le plus à l'aise ?

Cliquer pour lire la critique.
J'ai compris que le documentaire était ce qui me convenait le mieux. Après avoir justement commencé par le documentaire, j'ai ensuite réalisé trois films de fiction que je ne renie aucunement : Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, en 1968, L'Homme de désir, en 1970, et enfin Divine avec Danielle Darrieux en 1975, qui n'a pas marché du tout. J'ai alors compris que, si je voulais refaire du cinéma, il me faudrait retourner au documentaire sur la danse car, parmi ce que j'avais réalisé en première partie de carrière, ce sont ces films qui restaient et que l'on me demandait de plus en plus. Le documentaire, la danse et la musique - car j'ai aussi réalisé des films sur la musique - étaient mon domaine.

Vous avez également signé des mises en scène…


Effectivement, des mises en scène d'opéras et de théâtre.




La scène, pour vous, est-elle le prolongement de votre univers d'images ?


Gabriel Dussurget, créateur du Festival d'Aix-en-Provence, en 1972.  © Collection D. DelouchePlus prosaïquement, j'étais en difficulté à cause de l'échec de mon film musical Divine. J'étais de fait très attiré par l'opéra, expression avec laquelle une affinité s'était développée dès mon enfance, et par la mise en scène. Deux personnes m'ont permis d'y accéder : Gabriel Dussurget* et Rolf Liebermann.
Gabriel Dussurget avait remarqué ma ferveur pour l'opéra à Aix-en-Provence alors que j'étais tout jeune, puis il a su que j'étais devenu réalisateur. Lui-même était cinéphile et lorsqu’il a appris que je désirais faire de la mise en scène, il m'a confié Béatrix de Plannisolas de Jacques Charpentier, à Aix en 1971. C'était son dernier festival. Il était prévu que je fasse ensuite Don Giovanni, mais Gabriel Dussurget n'a pas été reconduit. Après son éviction douloureuse d'Aix, je l'ai retrouvé et il m'a confié la mise en scène d'Esther, la tragédie lyrique de Racine dans sa version originale, c'est-à-dire avec beaucoup de musique. Ce spectacle a été donné dans l'église Saint-Gervais en 1972 avec de grands tragédiens de l'époque et le chœur de Radio France.
Plus tard, en 1974, j'ai mis en scène Dido and Æneas de Purcell au Théâtre Royal de Versailles. Pour cette production, j'ai aussi réalisé les décors et les costumes, ce qui a été très passionnant.
* Gabriel Dussurget a créé le Festival d'Aix-en-Provence, qu'il a dirigé jusqu'en 1972.

Et Rolf Liebermann…

En 1978, Rolf Liebermann* m'a invité à mettre en scène Werther de Massenet à l'Opéra de Paris avec Jane Rhodes et Alain Vanzo, une belle expérience. Mais l'envie de cinéma me tiraillait. La mise en scène de théâtre, et surtout d'opéra, est très éphémère. On se donne un mal fou et cela coûte une fortune pour 6 à 10 représentations… Dans le meilleur des cas, on reprend une fois votre mise en scène puis, sauf cas exceptionnel, lorsque l'œuvre sera à nouveau donnée un peu plus tard, on présentera une nouvelle production après s'être débarrassé des décors et des costumes de la précédente. Cela était difficilement acceptable pour moi qui fixais des images sur pellicule, leur assurant une pérennité qui, d'ailleurs, me dépasse. J'ai donc recommencé à faire du cinéma en repartant à zéro, avec des courts-métrages car je n'avais pas les moyens de faire plus.
* Rolf Liebermann a été administrateur de l'Opéra de Paris de 1973 à 1980.


"Les Mirages". De gauche à droite : Cyril Atanassof, Monique Loudières, Manuel Legris et Yvette Chauviré.  © Collection D. DeloucheVous êtes ainsi revenu à ce pour quoi vous êtes fait…


Aux courts métrages ont succédé des longs grâce, d'ailleurs, à Yvette Chauviré. Après le court-métrage Le Cygne tourné en 1985, elle m'a en effet demandé de réaliser un film plus important sur elle et sur la transmission de ses rôles. C'est ainsi qu'Une Étoile pour l'exemple est sorti en 1988. Ce film a été le premier d'une série de longs-métrages qui sont sortis en salles et ont rencontré beaucoup de succès. Ils sont maintenant édités en DVD par Doriane Films. Sur 20 ou 25 ans, j'ai réalisé 11 films dans cette veine.


Quel regard porte-t-on aujourd'hui sur ces films ?


Cela est très étonnant, car ces films ont maintenant acquis plus de valeur que lorsqu'ils sont sortis en salles. Prenez par exemple le cas d'Yvette Chauviré. Elle est toujours de ce monde mais, si ce film qui lui est consacré n'existait pas, nous n'aurions pas de témoignage de cette grande dame de la danse. Je vous dis cela sans prétention aucune. C'est simplement une réalité.

 

 Le succès public est une dimension importante pour vous ?


Avec un film qui n'est pas vu, on court à la catastrophe. Même les documentaires coûtent cher à monter. Et j'ai toujours été le producteur de mes films. Produire un film est un travail très astreignant, très difficile. Il faut trouver de l'argent car on ne peut pas tout financer soi-même, il y a tout un travail de prospection à mener, il faut sonner aux portes, vendre son projet aux Pouvoirs publics, aux chaînes de télévision. Revers de la médaille, quand on est soi-même producteur, on n'a pas de comptes à rendre. J'ai toujours fait exactement ce que j'ai voulu, ce qui n'est pas le privilège de tous les cinéastes. Je crois être un cas à peu près unique de producteur-réalisateur dans le domaine du documentaire.

Votre maison de production s'appelle "Les Films du prieuré". Pourquoi ce nom ?

Les Films du prieuré a été créé en 1959. Le "prieuré" est en fait anecdotique. Quelques années auparavant, avec des camarades de l'IDHEC, nous avons passé des vacances en Dordogne dans une très jolie bâtisse renaissance, Le Prieuré. Nous y avons tourné un film amateur dont je ne sais ce qu'il est devenu. Le nom de ma société de production est une preuve de fidélité à ce petit cénacle de jeunes réalisateurs parmi lesquels se trouvaient Philippe Colin, Serge Friedman et Robert Mazoyer.

Vous avez très souvent filmé des artistes de premier plan, voire des icônes de la danse. Filmer ces fortes personnalités est-il simple ?

Toujours. Dans le domaine de la danse je me suis rapidement fait une réputation après le film que j'ai réalisé avec Yvette Chauviré. Ce film a remporté un grand succès et les artistes sont ensuite venus vers moi. Je dois dire que ces grands artistes ont tous compris dans quelles conditions je travaillais, qu'il s'agissait de moyens alloués au documentaire et que ces moyens venaient de mes propres deniers. Les conditions ont vraiment toujours été très amicales.

 

Dominique Delouche et Denise Duval devant la brasserie parisienne "Chez Francis".  © Collection D. Delouche

Quelles sont les personnalités qui vous ont marqué le plus et pour quelles raisons ?

J'ai été très marqué par Denise Duval avec laquelle j'ai tourné La Voix humaine en 1970. J'avais découvert l'œuvre de Poulenc à sa création à l'Opéra Comique et l'avais appréciée sans toutefois ressentir de choc. Ce qui l'a provoqué a été l'enregistrement de Denise Duval pour Pathé Marconi sous la direction de Georges Prêtre. Je pense que La Voix humaine, pour être appréciée, demande une forme d'intimité d'écoute et de regard, afin de partager le climax d'émotions que délivre l'interprète. L'idéal, pour moi, n'est pas de voir cette œuvre dans un théâtre. Avec mon film, j'ai voulu que le spectateur ressente l'impression d'être enfermé avec cette femme, dans la même pièce, ce que permet une salle de cinéma. Au théâtre, le quatrième mur est totalement ouvert sur des tas de spectateurs dont on ne sait s'ils vont se mettre à tousser ou à penser à autre chose. Au cinéma, on a l'impression de se cogner dans les murs avec cette femme.
Travailler avec Denise Duval a été une grande émotion, d'autant qu'elle refusait ce tournage que je lui proposais. Elle ne chantait plus et ça fut la croix et la bannière pour lui faire accepter d'interpréter ce rôle en play-back.

Vous connaissiez déjà Denise Duval ?

Lire le test du DVDPas du tout, et cela a été très difficile. Elle vivait alors en Suisse, totalement retirée d'un milieu musical qu'elle n'aimait plus et dont elle ne voulait plus entendre parler. Me voir venir lui proposer de replonger dans ce monde lui était plutôt désagréable… Mais nous avons lié une très grande amitié à partir de ce moment. Nous avons à nouveau tourné ensemble, 28 ans après, en 1998, et j'ai filmé Denise Duval donnant une leçon d'interprétation à Sophie Fournier : Denise Duval revisitée, ou la"Voix" retrouvée. Ces deux films me tiennent très à cœur car je lui dois beaucoup. Elle crève l'écran, elle a tout donné avec générosité, en abandonnant toute pudeur. Cela me coupe le souffle à chaque fois que je regarde ce film.

 

Et dans la danse ?


Je vous parlerai tout de suite d'Yvette Chauviré, une personnalité exemplaire. C'est en raison de cette qualité que j'ai appelé mon film Une Étoile pour l'exemple. Yvette Chauviré est exemplaire sur tous les plans : par son talent, mais aussi par sa carrière qui a été un cheminement très progressif, pas à pas, vers la perfection. Au départ, elle n'était pas plus douée qu'une autre danseuse. Lorsque je la voyais à l'Opéra, elle devait avoir 20 ou 25 ans, elle ne se distinguait pas spécialement des autres. Mais petit à petit, grâce à son intelligence et à son opiniâtreté à chercher la perfection, elle est parvenue à cette espèce d'épure qu'a été son art à la fin de sa carrière. Même lorsqu'elle n'avait plus la force physique, il lui restait une espèce de rayonnement. Elle avait réussi une alchimie, à faire de l'Art, à exprimer le plus avec le moins. Parvenir à cette simplicité est l'aboutissement d'une véritable ascèse. Yvette Chauviré représente pour moi l'icône de cet art français qui passe par Racine, ou Matisse. Elle représente à jamais le jalon qui passe par la danse, et qu'on ne retrouve pas dans les générations suivantes de danseuses.

 

Jerome Robbins et Monique Loudières dans <i>Comme des oiseaux…</i>.  © Collection D. Delouche

Justement, que pensez-vous de la nouvelle génération de danseurs ?

Il y a de très bons danseurs. Après Yvette Chauviré d'excellents artistes se sont illustrés dans le Ballet de l'Opéra de Paris. J'ai tourné Comme les oiseaux… avec Monique Loudière, une merveilleuse danseuse. Certains jeunes sont actuellement très bien aussi, mais c'est autre chose. Je ne veux pas dire pour autant qu'ils sont moins bien. Tout d'abord, ils ont l'occasion de danser maintenant beaucoup plus de styles contemporains différents. Sans doute cela leur ouvre-t-il l'esprit, cela les libère-t-il du carcan de la danse classique. Lorsqu'ils reviennent au ballet, ils l'abordent avec plus de richesse grâce à leur expérience de ce que j'appellerais le "dévertébré". Le Ballet de l'Opéra de Paris compte aujourd'hui de merveilleux danseurs et danseuses.
Mais, ce qui me semble très important est de considérer le nombre de compagnies de danse de par le monde. Elles sont aujourd'hui innombrables. Il est formidable de constater l'universalité du langage de la danse classique qui est maintenant répandu dans le monde entier. Ce qu'était la musique depuis toujours, la danse l'est devenu…

Les films de Dominique Delouche sont édités en DVD par Doriane Films. Retrouvez les documentaires sur la danse et la musique ainsi que les fictions du réalisateur dans la boutique de Tutti-magazine.

Un certain nombre de vos films sont édités en DVD par Doriane Films. Participez-vous à l'élaboration de ces programmes ?

Bien sûr. Ces DVD apportent en quelque sorte une vie nouvelle à mes films. Lorsque j'ai commencé à travailler, la destination première des films était la salle de cinéma. Puis, on a passé mes films à la télévision et, aujourd'hui, avec l'essor considérable du DVD, je suis heureux d'être présent sur ce support qui touche tant de monde. Sur DVD, mes films sont regroupés deux par deux.
J'ai du reste encore des projets avec Doriane Films.

 

<i>Balanchine in Paris</i>, dernier film de Dominique Delouche, réalisé en 2001. De gauche à droite : Isabelle Ciaravola, Ghislaine Thesmar et Hervé Moreau.  © Collection D. Delouche

Pouvez-vous nous en parler ?

Edith Stockhausen dans <i>La Dame de Monte Carlo</i>.  © Collection D. DeloucheJe vais sans doute maintenant m'arrêter car je suis un peu fatigué et je pense, depuis 40 ans, avoir fait le tour des personnalités les plus exceptionnelles. Mais, avant cela, durant l'hiver 2010, j'ai voulu encore réaliser un documentaire sur Balanchine. Ce film s'appelle Balanchine in Paris et traite de l'inspiration française du chorégraphe américain. Balanchine a été fortement inspiré par la France, tant au niveau de la musique que des danseurs et danseuses comme Violette Verdy et Ghislaine Thesmar. J'ai ainsi tourné à l'Opéra avec ces deux artistes. 


Ce film sortira-t-il en salles ?


Non, je ne pense pas. Le marché a évolué et, avec le DVD, les gens fréquentent moins les salles pour aller voir un film documentaire. Dans un premier temps, il sera diffusé à la télévision, d'abord sur Mezzo, puis sur France 2. Il sortira ensuite en DVD. 


Nombre de vos courts métrages, comme La Dame de Monte Carlo, ne sont pas disponibles en DVD. Pensez-vous les éditer ?


Pourquoi pas ? Bien que La Dame de Monte Carlo soit un film très court, il n'a pas trouvé sa place sur le DVD consacré à Denise Duval car c'est Edith Stockhausen qui l'interprète. Mais on pourrait envisager un DVD qui rassemblerait plusieurs courts métrages consacrés à la musique. 


Vous écrivez également. Après ce dernier film sur la danse, pensez-vous poursuivre dans cette voie ?


Je viens de sortir Max et Danielle, un livre sur Danielle Darrieux et Max Ophüls.
Plus que Fellini, Max Ophüls est pour moi l'auteur de cinéma dont je me sens le plus proche du point de vue du style et des thèmes. Je l'ai connu à l'occasion de Lola Montès. À l'époque j'écrivais des critiques de cinéma pour de petites revues et j'avais été ébloui par ce film qui avait été très mal accueilli. À 20 ans, on ose tout ! J'étais pourtant un garçon très timide… J'ai donc écrit le bien que je pensais de Lola Montès, ma critique est tombée sous les yeux d'Ophüls et il m'a appelé pour me rencontrer. J'avais déjà fait Il Bidone avec Fellini et Ophüls m'a proposé d'être son assistant sur son prochain film : Montparnasse 19, sur Modigliani. Il est mort avant de pouvoir faire ce film et c'est Jacques Becker qui l'a réalisé avec Gérard Philipe. Ophüls, du reste, ne l'aurait pas tourné avec Gérard Philipe…
Quant à Danielle Darrieux elle représente pour moi également une icône. Je l'ai toujours beaucoup admirée, en particulier dans les films d'Ophüls.
Pour ce livre, j'ai trouvé amusant d'évoquer face à face Max Ophüls et Danielle Darrieux bien que je les aie connus personnellement à des époques différentes. Mais Ophüls me parlait d'elle, et elle, 15 ans plus tard, me parlait de lui. Ce livre confronte mon expérience de ces deux personnalités et ce qu'elles m'ont confié chacune sur l'autre.

L'écriture pourrait vous tenter à nouveau…


J'éprouve beaucoup de plaisir à écrire. L'écriture me vient facilement. Au cinéma, on souffre beaucoup, on utilise de l'argent qui n'est pas à soi, on craint une catastrophe et tous les dangers vous guettent. Le pire qui puisse arriver à un écrivain est de ne pas être édité ! Avant Max et Danielle j'ai d'ailleurs écrit un texte sur Giulietta Masina, que j'ai très bien connue. Il n'a pas encore été publié mais pourrait l'être l'année prochaine par La Tour Verte…



Propos recueillis par Philippe Banel
Le 6 mai 2011

 

 

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