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Interview d'Ambrogio Maestri, baryton

Ambrogio Maestri.  D.R.

 

Considéré comme un des grands barytons verdiens actuel, c'est avec le rôle écrasant de Falstaff qu'Ambrogio Maestri a forgé sa popularité. Un personnage qu'il incarne avec une telle puissance et une telle humanité que les grandes scènes d'opéra du monde le réclament. Nous le rencontrons dans sa loge de l'Opéra Bastille après une répétition de Falstaff mis en scène par Dominique Pitoiset…

 

Le Falstaff de Dominique Pitoiset est repris à l'Opéra Bastille du 27 février au 24 mars 2013. Ambrogio Maestri est entouré d'une distribution remarquable parmi laquelle nous citerons Marie-Nicole Lemieux, Elena Stallagova, Arthur Rucinski et Paolo Fanale. Daniel Oren dirige l'Orchestre de l'Opéra National de Paris. Ce Falstaff sera diffusé par FRA Musica et UGC dans les cinémas dans le cadre de Viva l'Opéra ! le 12 mars. Philippe Béziat réalisera cette captation…

 

Tutti-magazine : Vous répétez actuellement le rôle de Falstaff dans la mise en scène de Dominique Pitoiset à l'Opéra Bastille. Comment se déroule ce travail ?

Ambrogio Maestri : La production de l'Opéra Bastille est gigantesque au point de se sentir un peu perdu dans un si grand espace scénique au pied de décors aussi impressionnants. Mais je suis très conscient que chaque mise en scène de Falstaff nécessite un ajustement, ne serait-ce que dans la gestuelle, et je m'applique à me fondre au mieux partout où je chante et à m'adapter aux impératifs de chaque plateau.

 

Ambrogio Maestri (Falstaff) et Marie-Nicole Lemieux (Mrs. Quickly) dans <i>Falstaff</i> mis en scène par Dominique Pitoiset.  © Opéra National de Paris/Mirko Magliocca

 

Ambrogio Maestri à l'Opéra Bastille.  © Opéra National de Paris/Mirko Magliocca

Le Falstaff de Dominique Pitoiset est-il différent de ceux que vous avez déjà interprétés ?

Il est à vrai dire peu différent. En ce qui me concerne, interpréter le personnage de Falstaff à la Scala, à Zürich ou à l'Opéra de Paris est pour ainsi dire la même chose. Seules diffèrent quelques nuances liées justement à l'adaptation à telle ou telle production. Falstaff est un personnage d'une telle envergure que le décor ne peut pas le changer tant que cela. Bien sûr, il est possible de l'adapter à l'époque choisie par un metteur en scène pour le déroulement de l'action. De même, Falstaff peut être plus ou moins agressif ou souple selon les différentes scènes en fonction des choix arrêtés par le chef d'orchestre et le metteur en scène. Mais, plus que tout, Falstaff est le Falstaff de Verdi, bien plus que celui de Shakespeare ou d'un directeur d'acteurs. Cependant, je reconnais que le travail de Dominique Pitoiset à l'Opéra Bastille est particulièrement habile et intelligent car il a réussi à construire un cadre susceptible de s'adapter à différents Falstaff.

En tant qu'acteur incarnant Falstaff, qu'attendez-vous d'un metteur en scène ?

Pour être franc, il est très difficile pour un metteur en scène qui monte son premier Falstaff d'apporter quelque chose de neuf que je n'aie pas déjà essayé après avoir chanté autant de fois ce rôle sur scène dans diverses productions. Bien sûr, mon cas dépasse le cadre de cet opéra particulier car la situation la plus courante est celle qui place un metteur en scène qui monte une œuvre une ou deux fois au cours de sa carrière face à des chanteurs qui l'ont déjà chanté un certain nombre de fois car elle fait partie de leur répertoire. Ceci dit, je crois que la meilleure chose qu'un metteur en scène puisse faire est de comprendre le contexte historique dans lequel évolue le personnage et qu'il laisse une petite part de liberté à chaque chanteur afin qu'il puisse interpréter au mieux ce qu'il peut apporter de personnel à un rôle.Cliquer sur l'affiche de <i>Falstaff</i> pour visualiser la liste des salles qui diffusent cet opéra…







Dans Falstaff, certains ensembles, comme la fugue finale, font intervenir de nombreux personnages qui demandent une très grande précision que vous avez acquise depuis longtemps. Comment abordez-vous les répétitions avec des chanteurs qui n'ont pas cette habitude ?

Dans la fugue* finale je deviens un véritable métronome sur lequel se basent tous les autres chanteurs. Si je décroche, tous les autres tombent avec moi. Sur le plan musical, Falstaff est un opéra difficile et, dans ce genre d'ensemble, il est très important que la distribution intègre au moins un ou deux chanteurs qui se montrent très sûrs de leur rôle afin de pouvoir guider les autres. La précision de l'écriture est telle qu'une note qui n'est pas en place compromet l'équilibre de la structure entière. Débuter dans Falstaff est d'ailleurs compliqué et il est préférable de connaître sa partie par cœur d'une façon très stricte car l'œuvre demande un grand investissement pour chacun des interprètes. Quoi qu'il en soit, je m'y sens parfaitement à l'aise !
* Voir l'extrait de la production de l'Opéra de Zürich avec Ambrogio Maestri et Barbara Frittoli à la fin de cette interview.

Après Dulcamara et Rigoletto, c'est votre troisième opéra à l'Opéra Bastille. Quels sont vos rapports avec cette maison d'opéra ?

Une relation assez spéciale me relie à l'Opéra de Paris. Tout d'abord, Paris est ma ville préférée et c'est un vrai plaisir que de séjourner et chanter en même temps ici. L'Élixir d'amour représente un souvenir important de 2006 car j'ai beaucoup apprécié la création de Laurent Pelly qui m'a permis de jouer avec un sens de l'humour et une gaîté qui contrastent avec Falstaff qui est plus mélancolique et profond. C'était la première fois que je chantais ce rôle. Le personnage de Dulcamara est pétillant et frais, et ce n'est pas si souvent que je n'ai pas besoin de tuer quelqu'un ou de mourir moi-même ! La distribution était très soudée et la série de représentations a été pour moi un vrai bonheur.

Ambrogio Maestri.  D.R.

En qui concerne le Rigoletto de Jérôme Savary que j'ai chanté ici en 2008, je suis très reconnaissant envers l'Opéra de Paris de m'avoir offert ce rôle car ma voix s'accorde parfaitement à l'écriture mais aussi à ma maturité de chanteur. Or souvent, et en particulier en Italie, le rôle de Rigoletto s'apparente à une sorte de Joker, de nain difforme. Mais la production de Paris rompait avec cette image traditionnelle, et je représentais davantage une sorte d'énorme monstre qui me permettait de m'exprimer véritablement.

Le 12 mars, Falstaff va être filmé pour être diffusé dans les salles de cinéma. Cela change-t-il quelque chose dans votre jeu ?

Je tente toujours d'être d'avoir un visage le plus expressif possible. Mais il est vrai que lorsque je suis fatigué et que le chanteur qui intervient est à 15 mètres devant moi, je peux avoir tendance à me relâcher. Bien entendu, la situation est différente lors d'une captation et je m'applique à rester dans le personnage de façon constamment active, comme pour le tournage d'un film.Ambrogio Maestri (Falstaff) et Barbara Frittoli (Mrs. Alice Ford) dans <i>Falstaff</i> mis en scène par Sven-Eric Bechtolf à Zürich.  © Suzanne Schwiertz

Souvent les réalisateurs de captations disent qu'ils ne peuvent malheureusement pas travailler directement avec les artistes ? Pensez-vous que cela est regrettable ?

Sur une scène d'opéra, je me sens avant tout entre les mains du metteur en scène et du compositeur. Je pense que, depuis la cabine du réalisateur, la captation d'opéra est comparable à celle d'un match de football ! Plus sérieusement, Il faut faire doublement confiance à un réalisateur de captation car vous lui confiez votre image et il peut en faire ce qu'il veut. Le chanteur n'a aucun pouvoir sur cet aspect et ne peut absolument pas contrôler l'angle sous lequel il va être présenté : plan large ou gros plan !Cliquer sur le visuel pour commander le DVD de <i>Falstaff</i> à Zürich…

En 2011, vous avez été filmé dans Falstaff à l'Opéra de Zurich. Cette captation est sortie en Blu-ray et DVD chez C Major. Pouvez-vous nous donner votre avis sur cette production ?

J'ai adoré la production zurichoise. Tout d'abord, l'Opéra de Zürich est une petite salle et cela permet de chanter de façon plus naturelle et de davantage nuancer son expression que dans une grande salle. Chaque chanteur, dans ce cadre, avait la possibilité d'exprimer des nuances piano, de chanter en falsetto et de façonner de nombreuses couleurs. La mise en scène est assez traditionnelle mais, plus que tout, c'est l'enregistrement musical qui rend cette captation si spéciale par rapport à un grand nombre d'autres enregistrements de Falstaff.

Vous avez ouvert la Saison "Live in HD" 2012/2013 du Metropolitan Opera avec L'Elisir d'Amore. Quel souvenir gardez vous de la production de Bartlett Sher ?

Ambrogio Maestri et Anna Netrebko répètent <i>L'Élixir d'amour</i> au Metropolitan Opera en 2012.  D.R.Peut-être parce que la production de l'Opéra de Paris représente mon premier Élixir d'amour, c'est vers elle que va ma préférence. Bien entendu, j'aime aussi celle du Metropolitan Opera mais il faut reconnaître qu'elle est très traditionnelle. Ce sentiment était d'ailleurs partagé par tous les chanteurs car le travail de Bartlett Sher se rapproche beaucoup de la production historique de Vienne mise en scène par Otto Schenk. D'où cette impression de nous retrouver dans une nouvelle production qui avait déjà 40 ans d'âge et notre surprise d'être confrontés à quelque chose d'aussi naturel.

Vous avez posé avec Anna Netrebko devant l'objectif de Nick Heavican pour la campagne promo du Met dans un décor assez incroyable. Que pouvez-vous dire de cette séance photos ?

La séance photo organisée à Vienne a été un très grand plaisir car elle m'a permis de retrouver Anna que je n'avais pas revue depuis au moins 10 ans. Nous nous sommes rencontrés à l'Opéra National de Washington qui était placé sous la direction artistique de Plácido Domingo, elle chantait Gilda et moi le comte Monterone dans Rigoletto. Mais nous avons chacun développé un répertoire différent et il était très difficile de nous retrouver ensuite dans une même distribution. C'est donc grâce à Dulcamara que j'ai pu la revoir. Cette séance de photos s'est déroulée comme une fête. Il faut dire qu'Anna est adorable et très expansive, et nous nous sommes vraiment amusés devant l'objectif à faire des idioties. Dès le début nous avons commencé par rire et une complicité s'est immédiatement installée. Mais ni Anna ni moi ne savions que ces photos allaient servir à un affichage et nous avons tous les deux été très surpris de nous retrouver placardés sur les bus de New York, aux entrées des bouches de métro et dans les rues ! Je peux vous dire que cela fait un effet incroyable tant l'affichage du Met pour l'ouverture de la saison est une opération gigantesque. Peter Gelb se livre chaque année à une telle opération. Je crois que nous nous souviendrons très longtemps de ces photos…

 

Ambrogio Maestri à New York devant une affiche de <i>L'Élixir d'amour</i>.  D.R.

 

 





Vous avez récemment ajouté à votre répertoire des rôles véristes comme Scarpia, Tonio et Alfio. Que pouvez-vous dire de cette orientation ?

J'apprécie le courant vériste mais je ne peux pas parler de tournant de carrière. L'occasion s'est présentée d'aborder des rôles véristes et je dois dire que l'accueil du public a été très positif. Ils font maintenant partie de mon répertoire mais je me considère toujours comme un baryton verdien. Il s'agit en fait d'une simple diversification qui fait partie de mon évolution.

Vous avez chanté sous la baguette de nombreux chefs d'orchestre. Pour vous, quelles qualités doit posséder un bon chef pour les chanteurs ?

Bien sûr, il doit parfaitement signifier les attaques, mais, surtout, il doit surtout se montrer très attentif aux chanteurs et les regarder. Un bon chef doit veiller sur les chanteurs et ne pas s'occuper exclusivement de son orchestre.

Ambrogio Maestri dans <i>Pagliacci</i> sur la scène de la Scala en 2011.  D.R.

Dans les années qui viennent, quels rôles aimeriez-vous ajouter à votre palette ?

J'aimerais chanter quelques autres rôles veristes: Barnaba dans La Gioconda, André Chénier, La Houppelande et Gianni Schicchi. On m'a aussi proposé de chanter du Wagner car cela conviendrait à ma voix. Je verrai cela dans les années qui viennent… Dans un premier temps, La Houppelande et Gianni Schicchi sont déjà prévus en Espagne, et dans 2 ans, je ferai mes débuts dans Don Pasquale au Metropolitan Opera. En fait, tout dépend de la programmation des théâtres, car certains opéras sont relativement peu donnés. De plus, je pense qu'il n'est pas nécessaire pour un chanteur de pouvoir chanter des centaines de rôles. Il est important d'essayer pour voir ce qui convient vraiment, mais l'essentiel n'est-il pas de favoriser les cinq ou sept rôles dans lesquels vous pouvez être considéré comme un des meilleurs chanteurs ?

 

 

Pour en savoir plus sur Ambrogio Maestri :
www.ambrogiomaestri.com

 

Propos recueillis par Philippe Banel
Le 21 février 2013

 

Mots-clés

Ambrogio Maestri
Falstaff
L'Élixir d'amour
Metropolitan Opera
Opéra national de Paris

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Ambrogio Maestri chante Falstaff à Zürich

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