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Interview d'Elena Tsallagova, soprano

Elena Tsallagova. © Javier de Real

 

C'est avec le rôle de la Renarde dans La Petite renarde rusée de Jananeck qu'Elena Tsallagova s'est illustrée en 2008 parmi les artistes les plus aimées du public de l'Opéra Bastille. En effet la production d'André Engel a été couronnée d'un énorme succès prolongé par une sortie vidéo chez Medici Arts. En 2012, sur la même scène, elle est une prodigieuse Mélisande dans la mise en scène de Robert Wilson. Ses dons de chanteuse s'associent à une grâce et une incroyable délicatesse héritées de la danse classique ce que Pelléas et Mélisande atteste sans conteste. Le DVD de l'opéra de Debussy est édité par Naïve…

 

 

Lorsque nous rencontrons Elena Tsallagova dans sa loge de l'Opéra Bastille, elle est distribuée dans deux spectacles. Tout d'abord dans Falstaff, où elle interprète Nanetta au côté d'Ambrogio Maestri jusqu'au 24 mars, mais aussi dans Siegfried, où elle chante en coulisses le rôle de l'Oiseau de la forêt, du 21 mars au 15 avril…
FRA Cinema diffuse dans les cinémas cette production de Falstaff enregistrée le 12 mars et réalisée par Philippe Béziat…



Tutti-magazine : Vous chantez jusqu'au 24 mars le rôle de Nanetta dans Falstaff à l'Opéra Bastille. Quelle impression avez-vous de cette production ?

Elena Tsallagova : Les premiers mots qui me viennent à l'esprit sont la facilité et la simplicité. La simplicité est ce qui caractérise ce rôle, tant sur le plan vocal que pour mon approche personnelle, et la facilité vient de la compréhension de ce qu'attend le metteur en scène. J'ajouterai que la composition de la distribution est parfaite dans la mesure où chacun trouve sa place sans aucun problème au sein d'un groupe soudé.

 

 

Elena Tsallagova (Nanetta) et Paolo Fanale (Fenton) dans <i>Falstaff</i> mis en scène par Dominique Pitoiset.  © Opéra National de Paris/Mirko Magliocca

 

Elena Tsallagova interprète Nanetta dans <i>Falstaff</i> à l'Opéra Bastille.  © Opéra National de Paris/Mirko Magliocca

Pouvez-vous nous parler du travail théâtral de Dominique Pitoiset, metteur en scène de ce Falstaff ?

J'avais déjà travaillé avec lui pour Didon et Énée lorsque j'étais à l'Atelier Lyrique et j'en gardais un très bon souvenir. Dominique Pitoiset donne beaucoup de matériel aux chanteurs afin qu'ils puissent comprendre le mieux possible leur personnage. Ensuite il dirige parfaitement chacun dans les différents axes de la narration et rend le travail particulièrement agréable.

Daniel Oren dirige l'Orchestre de l'Opéra. Quel type de chef est-il ?

Il est vrai que le chef est un élément essentiel pour les chanteurs car nous devons sans cesse nous adapter à de nouvelles manières de travailler et à d'autres façons de diriger. Daniel Oren est un chef très exigeant qui travaille avec beaucoup de précision sur la musique et les tempi. Lorsque j'ai commencé à répéter avec lui j'ai même été surprise par cette exigence et je craignais qu'elle me bride mais, au final, j'ai trouvé cette collaboration très intéressante et j'apprécie beaucoup le résultat obtenu.

En 2009, vous avez chanté Nanetta avec le Glyndebourne Touring Opera, et vous serez à Glyndebourne entre le 19 mai et le 14 juillet dans la mise en scène de Richard Jones. Votre approche de ce personnage est-elle différente entre les deux productions ?

Dans ces deux mises en scène, Nanetta reste une jeune fille amoureuse. Mais lorsqu'elle est entourée de personnages, sa manière de communiquer avec eux est un peu différente. Quoi qu'il en soit, Nanetta est toujours simple et joyeuse. Passer d'une production à l'autre ne présente pas de difficulté particulière, sans doute parce que ces deux Falstaff répondent à des visions assez classiques de l'œuvre qui permettent au public une approche facile.

 

Elena Tsallagova (Nanetta) et Ambrogio Maestri (Falstaff) au dernier Acte de <i>Falstaff</i>.  © Opéra National de Paris/Mirko Magliocca

 


Verdi a confié à Nanetta les interventions les plus mélodiques et les plus touchantes de son opéra. Est-ce le moyen idéal pour capter la sensibilité du public ?

Difficile de vous répondre, mais l'accueil du public de l'Opéra Bastille me touche beaucoup et cela m'émeut de penser que ma Nanetta est appréciée ainsi. Cependant, derrière la facilité de ce rôle, il y a de longues phrases à porter et un travail d'autant plus important que le public ne doit pas s'en rendre compte sous peine de perdre la légèreté qui fait le charme du personnage.

Justement, les longues tenues de notes de Nanetta sont-elles négociables selon les chefs qui se trouvent dans la fosse ?

Il est vrai qu'il faut composer, car ces 5 mesures de la bémol tenu peuvent être plus ou moins longues selon le chef. Qui plus est, l'orchestre est alors assez présent. Pour ma part, je me prépare à cette situation afin de ne pas sentir ma limite tout en sachant que je devrai parfois tenir cette note plus longtemps et parfois moins.

Est-ce, pour vous, le passage le plus difficile de Falstaff ?

Non, le plus dur est de courir continuellement sur scène. Il faut dire que, depuis La Petite renarde rusée, je me suis habituée aux déplacements. Courir et chanter n'est pas facile. À ce titre, Mélisande était bien plus calme !

Le 12 mars, le réalisateur Philippe Béziat filmera Falstaff et cette captation sera diffusée en direct dans les salles de cinéma. Comment envisagez-vous cette représentation un peu spéciale ?

Être filmée est très motivant, mais chanter pour une seule personne l'est aussi. Je crois qu'un chanteur doit toujours donner son maximum, y compris pendant les répétitions. Ceci dit, je me réjouis de cette captation car elle permettra peut-être à ma famille qui est en Russie de me voir !

 

 

Elena Tsallagova interprète Mélisande dans <i>Pelléas et Mélisande</i> mis en scène par Robert Wilson.  © Opéra National de Paris/Charles Duprat

Philippe Béziat* vous avait déjà filmée sur la scène de l'Opéra Bastille dans Pelléas et Mélisande en mars 2012. Cette captation sort en DVD chez Naïve le 9 avril. Quel souvenir gardez-vous de cette production ?

Un souvenir merveilleux attaché à une expérience à la fois spéciale et exceptionnelle. Pelléas et Mélisande marque ma rencontre avec Bob Wilson et j'espère pouvoir à nouveau travailler avec lui, y compris dans un axe plus théâtral où le langage parlé serait utilisé. J'ai vu sur Internet qu'il avait déjà monté un spectacle assez particulier basé sur les Sonnets de Shakespeare et cela me tente vraiment car je place notre rencontre sur l'opéra de Debussy en dehors de tout ce que j'ai pu faire jusqu'alors. Pelléas a été pour moi une étape très importante, d'autant que j'ai bénéficié du très grand soutien de Philippe Jordan et que ce travail aussi a toujours été accompagné d'un très grand plaisir.
* Philippe Béziat a réalisé le documentaire Pelléas et Mélisande - Le Chant des aveugles.

Dans le premier interlude de l'Acte I, Mélisande et Golaud se croisent. Vous sortez de scène après avoir fait un grand cambré. Robert Wilson a pu utiliser votre formation de danseuse pour enrichir le personnage de Mélisande. Est-ce un axe que vous aimeriez développer, à l'image de Danielle de Niese ?

Votre question est sans doute la meilleure réponse que je pourrais faire ! Oui, j'aimerais dans l'avenir pouvoir conjuguer le chant avec une expression corporelle, comme danser en chantant. Je ne sais pas encore dans quel cadre je pourrai m'exprimer ainsi mais peut-être le compositeur susceptible de s'intéresser à moi pour ce genre de projet va-t-il surgir un jour au détour d'un chemin ! Que l'on écrive pour moi est en tout cas un de mes rêves…

 

Elena Tsallagova.  © Javier de Real

Continuez-vous à travailler la danse ?

Oui, mais plutôt des formes de danse qui me correspondent davantage aujourd'hui, comme le Flamenco que j'ai étudié lorsque j'étais à Madrid. Je ne pratique pas le Flamenco comme une professionnelle car ma formation est avant tout celle d'une danseuse classique, mais je continue bien sûr à m'entraîner.

Pour le rôle de Mélisande, vous êtes particulièrement attentive à la qualité de la diction, en même temps que vous veillez à la circulation du flux musical. Avec ces impératifs, quelle place reste-t-il pour l'interprétation ?

Tout ces éléments doivent naturellement s'exprimer ensemble et être liés les uns aux autres. Avec la langue française, j'ai l'impression que tout vient très naturellement. Je prépare en ce moment le rôle de l'Oiseau de la forêt pour Siegfried et, pour moi, l'allemand est très différent même si cette langue se prête à lier le texte à la pensée et à la voix. Disons que je ressens une facilité avec le français qui est ma langue préférée. Pour revenir au rôle de Mélisande, je suis persuadée qu'avec une autre langue que le français, ça ne marcherait pas.

Vous avez chanté Mélisande avec Stéphane Degout, Vincent le Texier et Anne-Sophie Otter. Ces interprètes ont sans doute tous une approche très personnelle des personnages, comme vous possédez la vôtre. A-t-il été facile de réunir ces individualités pour parvenir à une cohérence sur scène ?

C'est une impression très curieuse, mais je pense que chacun d'entre-nous vivait sa propre histoire. J'irais même jusqu'à dire que je ne suis pas certaine de suffisamment connaître les personnages qui évoluaient autour de moi pour pouvoir en parler vraiment. Chaque rôle de Pelléas et Mélisande* possède une grande profondeur et, pour ma part, je me suis engagée dans un grand travail de compréhension de Mélisande au point de, sans doute, ne pas avoir eu le temps de comprendre aussi bien les autres personnages. Sur scène, bien sûr, nous communiquions, mais sans jamais perdre notre individualité.
* Voir vidéo à la fin de cette interview.

 

Elena Tsallagova (Mélisande) dans <i>Pelléas et Mélisande</i> sur la scène de l'Opéra Bastille en 2012.  © Opéra National de Paris/Charles Duprat

 

Elena Tsallagova chante Mélisande dans <i>Pelléas et Mélisande</i> sous la direction de Philippe Jordan.  © Opéra National de Paris/Charles Duprat

Robert Wilson vous a-t-il aidé à construire votre Mélisande ?

Pas directement. Nous avons travaillé d'une façon très spéciale et même abstraite. Au début, Robert Wilson s'appuyait sur une histoire qui n'était pas celle de Pelléas et Mélisande. C'est seulement à la fin que nous avons relié cette démarche au livret de l'opéra. C'est une approche diamétralement opposée à celle à laquelle je me suis livrée pour Nanetta dans Falstaff, bien plus directe. Pour Pelléas, l'approche était celle du sens et, d'une certaine façon, de l'image. Cela m'a aidé à rester quasiment en apesanteur au point de ne pas réaliser être sur scène mais… quelque part.

La mise en scène de Robert Wilson installe un climat fantastique et féerique qui capte l'attention du spectateur. Comment ressent-on cette atmosphère depuis le plateau ?

On ressent également cette ambiance de façon très puissante sur la scène. Sans doute les lumières contribuent-elles à installer ce climat. Sur scène tout était très sombre et il me semblait que je pouvais me dissocier de tout ce qui m'entourait. Intimement, indépendamment de la puissance sonore que peut déployer la musique, je percevais en fait un grand silence et je me situais hors de toute préoccupation liée, par exemple, à la voix ou à la technique. C'était la première fois que j'atteignais cet état.

Était-ce une sensation agréable ?

C'est un état très agréable, mais également légèrement paniquant, tant cette impression était entièrement nouvelle pour moi. Du reste, l'ensemble de cette production représentait une nouveauté dans mon parcours, à commencer par la musique. Je me suis plongée à corps perdu dans le rôle de Mélisande.

Allez-vous prochainement chanter à nouveau Mélisande ?

Oui, à Munich, dans une nouvelle production. Ce sera pour la saison 2014-2015. Peut-être aussi à Paris…

Avant de chanter Mélisande à l'Opéra de Paris, vous dites avoir découvert la production de Robert Wilson en DVD. La vidéo fait-elle partie de votre manière d'aborder un nouveau rôle ?

Parfois seulement, et j'aime autant m'en passer. Si j'ai utilisé la vidéo pour Pelléas, c'était pour une première approche de cette mise en scène un peu spéciale.

Vous êtes-vous inspirée de modèles pour votre Mélisande ?

Pour ce rôle, j'ai plutôt parlé avec Ileana Cotrubas, qui est mon professeur de chant. Elle a aussi chanté Mélisande. Nous avons beaucoup discuté. Mais d'une façon générale, et pour le rôle de Mélisande qui n'est pas uniquement chanté, j'aime autant trouver moi-même mon chemin vers un personnage et développer mes propres sensations.

Lire la critique de <i>La Petite renarde</i>…

Lorsque vous parlez de vos études en Russie vous dites que vous vous trouviez dans une bulle. Ensuite, vous avez passé 2 ans à l'Atelier lyrique, puis 2 autres années dans la troupe de l'Opéra de Munich. Ressentez-vous toujours ce besoin de structure ?

En fait oui, car cela fait 2 ans que suis indépendante et je suis heureuse d'avoir signé un contrat avec le Deutsche Oper de Berlin pour les deux prochaines années car j'aimerais bien pouvoir m'installer quelque part. De beaux rôles m'attendent en 2013-2014, comme Gilda dans Rigoletto, Pamina dans La Flûte enchantée et Sophie dans Le Chevalier à la rose. Ces rôles m'ont d'ailleurs motivée à signer ce contrat qui me permet, en outre, de chanter ailleurs.

En 2012, vous avez dit que votre plus cher désir était de chanter Manon de Massenet. Est-ce toujours votre souhait ?

J'ai sans doute évolué. Bien sûr, j'aimerais toujours beaucoup chanter le rôle de Manon même si, pour le moment, il ne fait pas partie de mes projets à court terme. Mais, aujourd'hui, je ressens le besoin de chanter de la musique russe. Ceci dit, toute la musique me plaît et je ne peux en aucun cas dire que j'ai une préférence particulière. Je souhaiterais aussi chanter de la musique baroque, du Haëndel, par exemple.

 

Elena Tsallagova. © Allan Richard Tobis

Quels sont vos rendez-vous importants pour 2013 ?

Cet été, je vais chanter le rôle très aigu de Berenice dans L'Occasione fa il ladro à Pesaro lors du Rossini Opera Festival. Rossini est une nouvelle orientation pour moi et je conçois sa musique comme le chemin pour atteindre le grand Bel Canto. Mais, avant cela, je chanterai dans Les Cloches de Rachmaninov avec le Lucerne Symphony Orchestra au mois de juin. Je reprendrai aussi Nanetta à Berlin et chanterai pour la première fois Gilda, dans le cadre de mon contrat avec l'Opéra de Berlin, comme je vous l'ai dit…

Comment faites-vous pour faire savoir vos envies d'interprète ?

Mon agent peut m'aider, bien sûr, mais je tiens absolument à éviter que l'on me mette dans une case ou que l'on m'attribue une étiquette qui me cantonnerait à un type de musique. J'aimerais pouvoir m'épanouir dans la plus grande variété de styles possible, sur scène, en récital ou en concert avec orchestre comme dans la Symphonie no. 4 de Mahler. En définitive j'aimerais aller partout où mon envie de musique me porte…



Propos recueillis par Philippe Banel
Le 7 mars 2013


À noter : Pelléas et Mélisande est également disponible en VOD sur le site de Medici.tv


Pour retrouver Elena Stallagova sur Facebook :
www.facebook.com/elena.tsallagova

 

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