Le Metropolitan Opera s’est construit une réputation dans l'axe des grands spectacles classiques, avec des constructions dignes de péplums hollywoodiens. Un univers dans lequel un metteur en scène comme Franco Zefirelli a très naturellement trouvé sa place, au point de faire figure de référence. Il est vrai que le réalisateur italien maîtrise le langage propre aux grands espaces et qu'il a parfaitement compris l’intelligence du lieu, allant jusqu'à habiller cette vaste scène de force détails à en donner le vertige.Mais voici que Peter Gelb, désormais seul aux commandes du Met, cherche d’autres directions, plus nécessairement grandioses ou cinématographiques, et lorgne vers un sang neuf que pourraient lui apporter des figures européennes tel le metteur en scène suisse Luc Bondy. Ce dernier a, comme on pouvait s’y attendre, délaissé le spectacle pour mieux resserrer le propos autour du trio des personnages principaux de l’opéra, de leur personnalité, de leurs émotions. Au réalisme de carton-pâte fait maintenant place la crédibilité des sentiments. Ce n’est ni mieux ni moins bien, simplement différent et tout aussi honorable. Seulement, pour généreux qu’il est d’habitude, le public du Met n’en est pas moins très conservateur. Il a ses attentes et Luc Bondy les a certainement trop bousculées.
Pourtant rien ne choque ici nos yeux européens auxquels les avant-gardes anglaise ou allemande ont déjà proposé bien plus osé, bien plus gore. Pour Luc Bondy, Scarpia se sent tellement tout-puissant et irrésistible que, non seulement, il ne manifeste aucun respect pour la religion, pour ses ministres et les lieux de culte, mais cherche même à faire succomber la Vierge Marie en embrassant avec gourmandise sa statue. L’effet n’est pas forcément d’un goût parfait sur le plan visuel, mais il est diablement efficace sur le plan dramatique, et sur celui de la compréhension de la personnalité du baron Scarpia : c’est un homme de pouvoir et un homme à femmes. C’est ce qui a valu à Luc Bondy d’être hué à la fin de la première représentation, en septembre 2009.
Mais cette démonstration extrême de puritanisme et d’étroitesse d’esprit nous est épargnée sur cette captation dans la mesure où il s'agit de la représentation du 10 octobre 2009 diffusée en direct et en HD dans les salles de cinéma. Nous pouvons ainsi nous concentrer sur les qualités de ce spectacle, tant au niveau de la scénographie que de l’interprétation musicale.Car nous tenons là une très belle version de Tosca. Si l’orchestre est plus un accompagnateur qu’un réel partenaire, force est de constater et d’apprécier la force et la présence des protagonistes principaux de ce drame.
À commencer par Karita Mattila. Si la chanteuse scandinave n’est plus une jouvencelle, elle n’en apporte que plus de force à son personnage. Dans un état quasi de transe tout au long de l’opéra, elle nous transporte de la rage au désespoir avec une puissance de timbre et d’interprétation absolument confondante.
Le Cavaradossi de Marcelo Alvarez est quant à lui exemplaire, tant dans sa maîtrise du Bel Canto comme exercice de style, que dans son implication. Le timbre est idoine, le lyrisme à fleur de peau, l’émotion palpable.
Vient enfin la basse terrible - au meilleur sens du terme - de George Gagnidze. Chaque note est avec lui parfaitement lisible et parfaitement pesée, dans un mélange de délire mégalomaniaque et de violence implacable. Son interprétation apporte un relief nouveau à l’image de Scarpia, qui n’est plus, avec lui, un "méchant" de base, mais bien un homme à multiples facettes, qui nous invite à une véritable réflexion sur le pouvoir.
La très belle alchimie entre les protagonistes fait de cette Tosca une très belle version.
Face aux excès européens, le Met a sans doute, de par sa tradition, une troisième voie à montrer à l’art lyrique, rompant avec le conservatisme, mais toujours dans l’intelligence et l’équilibre. Les débuts de cette nouvelle ère sont visiblement difficiles, mais tellement prometteurs…
Jean-Claude Lanot