Le concert débute par les Valses nobles et sentimentales de Maurice Ravel. Le Wiener Philharmoniker, évidemment rompu à la tradition autrichienne de cette danse, y apporte tout son héritage culturel. Pierre Boulez sait pertinemment que ces morceaux n'ont rien de sentimental et dirige logiquement dans le sens du compositeur, mettant en valeur les subtiles harmonies comme les élégantes dissonances ou les couleurs raffinées. Cette interprétation possède le caractère fin et un peu froid de danses de salon légèrement décadentes.
Également très réussie, résultat d'une très longue confrontation personnelle face à cette partition exigeante, la version intégrale de L'Oiseau de feu écrite en 1910, version conçue davantage comme un vaste poème symphonique qu'un ballet à thème. Pierre Boulez nous a depuis longtemps habitués à la rigueur et à la justesse rythmique, au détriment toutefois d'un sens narratif et d'une certaine ampleur dans la richesse des coloris. L'Oiseau de feu est pourtant très fortement ancré dans l'imaginaire du conte russe, et le choix imposé par le chef relève bien d'une objectivité moderniste à tout prix qui se justifie en soi mais demeure quelque peu réductrice.
Quoi qu'il en soit, les prises de vues permettent au spectateur du présent DVD d'appréhender l'origine des alchimies sonores imaginées par Stravinsky, d'autant plus difficilement concevables que l'on n'est pas musicien. Avec force gros plans et un montage intelligent, les effets de cordes et de cuivres comme les interventions du célesta ou les jeux multiples des percussions deviennent réalité.Alors que se passe-t-il donc pour le Concerto No. 1 pour piano de Béla Bartók ? De mémoire, une chose rarement vue : Daniel Barenboïm, ici pianiste, s'attribue également le rôle dévolu au chef ! En effet, Pierre Boulez lâche littéralement son soliste dès l'allegro moderato initial. Très inquiet, Daniel Barenboïm jette des regards angoissés vers les musiciens, donne des départs et bat le rythme complexe avec ses pieds afin de conserver le tempo et d'être suivi par l'orchestre. Il n'est pas sûr que les gouttes de sueur que l'on remarque perler sur son visage
soient uniquement provoquées par la forte chaleur qui devait régner en cette fin juillet 2008 à Salzbourg. Impassible, Pierre Boulez achèvera le mouvement sans sourcilier. Pour l'andante, le chef se contentera d'une direction purement fonctionnelle devant un orchestre qui semble atone, sur la défensive, et joue par conséquent mécaniquement. Le pianiste est très tendu, aux aguets. Ses gestes sont précis mais saccadés. Tout cela manque résolument de poésie, l'esprit est ailleurs et la musique en ressort réduite à un emboîtement de motifs dénué de fil conducteur et à des cellules rythmiques privées de sens. Le finale sera un peu moins tendu, mais doutes et vigilance subsisteront jusqu'au bout. Barenboïm ne fait plus confiance à Boulez et il lui tarde d'en finir.
Sans un soliste à la fois pianiste et chef d'orchestre, il ne fait aucun doute que la catastrophe était écrite. Heureusement, la capacité de réaction de Daniel Barenboïm a sauvé la mise. Si ce que l'on perçoit à l'écran a pu passer inaperçu au regard de certains spectateurs de la Grosses Festspielhaus, voilà en tout cas, préservée par le DVD, une belle leçon de professionnalisme qui mérite d'être vue.
Nicolas Mesnier-Nature