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Interview d’Agnès Terrier, Dramaturge de l'Opéra Comique

Agnès Terrier.  © Tutti-magazineChaque dramaturge de maison d'opéra possède sans doute une définition différente de son métier, tant celui-ci doit répondre aux besoins précis d'un théâtre. Agnès Terrier, dramaturge de l'Opéra Comique, situe sa mission à la croisée des attentes de la direction artistique, des artistes et du public. Enseignante de formation, passionnée par l'art lyrique et son histoire, elle aime partager ce qui l'anime au travers de conférences et de diverses actions pédagogiques qu'elle sait mettre à la portée de tous les publics… Nous rencontrons cette brillante dramaturge au verbe facile à l'occasion de deux expositions sur l'Opéra Comique dont elle est commissaire, quelques mois avant la fermeture du théâtre pour d'importants travaux.

 

Tutti-magazine : En quoi consiste le métier de dramaturge dans le cadre précis de l'Opéra Comique ?

Agnès Terrier : Je suis en quelque sorte l'historienne de la troupe, en même temps que la littéraire pédagogue. J'occupe donc une double fonction autour de laquelle j'ai développé, sous la houlette de Jérôme Deschamps et Olivier Mantei, de nombreux terrains d'activité.
Ma mission consistait d’abord à faire des propositions de programmation de "Rumeurs" autour des spectacles et à m'occuper des colloques. Puis, lorsque la première saison a débuté, j'ai été invitée à m'occuper des programmes de salle. Cela m’a vite permis d’y donner la parole aux spécialistes invités aux colloques, avec des textes sur le contexte historique, littéraire et historique des œuvres.
Je suis également conseillère artistique, ce qui m'amène à travailler très en amont sur la programmation. À ce titre, j'ai été comme mes collègues confrontée à divers questionnements : quelles versions des œuvres utiliser ? Où retrouver les partitions ? Comment travailler pour rester le plus fidèle possible à la volonté du compositeur ? Je me suis donc peu à peu projetée dans la problématique des archives. De fait, mon poste s'est construit de façon pragmatique, toujours avec l'idée de mettre en perspective les œuvres programmées et de déployer le plus d'outils possible pour que tous types de publics se retrouvent dans les spectacles et dans l’institution. Certains spectateurs vont passer par l'écrit, d’autres par l'oral, d'autres encore vont préparer leur sortie en amont alors que certains sont demandeurs d'un contenu rapide. Notre public peut aussi bien être très connaisseur, abonné de longue date, que totalement néophyte. Nous devons donner satisfaction à chacun et faire sentir à tous que la culture lyrique est un bien commun, vivant et accessible.

Vous êtes donc impliquée dans la valorisation des archives de l'Opéra Comique…

Une des 10 cariatides de Jules-Félix Coutan soutenant le 2e balcon de la Salle Favart.  © RMN

Les questions artistiques – du type "Nous programmons Mignon d’Ambroise Thomas : quel dénouement choisissons-nous ?" - soulèvent parfois de véritables difficultés, dans la mesure où l’institution ne dispose pas de ses archives qui sont d’une part lacunaires, d’autre part dispersées entre différents départements de la BnF, différents fonds des Archives nationales et les collections de la BHVP. Jérôme Deschamps a donc souhaité mobiliser les institutions en vue de procéder à un rassemblement virtuel de ces archives susceptibles en premier lieu de servir aux artistes. Pour le public, cette mise à disposition via le site Internet de l'Opéra Comique offre une autre manière d'appréhender notre maison. Enfin, nous avons conclu un partenariat avec la base de données Dezède, un formidable outil de partage des connaissances mis au point par des musicologues des universités de Rouen et de Montpellier. Dans cette base qui recense progressivement les programmes de théâtres et de concerts en France depuis le XVIIIe siècle, le répertoire de l’Opéra Comique est en train d’être établi de façon exhaustive, en parallèle avec la mise en ligne des archives artistiques conservées aux Archives Nationales et que nous avons pu numériser grâce au soutien du Ministère de la Culture.
Tous ces chantiers nous ont amenés il y a environ cinq ans à réaliser que le tricentenaire de l'Opéra Comique approchait ! La perspective de vivre cet événement a progressivement mobilisé toute l’équipe et nous avons lancé de nombreux projets, dans l’espoir que quelques-uns aboutiraient. Et tout a fonctionné ! Cette saison 2014-2015 s’avère donc particulièrement intense pour tous, avec plusieurs publications, plusieurs événements numériques, deux expositions…

Vous avez utilisé le mot "troupe". Est-ce ce qui qualifie votre univers de travail ?

Oui, vraiment. Le théâtre est tout petit et nous sommes quatre-vingt - une cinquantaine de techniciens et une trentaine d'administratifs. Nous nous connaissons tous et nous nous croisons constamment, ne serait-ce que pour notre rendez-vous hebdomadaire autour du planning. Nous sommes régulièrement mobilisés au complet autour d'un grand spectacle ou, parfois, pour des moments très durs comme un grave accident de travail, voire la mort d'un collègue. Dans toutes ces circonstances, la sensation d'appartenir à une troupe est vivante.
L'environnement de travail est donc très agréable. Les artistes qui viennent travailler chez nous durant deux mois pourraient en témoigner. Nous les aidons à s'intégrer très rapidement et nombre d'entre eux sont devenus des amis au fil des saisons. Il est vrai que Jérôme Deschamps et Olivier Mantei ont toujours eu à cœur de fidéliser les artistes. Lorsque nous arrivons à la fin d'une série de représentations, la séparation est vécue comme un déchirement. Les spectateurs y sont également sensibles et nous disent souvent qu'ils ont l'impression d'être accueillis par une équipe soudée.

 

Ange de Laurent-Honoré Marqueste ornant le manteau de scène de la Salle Favart.  © RMN

Affiches de <i>Lakmé</i> de Léo Delibes et du <i>Rêve</i> d'Alfred Bruneau.

Travaillez-vous directement avec les metteurs en scène et scénographes ?

Cela peut arriver, mais je reste tributaire du calendrier de publication des programmes de salle. Comme je n’ai commencé à y travailler qu’en tout début de première saison, je produis un travail « à la saison », avec rarement plus de six mois d’avance sur la première de chaque spectacle. Or le metteur en scène a besoin des services d’un dramaturge dès qu’il se met au travail, souvent au moins deux ans avant la première.
Ceci étant, la plupart des metteurs en scène travaillent en France avec leur propre dramaturge.
En réalité, j'ai plus souvent travaillé avec des chefs d'orchestre. Cela tient sans doute au livre sur l'Orchestre de l'Opéra de Paris que j'ai publié en 2003, sur une commande de Hugues R. Gall pour l’Opéra de Paris. Certains chefs m'ont identifiée comme une personne susceptible de les aider à fouiller dans les archives pour des questions de plan de fosse ou des choix de versions d'œuvre et d'instrumentarium. J’ai ainsi eu le grand plaisir de partager des discussions approfondies sur leurs choix musicaux avec des chefs tels que Sir John Eliot Gardiner, Marc Minkowski ou François-Xavier Roth.

Vous avez commencé votre carrière professionnelle par l'enseignement. À une certaine époque, parallèlement à vos cours, vous proposiez une initiation facultative à l'art lyrique. En quoi cela consistait-il ?

Je commençais ma thèse et j'étais ATER - Attachée Temporaire d'Enseignement et de Recherche - à l'Université d'Angers où j'avais été recrutée pour enseigner la grammaire et la stylistique, deux matières que j'adore. Tous mes exemples de grammaire étaient musicaux, et mes sympathiques étudiants les trouvaient assez amusants. Je me suis alors dit que leur parler de musique les cultiverait tout en me permettant d’élargir ma pratique de l'art lyrique. Ce cours totalement libre d'histoire de l'art lyrique se déroulait en douze séances de deux ou trois heures. La Fac avait mis à ma disposition un amphithéâtre et son matériel audiovisuel. De très nombreux étudiants venaient écouter de la musique. Je leur distribuais une grande quantité de documents avec des présentations thématiques synthétiques comme "l'opéra seria", "l'apparition de l'opéra-comique", "l'opérette", "Verdi", "Wagner"…  J'avais aussi noué un partenariat avec le Théâtre d'Angers qui leur ouvrait les portes de quelques répétitions et représentations.

Peut-on voir dans cette initiative les prémices des Introductions aux œuvres que vous proposez au public de l'Opéra Comique avant chaque représentation ?

Détail d'un lustre Christofle dans le foyer du public, à l'Opéra Comique.  © RMNJe n’en suis pas certaine, dans la mesure où j'aime parler au long cours et brasser très large. Je pense que ces petites introductions aux spectacles de quinze minutes sont plutôt liées à mon expérience à l'Opéra de Paris. En 2000, Martine Kahane m'a confié à l'Opéra l'organisation d'une table ronde autour de Guerre et Paix de Prokofiev. Puis, j'ai travaillé sur le thème du billet d'opéra, pour une exposition au Palais Garnier et une publication chez Flammarion, après quoi elle m'a demandé d'animer des conférences d'introduction pour tous les spectacles un peu difficiles d’accès, créations et opéras du XXe siècle. Il s’agissait d’un format de trente minutes, une heure avant le spectacle, la plupart du temps à l'Amphithéâtre Bastille. J'ai ensuite repris cette activité au Festival d'Aix-en-Provence, à l’invitation de Stéphane Lissner, en courant d’un lieu et d’un spectacle à l’autre, avec beaucoup de plaisir, cinq festivals de suite.
Une chose est sûre, l'enseignement m'a apporté la faculté de synthétiser, celle de m’adapter au public, le bagout nécessaire et la capacité de mobiliser l'attention sur un propos plus ou moins long. Du reste, lorsque je rencontre des étudiants qui sont attirés par mon métier, je leur conseille de commencer par enseigner. Se retrouver devant trente ados amorphes ou surexcités et parvenir à capter leur attention permet ensuite de se sentir à l'aise devant n'importe quel public. L'enseignement est un très beau métier et je crois bien que je le pratique toujours d'une certaine façon !

Êtes-vous impliquée dans la formation des jeunes chanteurs formés à l'Académie de l'Opéra Comique ?

Tout à fait, et avec grand plaisir ! Cette Académie créée par Jérôme Deschamps pour mobiliser et former les jeunes chanteurs à l’opéra-comique nous donne beaucoup de plaisir et d’énergie. Je conçois pour nos "académiciens" une série de cours à la table avec environ huit grands experts de l'Opéra Comique. Ils viennent leur parler de façon très approfondie de différents pans du répertoire, aussi bien que de problématiques plus larges, comme le rapport du théâtre avec la politique. Je convie aussi des intervenants plus spécifiquement portés sur l'intelligence des textes que les chanteurs vont devoir interpréter. Cela peut être en lien avec l'écriture des vers et de la prose pour le théâtre lyrique, ou avec la compréhension de ce qu'on chante au travers de la façon dont le texte a été écrit. Je fais venir un poète qui implique nos académiciens dans des ateliers d'écriture et leur fait comprendre les subtilités des textes qu'ils chantent dans les récitals de mélodie. Enfin, moi-même, je leur raconte l'histoire globale de l'Opéra Comique, mise en perspective avec celle des autres théâtres, et je leur apporte des éléments de grammaire et de prosodie.

Dans un documentaire sur la naissance de cette Académie, vous intervenez à propos du "r" roulé ou "grasseyé". Comprenez-vous que, dans une même production, des chanteurs puissent prononcer les "r" différemment ?

Eh bien, dans une telle situation je ne peux dire qu'une seule chose : "Vous ne chantez pas la même langue !". Le texte est écrit par un auteur unique, comme la musique peut l'être par un unique compositeur. A priori il y a donc une unité du langage qui permet aux personnages de se comprendre. Les chanteurs, avec une prononciation différente, brisent la justesse des échanges en employant une langue différente. C'est un problème. Ceci dit, je tempère en me disant que l'essentiel, pour le public, est de comprendre ce qui est chanté car, de la compréhension des paroles découle la pleine appréciation de la musique. Si certains chanteurs parviennent à être plus compréhensibles en roulant les "r", et d'autres en les grasseyant, il est préférable d'être pragmatique et de se garder d'imposer des règles. J'avoue avoir été plus intransigeante il y a dix ans mais, aujourd'hui, je me rends compte que ce n'est pas possible. Il faut composer avec la manière dont chacun a construit sa voix et son chant. Je suis davantage gênée lorsque les chanteurs ne sont pas pleinement compréhensibles. Qu'ils roulent ou grasseyent devient sans doute secondaire dès lors que le spectateur est emporté par le fond et ne reste pas focalisé sur la forme.
Le problème des "r" soulève aussi celui des liaisons, parfois différentes entre les chanteurs d'une même distribution. Mais plus gênant encore est un rapport différent de la voix au texte en fonction des techniques de chant. Cela peut conduire à ce qu'un interprète dise en chantant, à côté d'un autre qui chante en essayant de dire. De la sorte, le spectateur entend là aussi deux langages différents !
Tous ces problèmes sont compliqués et je crois qu'un conseiller linguistique attaché à chaque production n'y suffirait pas. Il faut au contraire prendre les choses en amont : composer des distributions, en tenant compte des caractéristiques vocales de chaque chanteur. C’est un art dont notre conseiller artistique Christophe Capacci m’a fait découvrir les subtilités.

 

Fête chez le Prince Orlofsky à l'Acte II de <i>La Chauve-souris</i> mis en scène par Ivan Alexandre à l'Opéra Comique en décembre 2014.  © Pierre Grosbois

Pour La Chauve-souris, présentée cette saison, le texte de l'œuvre a été réécrit…

Notre metteur en scène Ivan Alexandre estime que dans l’opérette, la perception du texte, en lien avec les personnages et les situations, doit être directe. Pour lui, l'utilisation des surtitres aurait placé en permanence le spectateur en léger décalage intellectuel par rapport à l'action qui se déroulait sur le plateau. Sans doute Ivan Alexandre a-t-il aussi pu conduire cette réflexion parce qu’il connaissait Pascal Paul-Harang de longue date et voyait en lui un excellent traducteur très musicien. Pendant presque trois ans, ils ont travaillé comme les tandems de librettistes au XIXe siècle. Le spectacle drôle et enlevé que nous avons donné en décembre est d'ailleurs le résultat de très nombreux tests et de multiples versions supprimées. C’était un plaisir d’entendre le public rire à tous moments de la qualité des échanges verbaux et du délicieux humour musical qui s’en dégageait.

 

<i>Le Roi malgré lui</i> mis en scène par Laurent Pelly à l'Opéra Comique. Photo de gauche : Sophie Marin-Degor (Alexina) et Franck Leguérinel (le Duc de Fritelli). À droite : Jean-Sébastien Bou (Henri de Valois), Sophie Marie-Degor, Nabil Suliman (Lasli) et Franck Leguérinel.  © Élisabeth Carecchio

En tant que dramaturge, tenez-vous aux versions originales ou pensez-vous qu'il peut se présenter des circonstances où l'adaptation française peut se justifier ?

Au sein de l'équipe de l'Opéra Comique, ma position est normalement l'intransigeance. On ne touche pas au texte ! Ceci étant, j'ai surtout été confrontée jusqu'ici à des coupures dans le texte parlé. On avance que ça s'est toujours fait. Il me semble pourtant intéressant de remettre cette habitude en question. Certes, les chanteurs sont souvent inégaux face au parlé – ce n’est pas pour cela mais pour le chant qu’ils ont été castés. Il nous arrive par ailleurs de nous trouver face à des metteurs en scène ou à des chefs d'orchestre qui souhaitent modifier les textes. Je suis alors dans la position de celle qui freine au maximum et demande des justifications sur tout. Quand il s'agit de paroles accompagnant la musique, le changement est a priori inacceptable. Ma position m’oblige à défendre les œuvres telles qu'elles sont écrites.
Néanmoins, mon rôle s’inscrit dans le cadre d’une direction artistique collégiale où s’expriment d’autres avis et où ceux des artistes sont très écoutés. Lorsque l'Opéra Comique a accueilli en 2009 la production lyonnaise de Laurent Pelly du Roi malgré lui, sa dramaturge Agathe Mélinand avait réécrit tous les dialogues parlés. Or j'adorais les dialogues originaux de cet opéra-comique. Je me souviens avoir été choquée à la réception du nouveau livret… qu’il ne fallait surtout pas lire car il était fait pour le plateau ! Ce nouveau texte fonctionnait à merveille, et le spectacle de même… Je ne suis pas metteur en scène. Le metteur en scène envisage l’œuvre du point de vue du public et sait ce qui marche ou pas. Il faut donc lui faire confiance. Mon travail consiste d’ailleurs à expliquer au public la volonté des metteurs en scène, même lorsque je n’adhère pas totalement à l’option choisie.

 

Tableau final de <i>Si l'Opéra Comique m'était conté…</i>, le 13 novembre 2014 .  © Pierre Grosbois

Les festivités organisées autour du Tricentenaire ont débuté par une mémorable soirée d'ouverture. Avez-vous contribué à cet événement ?

Anna Caterina Antonacci interprète un extrait de <i>La Voix humaine</i> lors de la soirée de gala du 13 novembre 2014 à l'Opéra Comique.  © Pierre GrosboisJe n'aurais raté cette soirée pour rien au monde car, comme de nombreux membres de l'équipe, j'ai travaillé sur cet événement. Le réalisateur François Roussillon en était l'instigateur et a joué le rôle de conseiller artistique. Des réunions régulières ont permis de préciser les choses avec le metteur en scène Michel Fau, qui s'est montré très impliqué. Cela nous est arrivé de faire des réunions à plus de douze, tous plus excités et enthousiastes les uns que les autres. Comme souvent dans les réunions à l'Opéra Comique, les idées fusaient, on riait, on parlait beaucoup.
Michel Fau a tout de suite su dessiner la soirée et le récit historique à partir des choix musicaux d’abord larges puis plus resserrés de Christophe Capacci et François-Xavier Roth. François Roussillon, Jérôme Deschamps et Michel Fau, impressionnants d'érudition, ont écrit les textes de liaison sur la base de tous les échanges qui ont eu lieu pendant nos réunions. Le plus extraordinaire est que le spectacle n’a été prêt que la veille du jour "j", avec très peu de répétitions. Entre la générale et le spectacle le lendemain soir, c'est l'équivalent de quinze jours de travail qui ont été abattus grâce à la mobilisation et à l’enthousiasme de chacun !

 

Deux points forts du Tricentenaire de l'Opéra Comique sont des expositions. L'Opéra Comique et ses trésors au Centre national du costume de scène de Moulins, et De Carmen à Mélisande - Drames à l'Opéra Comique au Petit Palais. Pouvez-vous nous présenter ces deux expositions dont vous êtes commissaire ?

Les plafonds de l'exposition <i>De Carmen à Mélisande - Drames à l'Opéra Comique</i> au Petit Palais présentent des vues lumineuses du grill de scène, avec les projecteurs et des toiles enroulées sur perche.  © Benjamin Soligny

Ces deux expositions n'ont été conçues ni au même moment ni avec le but d'être complémentaires. Toutefois, une complémentarité s'exprime nécessairement pour ceux qui visitent les deux. En toute logique, il faudrait commencer par Moulins qui présente un brassage très large de l'histoire et des grands thèmes qui structurent le répertoire. Il s'agit d'une exposition légère, très théâtrale et amusante, qui permet de bien saisir l'esprit de l'Opéra Comique. Au Petit Palais, c'est un univers plus sérieux qui est proposé, avec des archives, des œuvres d’art et des documents sur une période resserrée, qui se justifie par un espace plus modeste. Au Petit Palais, la surface d'exposition est de l'ordre de 500 m2, et à Moulins de 1.500 m2.

C'est en 2011 qu’est né le projet d’exposition à Moulins. Delphine Pinasa, la Directrice du Centre, a tout de suite vu l'opportunité de montrer ses plus beaux costumes de scène, dont les plus anciens se trouvent provenir de l'Opéra Comique. Quant au Petit Palais, c'est le résultat d'un travail plus complexe mené par Jérôme Deschamps, avec Olivier Mantei et Albane de Chatellus, qui était alors notre Secrétaire générale, en vue de mobiliser un musée parisien.

 

Entrée de l'exposition <i>De Carmen à Mélisande - Drames à l'Opéra Comique</i> au Petit Palais. Scénographie d'Alain Batifoulier et Simon de Tovar.  © Benjamin Soligny

Comment l'exposition De Carmen à Mélisande - Drames à l'Opéra Comique est-elle arrivée au Petit Palais ?

C'est à partir de 2012, après la reconduction du mandat de Directeur de Jérôme Deschamps, que nous avons commencé à rencontrer des musées. Dès nos premières discussions avec Paris Musées, début 2013, Christophe Leribault, le Directeur du Petit Palais, a manifesté une très grande envie de faire une exposition sur l'Opéra Comique. Il adore la maison et n'a pas attendu notre rencontre pour être un spectateur fidèle de nos spectacles. C'est lui qui a décidé que l'exposition porterait sur l'Opéra Comique à la Belle Époque, période qui constitue le cœur de ses collections. C'est aussi lui qui a précisé l'orientation et proposé de travailler à partir de grands titres du répertoire afin d'attirer un large public. De plus, il avait très envie de travailler avec la Bibliothèque Nationale de France, ce qui était formidable pour nous dans la mesure où la BnF détient la plupart de nos archives. Christophe Leribault a aussi développé la dimension Beaux-Arts, ce qui donne vraiment son caractère à l’exposition.

Comment avez-vous effectué la sélection des pièces présentées au Petit Palais ?

Christophe Leribault, Directeur du Petit Palais.  D.R.Nous avons été guidés dans ce choix par les œuvres de notre répertoire qui structurent le parcours dans l'exposition. Prenons Carmen. Il était logique d'aller chercher à la fois côté BnF toutes les belles archives qu'il est possible de montrer, et côté collections de la Ville de Paris et d'autres musées, de belles œuvres d'art qui racontent la place de l'Espagne dans l'univers des peintres et des sculpteurs à la fin du XIXe siècle en France. De la même façon, s'agissant des Contes d'Hoffmann, il fallait sélectionner de belles archives et attirer le regard sur de très belles œuvres picturales et plastiques en lien avec l'imaginaire romantique allemand, toujours présent dans la culture française à l'époque. Dès lors que nous avions choisi un cheminement, c'était un jeu de travailler sur l'éclairage que peut apporter une œuvre artistique aux archives qui sont montrées.
L'espace du Petit Palais a été cloisonné mais la scénographie évoque le plateau de l'Opéra Comique sur lequel glisseraient de nombreux châssis portant des décors. Cela permet au visiteur de passer avec fluidité d'un univers à un autre, et de comprendre que ces ouvrages cohabitaient dans le répertoire. Au centre, nous avons réservé deux espaces : le premier à l'incendie de 1887, l'autre à la reconstruction de la Salle Favart. Bien entendu, le thème de l'incendie appelle plutôt des témoignages et des documents. En revanche, pour la décoration de la troisième Salle Favart, Christophe Leribault a puisé dans les archives de plusieurs artistes - Maignan, Falguière, Olivier-Merson - des esquisses des peintures et sculptures décoratives du théâtre. Cette partie de l'exposition présente logiquement davantage de Beaux-Arts que d'autres thèmes.

Au cours de vos recherches, y a-t-il eu des moments où l'émotion s'est invitée ?

Pour le Petit Palais, je tenais à ce qu'on expose les registres de scène de l'Opéra Comique conservés à la Bibliothèque-Musée de l'Opéra de Paris. Ils présentent la programmation soir après soir et recensent les événements de la journée. Tous ces registres numérisés seront bientôt en ligne sur Gallica. Ces documents merveilleux nous apprennent que le théâtre jouait tous les jours. On voit défiler les noms des plus grands chanteurs dans leur quotidien, les petits événements comme les grands. Ainsi on peut voir la façon dont est annoncée et rapportée la mort d'Offenbach ou, quelques années auparavant, la mort de Bizet. Ces pages véhiculent le trouble que ces nouvelles ont dû produire et renvoient à la façon dont, aujourd'hui, nous recevons ce genre d'informations. Lorsque nous avons appris le décès d’Henri Dutilleux, nous avons arrêté la répétition de Mârouf savetier du Caire pour nous réunir et penser à lui. Alors comment ne pas penser à ce que doit représenter l'annonce de la mort du compositeur de l'œuvre qu'on est en train de répéter ? Feuilleter les partitions manuscrites de Massenet et tomber sur ses petites annotations écrites en pattes de mouches apporte aussi une émotion. Pensez que sur ces pages, Massenet se plaint de la musique qu'on joue sous ses fenêtres un 14 juillet parce qu'elle l'empêche de se concentrer ! Je suis davantage touchée par ce genre d'archives que par des pièces plus spectaculaires. Cela étant, nous exposons une très belle maquette de décor en volumes de Carmen : présentée dans un caisson, le visiteur ne peut la voir que de face. Mais, croyez-moi, c'est une merveille !
Pour Moulins, j'avais fait ma première sélection de costumes à partir de la base de données du CNCS, qui est très bien faite. Puis, j'ai passé dans les réserves des moments magiques, avec les fins connaisseurs que le CNCS a rassemblés dans son équipe. Nous avons sorti les costumes présélectionnés afin d’affiner le choix. Ouvrir les costumes permet de retrouver des inscriptions dans certaines doublures : dans le manteau de Barbe-Bleue figure ainsi le nom de Félix Vieuille, le créateur du rôle et de celui d'Arkel dans Pelléas et Mélisande en 1902. Pensez qu'il a peut-être pris Debussy dans ses bras ! Un nom d'artiste nous met sur la piste d’un rôle, puis d’une production et de toute une époque…

 

Scénographie basée sur <i>Les Contes d'Hoffmann</i> pour l'exposition <i>L'Opéra Comique et ses trésors</i> au Centre national du costume de scène de Moulins.  © CNCS/Pascal François

Pour ces deux expositions, vous avez travaillé avec des scénographes différents : Macha Makeïeff au Centre national du costume ; Alain Batifoulier et Simon de Tovar au Petit Palais…

Costume d'après Charles Bianchini pour le rôle de Mélisande dans <i>Pelléas et Mélisande</i> en 1952 à l'Opéra Comique.  © CNCS/Pascal FrançoisL'approche était très différente. À Paris Musées, les process font qu'on ne se voit pas tout le temps et qu'il y a des intermédiaires. Les réunions se passaient merveilleusement bien car Alain Batifoulier et Simon de Tovar sont inspirés, très structurés et posés. Ils avancent rapidement. A l’invitation de Jérôme Deschamps, ils sont venus à l'Opéra Comique pour s'imprégner du lieu, de l'univers même du plateau. Ensuite, l'organisation a fait qu'on travaillait tous en parallèle, avec une véritable écoute et une vraie efficacité, et une liberté créative que Christophe Leribault a ménagée jusqu’au bout.
Travailler sur une exposition à Moulins est plus fusionnel car l’équipe du Centre, petite et soudée, accompagne au plus près les projets. Le contact a aussi été plus direct avec Macha Makeïeff, que je connais depuis longtemps. Macha a besoin de sentir pour s’inspirer et m’a fait beaucoup raconter l’exposition, expliquer mes choix, justifier mon cheminement. C'était extrêmement stimulant, pour moi qui suis académique, de penser de façon beaucoup plus dynamique à ce que je souhaitais présenter.

À la fin de cette saison, l'Opéra Comique ferme pour 18 mois de travaux. Comment allez-vous mettre à profit cette période ?

Elle va nous permettre de prendre un peu de recul, de faire l'état des lieux et, évidemment, de poursuivre avec Olivier Mantei le projet de l'Opéra Comique. Je pense que c'est une situation idéale de voir l'actuel Directeur adjoint, tellement impliqué dans la renaissance de la maison, dans la programmation artistique et dans la cohésion de l’équipe, prendre les rênes du théâtre à la fin du mandat de Jérôme Deschamps. Pendant les travaux, nous travaillerons en équipe resserrée autour d'Olivier Mantei. Nous aurons un peu plus de temps pour préparer les nouvelles saisons et préparer l’Opéra Comique à de nouveaux enjeux…
Je me réjouis de pouvoir prendre deux ans d'avance, ce qui me permettra de mettre davantage mon travail au service des artistes. Je vais continuer à favoriser les rencontres entre metteurs en scène, chefs d'orchestre, auteurs et chercheurs, bien en amont des spectacles.
Et poursuivre l’enrichissement de la base Dezède, tout comme la publication en ligne de nos actes de colloques, avec notre fidèle partenaire, le Palazzetto Bru Zane. Par ailleurs, il n'est pas question pour l’Opéra Comique de disparaître de la vie culturelle pendant dix-huit mois. Vous entendrez parler de nous !



Propos recueillis par Tutti-magazine
Le 12 mars 2015

 

 

Mots-clés

Agnès Terrier
Centre national du costume de scène - Moulins
Christophe Leribault
Delphine Pinasa
Jérôme Deschamps
Macha Makeïeff
Michel Fau
Olivier Mantei
Opéra Comique
Petit Palais

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