Parsifal est déjà bien représenté sur support vidéo avec plusieurs captations de qualité, dont celles du Met de New York ou de Bayreuth, qui brillent tant par la qualité de leurs productions que de leur distribution. Voici celle du prestigieux Festival de Baden-Baden, qui collectionne les manifestations musicales, tant concerts qu’opéras, de la plus haute tenue. Elle ne dérogera pas à la règle avec de nombreux atouts en sa faveur.
L’Acte I de l’opéra est presque, par définition, celui de Gurnemanz. Il y tient en effet une place essentielle non seulement par sa présence et par son chant, mais aussi par le poids dramatique et narratif du personnage.
Cela constitue un atout quand il s’agit de l’immense Matti Salminen. Ici comme ailleurs dans le répertoire wagnérien, il se montre absolument idéal de sobriété, de tenue vocale et sa présence scénique est d’une force souveraine. Son chant est admirable de part en part et, si la voix est d’une beauté flagrante, on touche aussi à la perfection lors de chacune de ses interventions. Nous nous inclinons, loin de toutes les affiches et de toutes les publicités faites autour des artistes à la une de l’actualité, devant l’un des plus grands chanteurs de notre époque, une des plus belles voix qu’il soit donné d’entendre. Le jeu scénique de Matti Salminen est également convaincant, emprunt de solennité autant que d’autorité naturelle alors que le chanteur n’est pas doté d’un physique particulièrement avantageux qui mettrait en avant quelque trait de sa personnalité. Il est en fait avant tout puissant par le seul poids de son chant, par la merveille de sa ligne vocale, son articulation, sa gestion du souffle et ses accents dramatiques.
À ses côtés, la distribution n’est pas en reste. Amfortas chanté par Thomas Hampson est la superbe figure déchirante d'une douleur sclérosée dont il souffre tout le long de l’opéra jusqu’à son dénouement. Hampson est en grande forme vocale, son timbre est idéal plus encore que sa tessiture pour ce rôle. Il joue parfaitement le martyre même si sa superbe musicalité n’atteint pas celle de Matti Salminen.
Bjarni Thor Krisitinsson chante un Titurel puissant, habité par son personnage, et sa belle voix de basse épanche un chant généreux, incarné et sombre.
Bien sûr, Waltraud Meier dès les premières et rares phrases de l’Acte I, incarne une Kundry luxueuse. La chanteuse connaît bien ce rôle qu’elle a interprété et enregistré plus de 25 ans auparavant, à Bayreuth en 1985 sous la direction de James Levine. Elle allie toujours une voix d’une singularité plastique à une présence dramatique pleine de sincérité et d’authenticité. Au terme de l’Acte I, on a hâte de l’entendre, dans "l’autre monde" - celui de Klingsor - dans l’immense duo de l’Acte II avec Parsifal où, dédoublée, elle incarne somme toute un autre personnage, celui d'une Kundry fastueuse servie comme toujours par un timbre d’une magnifique plastique, rare et personnelle. Son chant mêle à nouveau une subtile maîtrise du texte musical à un sens dramatique inné.
Klingsor est confié à la puissante basse Tom Fox. Il incarne un personnage tourmenté et rugueux que son timbre acerbe, clair et magnifiquement projeté ne trahit pas. Son chant, plus que l’aspect visuel qui lui est dévolu ici, évite toute caricature et se distingue nettement par son caractère propre du reste de la distribution, dans le respect de l'écriture.
Enfin, Christopher Ventris est un Parsifal vocalement idéal. Ce musicien de tout premier plan confirme une distribution vocale proche de la perfection. Le Britannique incarne et possède la totalité des caractéristiques du helden ténor wagnérien, cette typologie vocale appropriée à la couleur requise pour chanter les rôles si singuliers de Wagner, et plus tard de Strauss ou Schönberg (Gurrelieder). Il se montre irréprochable tout au long de l'Acte II et, à l'Acte III, plusieurs nuances et splendides intentions musicales, évoquent le chant idéal lui aussi de Ben Heppner.
L’ensemble des seconds rôles est plus que correct, notamment pour la périlleuse introduction de l'Acte II et son sextuor des filles-fleurs, et ne déséquilibre aucunement une distribution remarquablement réussie.
Le Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin, la troisième formation - et pas la moindre ! - des orchestres de la capitale allemande, dispense tout au long de la partition une belle sonorité concentrée, souple, efficace et juste. Toutefois, mais cela est probablement dû à la direction de Kent Nagano, il ne souligne pas le mystère profond par le truchement alchimique parfois magique qui habite, par exemple, l’extraordinaire Orchestre de la Radio Bavaroise de Munich dans le même répertoire.
Dans le mystérieux, singulier et lent déroulement de l’Acte I, Kent Nagano ne parvient pas totalement à faire briller l’étincelle magique qui nous plonge avec ce Wagner-là, dans un monde mystérieux. Les tempos sont plutôt justes et les équilibres parfaitement respectés, mais c’est peut-être au niveau des sonorités globales et du climat que les limites de son engagement se font sentir. Il prouve pourtant dans l’Acte II, plus abordable dans son débordement de sonorités sensuelles, que sa personnalité musicale peut apporter quelque chose à une lecture du chef-d’œuvre de Wagner. L’essai sera en quelque sorte transformé à l’Acte III, sorte de synthèse des climats musicaux précédents, avec cette lumière sonore spécifique, singulière, voire unique qui irradie la conclusion de l’opéra.Reste la production et la lecture de Nikolaus Lehnhoff.
L'Acte I, certes efficace, présente une scène bien peu séduisante sur les plans poétique et visuel. La lecture dramatique est d’une facture classique plutôt sans surprise et donc sans véritable dimension. Quant au décor, il n'exprime ni grâce ni mystère. Mais la présence centrale de Matti Salminen (Gurnemanz), nous l'avons déjà dit, habité par la grâce du théâtre comme du chant, sauve l'entreprise.
Le second Acte, dans un élément scénique identique, affiche tout d’abord un squelette de bassin au sein duquel Klingsor projeté en son centre, apparaît comme une sorte de magicien bouffon. Les filles fleurs affublées de manches allongées (en improbables clochettes de muguet) ne sont ici qu’un groupe uniforme sans grand pouvoir de séduction visuel.
Apparaît enfin Kundry au milieu d’un cocon boursouflé avant d’en sortir en une vision qui tient à la fois du papillon et de la femme fatale. Au beau milieu de tout cela Parsifal, comme à l'Acte I, cherche une véritable dimension scénique, affublé du même costume dont on ne peut souligner ni la pertinence ni le bon goût. Mi-homme des cavernes, mi-chasseur du Nord Canadien, voire Davy Crockett, la proximité de la caméra sur lui comme sur l’ensemble des costumes des personnages, ne joue pas à son avantage. La fin de l’Acte II, qu’on rêverait décisive dans son bouleversement tragique, ne crée pas l’événement-clé que la partition et le drame expriment pourtant.
Même sentiment à l’Acte III pour la miraculeuse scène du Vendredi Saint, dont toute dimension poétique ou sacrée est hélas absente.
De fait, on flirte en permanence avec un goût douteux, plutôt laid, sans accord avec aucune dimension dramatique ou stylistique. Dommage car avec une telle distribution vocale, on était proche de la réussite totale.
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Gilles Delatronchette