Bien passionnant programme que celui proposé par ce DVD dont l’œuvre centrale, la Messe à 40 voix d’Alessandro Striggio, nous séduit autant par sa révélation que par son mystère.
Mystère d’un homme de haute naissance - il est marquis - qui, pour l’amour de la musique, accepte de mener une vie de serviteur en tant que compositeur et violoniste à la cour de Cosme de Médicis.
Mystère du rayonnement européen de ce compositeur : de Florence à Londres en passant par Vienne, Munich et Paris, son périple de 1567 n’avait-il pour seul but que de faire découvrir sa musique aux plus grandes cours du moment ou agissait-il également comme émissaire ou diplomate à la mission restée inconnue ?
Mystère d’une œuvre dont la richesse nous échappe encore, témoin d’une époque où l’esprit humain était à son sommet. Quarante voix totalement indépendantes réparties en cinq chœurs dialoguent ici dans un raffinement qui n’a d’égal que le plaisir sonore qu’elles engendrent, dans une rhétorique d’une subtilité à peine imaginable aujourd’hui.
Mystère d’une partition phare de l’Europe de la Renaissance, jouée dans les meilleures cours, et dont toutes les copies ont disparu… si ce n’est celle réalisée pour le roi mélomane Charles IX, pieusement conservée à la BNF grâce aux bons soins du prêtre-compositeur-collectionneur Sébastien de Brossard (1655-1730) retrouvée fortuitement dans les années 1970 par l’immense Dominique Visse. L’occasion, d’ailleurs, de rendre justice à ce dernier dans la mesure où des esprits chagrins d’outre-Manche ont prétendu, lors de l’enregistrement de cette Messe pour 40 voix par Robert Hollingworth et I Faglioni, que c’était le claveciniste et musicologue Davitt Moroney qui avait retrouvé cette partition alors qu’il l’a en fait éditée.
Dans ce cadre, le documentaire de Laurent Portes, Les Aventuriers de la Messe Perdue, qui sert de grande introduction à l'interprétation de la Messe de Striggio, est un modèle de pédagogie. Très équilibré entre musique et entretiens, honnête, documenté, il remonte progressivement la piste de cette partition énigmatique sans jamais chercher à privilégier l’intellect sur le sensuel. Histoire, archéologie musicale, organologie, analyse, histoire des mentalités : rien ne manque. Et sans prétention d’exhaustivité, rien n’est pour autant effleuré. On découvre et déguste à la fois !
Puis vient ce concert - sublime - qui, non content de nous restituer cette œuvre majeure du répertoire occidental, la replace en contexte, au cœur d’une hypothétique cérémonie d’hommage à Saint Jean-Baptiste, saint patron de Florence, lieu de création de la Messe. Plain-chant et polyphonies montéverdiennes viennent ainsi habiller et surtout habiter le silence et la majesté de la Cité de l'architecture et du patrimoine du Palais de Chaillot, offrant un panorama unique de la musique sacrée de la Renaissance, dans une approche sans cesse renouvelée du temps et de l’espace. À ce titre, la procession d’entrée est magnifiquement filmée par Olivier Simonnet. La polyphonie se dessine non pas dans la linéarité éthérée, "à l’anglaise" de I Faglioni, mais en une sublime sculpture du son tant dans sa spatialité que dans la rhétorique propre du dialogue entre les chœurs. Sans jamais rogner sur l’organique, Hervé Niquet dessine avec une minutie passionnée chaque inflexion de la partition, délicatement soulignée par les instruments. Précisons à cet égard que là où Robert Hollingworth avait fait le choix de donner aux instruments des voix à part entière parmi les quarante, Hervé Niquet a préféré leur confier un rôle d’accompagnement. De la même façon, l’instrumentarium des I Faglioni comportait un certain nombre de violes, absentes ici au profit de saqueboutes et de tout un aréopage de claviers, orgue, régale et clavecin. Le résultat n’en est que plus contrasté et plus dynamique. Non que l’un se substitue à l’autre. Au contraire, on imagine bien que, durant son odyssée européenne, Striggio a rencontré des musiciens aux "oreilles" et aux habitudes bien différentes des siennes et s’est adapté à la culture du pays visité. C’est exactement la même chose ici, et après les Anglais et les Français, on murmure que Paul van Nevel s’intéresse maintenant à cette Messe de Strissgio. Il lui donnera à n’en pas douter de nouvelles couleurs et une lumière encore bien différente. C’est d’ailleurs à souhaiter, non seulement pour les producteurs discographiques et autres promoteurs de concerts qui surfent à l’évidence sur la vague de cette "nouveauté ancienne", mais aussi pour la musique elle-même.
Seuls bémols à inscrire sur la portée de notre enthousiasme, et sans doute explicables par des arguments pratiques et matériels : l’absence, dans le présent programme, de l’Agnus Dei à 60 voix qu’on nous vante pourtant maintes fois dans le documentaire et pour lequel on se voit contraint de se tourner cette fois vers le SACD également édité par Glossa, et enregistré, lui, avec les soixante chanteurs requis à Notre-Dame du Liban. Cruelle nécessité commerciale qui nous prive du moment le plus attendu de la messe qui vaut à lui seul l’achat complémentaire du SACD, lequel propose en outre un mixage multicanal de toute l'œuvre. Pour ajouter à notre frustration, le présent DVD, n'offre qu'une unique et modeste piste stéréo alors que le support s'avérait idéal pour une expérience totale en multicanal…
Artistes et producteurs avaient toutes les cartes en main pour exploiter au mieux le DVD, en totale cohérence avec les besoins de l’œuvre ! Mais, au final, le plaisir du son et sa répartition signifiante se voient morcelés sur deux médias.
Certes, cela ne saurait gâcher l’enthousiasme évident que suscite l’événement ici immortalisé, mais qui s’accompagne d’un petit pincement au cœur de voir filer ce qui aurait pu tenir de la perfection, tant musicale que vidéographique.Le SACD Alessandro Striggio - Messe pour 40 et 60 voix édité par Glossa, propose en exclusivité l'Agnus Dei à 60 voix de Striggio remplacé sur le DVD critiqué ci-dessus par le Memento de Claudio Monteverdi pour 8 voix d'hommes et par une courte improvisation à l'orgue. En outre ce disque propose un mixage multicanal 5.O encodé en DSD de toute beauté. Alliant finesse de reproduction, parfaits contrastes et magnifique aération, il constitue sans nul doute l'option sonore à conseiller pour écouter l'œuvre dans les meilleures conditions. Ce SACD propose également un mixage stéréo encodé à la fois en DSD et en stéréo PCM, ce qui le rend compatible avec tous les lecteurs CD du marché.
Cliquer sur le visuel pour commander le SACD de la Messe à 40 voix…
Jérémie Noyer