Dernier ballet de Frederick Ashton, Ondine s’inspire des personnages d’un conte de Friederich de la Motte Fouqué écrit en 1811 : Undine.
Jean Giraudoux s’en inspira pour sa pièce Ondine créée en 1939, à laquelle assista d'ailleurs Ashton.
Cette pièce l’influença et lui donna l’idée de développer un ballet, ce qu’il fit quelques années plus tard, à partir de 1956.
Afin d’échapper à un traitement trop romantique, le chorégraphe s’attacha la collaboration du compositeur allemand Hans Werner Henze qui lui avait auparavant témoigné son admiration.
Henze vint à Londres en 1957 et composa "à la demande" en fonction des besoins du ballet qui se montait en parallèle avec Margot Fonteyn, Michael Somes, Julia Farron, Alexander Grant et, bien sûr, le Royal Ballet.
Ashton refusa toujours de monter Ondine pour d’autres compagnies qui désiraient inscrire ce ballet à leur répertoire.
Mais, en 2000, la Scala de Milan le présenta avec Alessandra Ferri et Adam Cooper.
Henze, que nous retrouvons dans les suppléments de ce programme, était présent…
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Dès le prologue orchestral, les musiciens de l’Orchestre de la Royal Opera House attestent de leur affinité avec la partition.
Le chef Barry Wordsworth, habitué au répertoire chorégraphique, tire de l’orchestre un mystère et une retenue qui nous plongent dans une ambiance assez spéciale.Le rideau se lève sur un superbe décor, celui du château de Berta.
La décoratrice Lila de Nobili peignit elle-même les toiles de la création à partir de ses propres dessins afin d’en préserver la délicatesse.
Nous nous trouvons de fait devant une évocation imaginaire à mi-chemin entre le livre d’images et le décor de théâtre d’un passé révolu, prélude à l’entrée dans un monde onirique.
Mais dans un premier temps, la progression dramatique passe par un exposé de situation : Palemon offre un pendentif à sa promise Berta. Celle-ci le repousse et le laisse seul. Ondine apparaît alors…
xEdward Watson interprète avec finesse ce Palemon délaissé, aux antipodes de son rôle du Prince Rudolf dans Mayerling de MacMillan. Lire le test du ballet Mayerling
La prestance est là et l’illustration d’une certaine souffrance passe dans l’académisme des pas.
Face à lui, Genesia Rosato campe une Berta peu aimable ce qui justifiera d’autant mieux notre parti pris pour le jeune homme.
Nous avons récemment apprécié cette danseuse de caractère dans le rôle de Madame dans Manon, également chroniqué sur Tutti-magazine. Lire le test du ballet Manon
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Miyako Yoshida incarne Ondine. Cette jolie danseuse japonaise très gracieuse est faite pour un tel rôle.
Délicate et rapide à la fois, sa gestuelle se prête bien à la simulation des gouttes d’eau qui ruissellent sur son corps.
Entrée au Royal Ballet en 1995 comme Principale, elle l'a quitté en 2010, l'année suivant cet enregistrement.
La mise en place est clairement installée, mais avouons que, jusque-là, tout nous paraît bien conventionnel au niveau de la danse.
Puis, l’intérêt est éveillé lorsque qu’Ondine prend peur dès qu’elle se trouve observée par Palemon.
Ashton compose admirablement la nervosité de cet esprit des eaux face à un homme d’un autre monde que le sien.
Le travail sur le bas de jambe, les petits pas très rapides et l’expression de peur sont extrêmement aboutis.
Le couple alors formé par les deux danseurs est apte à créer une tension qui sera primordiale pour la suite.
Nous quittons l’illustratif pour entrer dans la profondeur de l’histoire. I
l faudra un bon coup d’œil pour percevoir Berta observer jalousement Ondine et Palemon depuis le fond de scène si peu éclairé.
Le réalisateur ne nous aide pas non plus sur ce point.
On sera un peu surpris par les mimiques inventées par Ashton lorsque Berta donne l’alerte.
Mais il faut avouer que cette "recette" plutôt classique fonctionne bien et accentue la théâtralité du traitement créé à l’origine pour la scène et non pour une captation video.
La Scène 2 nous entraîne dans une forêt mystérieuse où nous suivons les amants. Ils sont accueillis par Tirrenio, Seigneur de la Méditerranée qui tente de les séparer. En effet, en cas de trahison, Palemon mourra…
La musique de Henze participe à créer le mystère.
Son utilisation des cordes nous fait un peu penser à Prokofiev.
Les dissonances ne se départent jamais d’une profonde expression qui donne à cette partition une assise universelle et en facilite l’audition de tout spectateur, y compris peu familier avec cette forme d'écriture musicale.
De même, les éclats sonores sont superbes et apportent une véritable dimension à certaines entrées des danseurs, comme par exemple celle de Tirrenio, ferme et énergique.
Riccardo Cervera se voit confier une variation épuisante. De multiples sauts, des gestes précis arrêtés net, de nombreux changements de direction et de multiples pirouettes donnent vie à ce personnage fantastique issu de l’eau.
Une danse d’ensemble fait intervenir nymphes et tritons alors que la musique nous rappelle Stravinsky.
On est frappé à ce stade par une parenté avec l’esthétique du ballet La Fleur de pierre chorégraphié par Youri Grigorovitch en 1959.
L’inspiration n’est certes pas la même, mais un lien ténu existe.
Ashton forme avec les danseurs une gigantesque plante sous-marine qui tente de retenir Ondine loin de Palemon.
La gestuelle est remarquablement inventive et le Royal Ballet parfaitement synchronisé.
Les délicates couleurs des costumes sont à ravir.À l’issue d’un long pas de deux qui permet aux deux amants de se retrouver, et aux danseurs de manifester une belle complicité de partenaires, un vieil ermite procède au mariage.
Gary Avis, dorénavant habitué aux rôles de composition, est une nouvelle fois remarquable.
Ondine reçoit une âme…
Le peuple de la mer fera tout pour empêcher Berta de poursuivre les jeunes gens.
Ashton construit une fin de scène avec panache, jouant sur les entrées et sorties rapides, la confusion savamment organisée, les sauts à répétition de Tirrenio et les mouvements prolongés avec féerie par les étoffes légères des costumes.
Le résultat est à la hauteur de l’attente : énergique, surprenant et totalement maîtrisé. Les danseurs deviennent onde sous l’emprise des vagues sonores de Henze rendues à la perfection par un orchestre superbe.
L’Acte II débute sur un port représenté par des décors et un mariage de teintes assez extraordinaires dont le master vidéo se régale.
Ondine et Palemon embarquent, bientôt suivis par Berta.Le départ du navire est un superbe moment.
Grâce à un effet en fond de scène, une gestuelle simulant le va-et-vient des vagues et du vent dirigé vers les voiles, une certaine forme de réalisme investit le plateau.
Le dépit de Berta comprenant ce qui lie Ondine et Palemon est idéalement joué par Genesia Rosato. Il faut dire que, tant la perruque que le costume aident à installer une sorte de caricature de mégère jalouse bien peu féminine.Mais l’expression de la danseuse nourrit bien plus ce personnage ingrat et lui prête une méchanceté, une jalousie théâtrale absolument délicieuse.
Les contrastes entre les deux personnages féminins qui gravitent autour de Palemon gagnent en efficacité.
Le moment où le jeune homme offre l'amulette à sa jeune femme devant le regard jaloux de Berta est un grand moment.
L’aura d’Ondine n’est pas pour autant entièrement lisse. Les marins en ont peur car elle semble diriger les flots qui submergent un moment leur navire.
Lorsque Berta s’empare du pendentif, narguant le couple, elle provoque l’irruption de Tirrenio qui, à la surprise générale, le lui arrache des mains.
Berta en profite pour se liguer aux marins.
Leur peur les poussera à jeter Ondine par-dessus bord.
Tirrenio intervient pour la sauver.
S’ensuit un cataclysme à la mise en scène redoutable d’efficacité. Le bateau coule et les deux seuls survivants, Berta et Palemon s’enlacent, dans une forme de rage passionnelle symbole de retrouvailles amorcées après la disparition d'Ondine.L’Acte III nous conduit dans la grande salle du château de Palemon.
Berta et Palemon viennent de se marier…
Resté seul, Palemon voit Ondine à travers un grand portrait.
Puis elle apparaît, surgissant des eaux.
La partition de Henze épouse une fois de plus parfaitement le livret et accompagne l’apparition d’Ondine avec une subtilité dans l’orchestration qui ajoute une magie certaine à la scène.
Le trouble manifesté par Palemon est rapidement évincé par le retour de Berta et l’arrivée des invités, préambule à un grand divertissement qui leur est offert.
L’Acte III comportait en fait, initialement, un divertissement pour célébrer le mariage de Palemon et Berta à la manière des grands ballets classiques.
Puis, il fut retiré pour être remonté à l’occasion du 50e anniversaire du Royal Ballet en 1981.
Le présent programme propose cette succession de danses.
Le lien musical avec le Roméo et Juliette de Prokofiev est ici flagrant.
Le compositeur utilise le piano en instrument soliste et apporte une couleur orchestrale différente à cette enclave chorégraphique dans la continuité de la narration.
Danses d’ensemble et pas de trois se succèdent avec un dynamisme très italien.
Les personnages de la Commedia dell’arte ne sont pas loin, les costumes en témoignent.
Il est acquis que cette incursion dans un univers différent permet une meilleure intégration dans le ballet.
Le divertissement chorégraphique autrefois abandonné par son chorégraphe retrouve une place cohérente en tenant lieu de fête donnée pour le mariage.
Les forces du Royal Ballet font preuve d’une énergie remarquable et d’une belle musicalité.
On retrouvera dans ce divertissement des solistes appréciés dans d’autres productions : Mara Galeazzi et José Martín parmi d’autres.
L'entrée de Tirrenio et sa cohorte de nymphes et tritons, pour surprenante qu'elle soit, nous fait un peu l'effet de l'arrivée du cygne noir accompagné de Rothbart dans l'Acte III du Lac des cygnes.
L'effet est réussi, comme la façon dont Berta est enlevée par les créatures marines incarnant la colère de leur maître.
Le splendide master restitue admirablement les danseurs.
Mais on peut regretter ici, comme dans quelques autres passages du ballet, un fond de scène systématiquement enterré, ce qui ne permet pas de profiter pleinement de la subtilité des décors.
Le Blu-ray s'avère toutefois supérieur au DVD sur ce point.
Lorsqu'Ondine entre à son tour, ses longs cheveux noirs défaits et humides, le drame s'installe instantanément.
Miyako Ushida, de créature femme-enfant pleine de vie, transmute son Ondine en une tragique figure donneuse de mort.
Palemon réalise qu'il n'a jamais cessé de l'aimer.
Mais il a trahi Ondine, et son baiser le tuera.Un splendide pas de deux traduit le désespoir des amants et la tension de la situation, Ondine détournant la tête chaque fois que Palemon s'en approche.
Ondine et Palemon rejoignent à ce moment les grands personnages dramatiques du ballet narratif.
Le langage d'Ashton composé pour ce pas de deux est intemporel, puissant. On pourra du reste y déceler la filiation avec les futurs ballets de Kenneth MacMillan Manon et Roméo et Juliette, par exemple.
Palemon et Ondine s'étreignent. Il meurt.
La dernière image que nous garderons de ce ballet est celle, d'une tristesse infinie, que nous découvrons après les quelques secondes de rideau baissé nécessaires à sa mise en place : Ondine emportant le corps de Palemon dans les profondeurs de l'océan…
Le ballet Ondine est quasi inconnu en France.
Cette magnifique captation va permettre la découverte d'une œuvre importante dont la place se situe aux côtés des grands ballets classiques que nous considérons comme fondamentaux.
Philippe Banel