Cette parution de Roméo et Juliette sur support Haute Définition s'inscrit dans la première vague de Blu-ray distribués en France par Universal Music Classics. Nous avons rencontré Yann Olivier, le patron du secteur classique de la Major, qui nous explique les raisons de ce virage vers la Haute Définition. Lire l'interview réalisée par Tutti-magazine…
L'opéra de Gounod est porté par ses deux rôles principaux.
Attardons-nous tout d'abord sur le Roméo de Rolando Villazón.
Combien de fois se rue-t-il sur Juliette pour l'étreindre et l'embrasser comme un vrai amant ? Quelle énergie ne déploie-t-il pas pour se battre dans la scène des duels de l'acte II ? Il tombe, saute, se roule par terre, crie sa joie et son amour, hurle sa douleur et son désespoir… Le ténor aura ses détracteurs, n'en doutons pas, qui lui reprocheront trop d'effets, beaucoup de déplacements, de gesticulation et, en définitive, de surjouer. Mais il s'agit ici de donner vie à un Roméo facilement ridicule ou emprunté dans des attitudes stéréotypées si l'on n'y prend garde. Que l'on aime ou pas, Rolando Villazón s'engage sur la voie du refus de l'académisme qui menace constamment la musique et l'attitude des personnages de Gounod, comme il l'a toujours fait pour tous ses rôles.
Et la voix suit le jeu : là aussi, la puissance est au rendez-vous, déployée non pas comme celle d'un stentor assourdissant, mais plutôt comme celle d'un corps svelte tendu de tous ses muscles dans un investissement complet de sa personne. Le spectateur s'identifie rapidement, et la sûreté de l'interprétation le rassure. Mais on ne cessera de penser à une certaine forme de danger physique et vocal de se donner ainsi à fond. Passionné et passionnel, Rolando Villazón n'a rien de routinier, et les gros plans sur son visage viennent confirmer quel formidable acteur il est, même dans les moments sereins. Également très important quand il s'agit d'opéra français, précisons que le ténor mexicain est très compréhensible et que sa diction ne nécessite aucun sous-titrage. Ce qui n'est malheureusement pas le cas de sa partenaire géorgienne, Nino Machaidze.
Nous avions déjà eu l'occasion de souligner le talent de la soprano Nino Machaidze dans une production des Puritains de Bellini, qu'elle sauvait par son tempérament dans une distribution en demi-teinte. On retrouvera ici toutes les qualités déployées alors : naturel du jeu se moquant des difficultés, chant coloré, aigus fulgurants et capacité rarissime à en diminuer l'intensité sonore tout en tenant la note. Sa remarquable technique permet, si besoin, l'usage d'une puissance vocale à gorge déployée et ouverte sans retenue ni tension de l'émission, assurant ainsi toute la différence entre le chant et le cri.
Cependant, si son italien ne posait guère de problèmes, il en va autrement de sa prononciation du français. Pour la soprano, la langue de Molière ne sert qu'à chanter les notes, comme en quelque sorte un simple support phonétique. Heureusement, son talent d'actrice réussit à compenser la nécessité de l'affichage des sous-titres, même pour un spectateur français… À sa décharge, presque tous les autres membres de la distribution se heurtent à l'articulation et à l'accent de notre langue. Exception faite de Mikhail Petrenko, excellent Frère Laurent, et Cora Burggraaf, parfaitement compréhensible dans le rôle du page de Roméo.
Cependant, si le français reste sujet à caution, le niveau vocal des autres rôles ne présente aucun point noir, ce qui est déjà une bonne chose en soi.Le chef canadien Yannick Nézet-Séguin dirige toute sa distribution avec l'énergie et la fougue de la jeunesse, tandis que la crédibilité de la mise en scène n'altère aucunement notre enthousiasme. Celle-ci est renforcée par deux constantes : le réalisme des décors et des costumes ainsi que les dimensions du cadre scénique.
Le metteur en scène Barlett Share transporte l'action quatre cents ans plus tard que celle du livret original. Cette plongée dans le XVIIIe siècle ne pose en fait aucun problème de vérité, les rivalités entre clans et les amours contrariées demeurant universelles.
Quant aux magnifiques costumes très réalistes, ils apportent chatoiements colorés et richesse aux scènes de groupe. Curieusement, les rôles de Roméo et de Juliette endossent davantage de sobriété : lui porte du début à la fin un ensemble noir et une chemise blanche ; elle passera par la robe fuchsia et les blanc-mauve/blanc-bleu pastels. Ainsi nos héros seront-ils toujours visibles, même au milieu de la foule et leur relative simplicité vestimentaire tranchera avec l'épaisseur de leur rôle.
La chorégraphie de Chase Brock ménage des moments où domine le foisonnement d'un bal et B.H. Barry règle l'énergie des duels, pour lesquels les prises de vue accélérées et le montage rapide rappellent ceux d'un film. Ils sont contrebalancés par le statisme volontairement dépouillé des Actes II et V, où l'amour et la mort s'invitent sur scène. Un bon rythme est trouvé.
Les éléments mobiliers, bien que clairsemés, suffisent pour ne pas occulter l'immense scène garnie en son centre d'une non moins gigantesque estrade. Il faut dire que le volume de la Felsenreitschule (le "manège des rochers") de Salzbourg offre une largeur impressionnante qu'il faut occuper : le fond de scène est composé des murs naturels de l'édifice, à l'origine destiné à l'entraînement de la cavalerie de l'archevêque de la ville. Mille cinq cents personnes font face à des dizaines d'arcades superposées sur trois étages et creusées dans la roche de la montagne qui se trouve derrière. Ce site offre de nombreuses possibilités à un metteur en scène avide d'effets plastiquement garantis, ce dont Bartlett Sher ne se prive pas. L'absence de rideau de scène donne en outre une ouverture angulaire à l'effet incomparable.
Gageons que, tant du côté des planches que de celui des fauteuils, les notions de barrière, de limite et de distance propres à un théâtre traditionnel s'estompent aisément. Le public assiste au spectacle en partageant le même volume que les chanteurs. Les premiers rangs accessibles de la scène permettent de faire entrer des chanteurs par les gradins, de les laisser déambuler dans l'espace situé entre les premiers rangs et l'orchestre, qui de ce fait ne se trouve pas dans une fosse mais reste bien visible. L'arrivée du page en équilibre sur une rambarde des premiers rangs ajoute une légèreté et un humour bienvenus.
Expressif dans les ensembles comme dans les détails, ce Roméo et Juliette est une belle réussite générale. Fraîcheur, gaîté, enthousiasme et énergie trouvent leur contrepoids dans les scènes intimistes où douceur et confidence apportent autant que violence et exubérance. Le décloisonnement scénique et l'investissement personnel des acteurs-chanteurs parvenant à faire sentir l'évolution de leur personnage, tempéreront avantageusement une faiblesse en langue française.
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Nicolas Mesnier-Nature