Réalisée au cœur du festival en plein été, la captation se déroule en suivant la forme classique du récital pour piano et ne présente pas de caractère particulier ou innovant.
La présence du pianiste russe est toujours en soi un événement ; il compte en effet parmi les grandes figures du piano d’aujourd’hui. Né à Moscou en 1972, il a étudié avec Tatiana Nikolayeva notamment, interprète favorite de Chostakovitch depuis sa rencontre avec ce dernier en 1950.
Le récital débute avec la magnifique Sonate 1 X 1905 dite De la rue, funèbre et grave, de Janáček. L’auteur l’écrivit suite à la mort d’un manifestant en faveur de la création d’une université à Brno. Il en détruira le dernier mouvement, insatisfait de sa musique, mais les deux pages initiales sont parvenues jusqu’à nous.
Lugansky y fait preuve d’une touche de pudeur, de discrétion qui est en parfaite harmonie avec la pièce. La musique est livrée ainsi, induisant un jeu intime, non démonstratif à la manière d’un Déodat de Séverac, presque de la même époque (En Languedoc, 1924). Le jeu du pianiste laisse entendre cette rugosité requise, un toucher affiné et uniforme qui met en avant l’hommage, dans sa vibrante émotion.
Le programme se poursuit avec 6 des 10 Pièces du Roméo et Juliette de Prokofiev, que l’auteur tira de son ballet intégral en 1937 et dont il donna la première exécution. Elles permettent un vrai contraste, sollicitant du pianiste un jeu à la fois virtuose, percussif, audacieux et spectaculaire (Mercutio). Lugansky y règne avec bonheur, et montre une facette engagée de son jeu, que les pièces du ballet de Prokofiev consacrent avec brio.
Les Liszt qui suivent et notamment les 4 Études d’exécution transcendante constituent probablement les pages essentielles du programme. Les Feux Follets et les Harmonies du soir sont à proprement parler des sommets de la littérature pianistique lisztienne dont elles illustrent toute la stylistique. La progression du programme est intelligemment conçue puisque peu à peu on se dirige vers des pages éblouissantes d’une virtuosité extravertie que constituent ces pages au cœur du romantisme.
Suivent parmi les plus virtuoses Préludes de Rachmaninov et de Chopin que Lugansky alterne et qui n’ont en commun que la plus grande des vélocités. Le Prélude en sol mineur opus 23 de Rachmaninov devient sous ses doigts un modèle de clarté, de lisibilité, et nous laisse imaginer l’extraordinaire pianiste que Rachmaninov lui-même a pu être. Lugansky s'y montre souverain, d’une force jubilatoire et communicative.
Gilles Delatronchette