Sur scène, sous un immense chapiteau, les musiciens gardent leur allure de représentants de l'art germanique, décontractée mais disciplinée. Dans le public, le plein air et l'absence du confort habituellement inhérent aux concerts classiques imposent des tenues de ville ordinaires. Chacun apporte ses couvertures et s'assied ou se couche à même le sol. On se croirait à un pique-nique. Toutes les couches de la société sont là, tous les âges aussi. Tous attendent l'événement populaire annuel à la Walbühne.Placé sous le signe de l'éclectisme international, le concert ne proposera que des morceaux courts de compositeurs aussi bien connus que méconnus, voire méconnus d'un public pourtant mélomane. Mais un point commun les relie : ces compositions alimentent régulièrement les rappels devenus presque obligatoires à la fin de chaque prestation réussie des orchestres ou des solistes. Alors que dans de telles situations, le bis se joue par essence en plus, il devient pour cette soirée le concert lui-même.
L'Orchestre Philharmonique de Berlin tourne à plein régime, le chef Mariss Jansons dirige sans baguette et avec enthousiasme. Une volonté d'homogénéité et de continuité dans la programmation sont assurées par une des stars actuelles du violon : le Russe Vadim Repin.Avec intelligence, le programme fait alterner morceaux de bravoure et poésie contemplative. Aux rythmes cadencés de la Mazurka de Moniuszko, de la Polonaise de Wieniawski, de Wild Bears d'Elgar, de Wiener Bürger de Ziehrer succèdent la nostalgie et la douceur d'une mélodie de Tchaïkovsky, d'une Elegie de Lyun Joon Kim, d'une Valse Triste de Sibelius et d'un Pas de deux de Casse-Noisette. La frénésie rythmique dope l'enthousiasme public qui fait entendre ses cris de joie après un Champagne Galop de Lumbye – à la suite duquel les percussionnistes ouvrent une vraie bouteille et la boivent ! -, une Danse des célestes de Toyamaun, un Prélude de Lohengrin, un
Tango de Gardel, une Danse slave de Dvorak, la Farandole de L'Arlésienne et surtout le final délirant du Berliner Luft de Lincke scandé par les sifflets du public qui connaît bien la musique.
L'humour se saurait être absent ici. Après l'effet bouteille de champagne dans le morceau pour orchestre de Lumbye, Vadim Repin s'amuse à son tour et avec quelle virtuosité, dans le Carnaval de Venise de Paganini. Tout le monde participe : le chef le regarde "délirer" sans diriger, le public s'esclaffe, les musiciens aussi. Il reprend à la demande du public le bis mais s'en va sans le terminer…
Durant la prestation, la caméra s'égare par moments sur le public. Les visages reflètent bien le pouvoir qu'a la musique. Comme lors des grands concerts de variété, au fur et à mesure que la nuit descend, des lumières s'allument dans le public qui n'hésite pas, le cas échéant, à se laisser aller à un pas de valse ou à regarder le tableau des étoiles. En l'absence de stress du concert classique figé, les musiciens donnent le meilleur d'eux-mêmes, en toute simplicité et en totale musicalité.
Nicolas Mesnier-Nature