Remarquons tout d'abord que Mariss Jansons a eu la très bonne idée de réduire les effectifs de son orchestre au niveau des cordes pour la Symphonie no. 94 de Haydn, dite "La Surprise". Celles-ci entourent le chef, et les vents sont regroupés face à lui, un peu surélevés. Le premier mouvement conserve un dynamisme exempt de lourdeurs, le tempo choisi est juste, tout en respect du Vivace assai demandé. Le fameux Andante à variations qui donna son surnom à l'œuvre, s'inscrit bien dans un caractère populaire, avec un soupçon de malice assez difficile à faire ressortir. Le Menuet fonctionne bien, avec ses trois temps plutôt insistants qui lui donnent une allure de danse paysanne.
Quant au Finale, véritable festival de doubles croches, il se montre particulièrement bien enlevé. L'esprit de l'œuvre est respecté, son caractère est juste, et tout se déroule de manière agréable mais paradoxalement sans véritable… surprise !
Avec le Concerto no. 2 pour flûte de Mozart, on tient certainement le meilleur moment de ce concert. Le flûtiste français Emmanuel Pahud y développe une sonorité chaude, trouve des attaques tout en douceur et recherche une infinie variété de nuances à l'intérieur d'un même phrasé. Cette absence de dureté combinée au chant absolu, cette intelligence et ce naturel dénué de mièvreries forcent le respect. Mariss Jansons tempère avec justesse la puissance de son orchestre, toujours en effectif réduit, de manière à ne jamais étouffer son soliste. L'entente et l'échange entre les deux partenaires ne méritent que des éloges.
La partie du programme la plus importante est gardée pour la fin, dans un souci d'équilibre auditif. La Symphonie fantastique de Berlioz permet alors d'entendre l'orchestre au complet. Quelques remarques s'imposent d'emblée…
Il semble tout d'abord que l'exiguïté du chœur de la basilique soit responsable de l'étrange disposition des deux harpes, face à face, sur le devant de la scène, c'est-à-dire derrière le chef. Ensuite, lors de la Scène aux champs, le chef choisit l'originalité en plaçant face au chœur, dans les hauteurs des tribunes, le hautbois qui répond en écho au cor anglais. Cette spatialisation de la musique respecte de fait les effets acoustiques recherchés par Berlioz. Enfin, concernant les instruments, le Songe d'une nuit de Sabbat fait entendre de vraies cloches, ce qui donne une dimension et une réalité sonore en parfaite accointance avec le cadre magnifique du concert.
Mais, en dépit de ces choix intéressants, force est de constater que Mariss Jansons n'élève pas l'expression musicale de cette symphonie vers les nimbes attendus. L'ensemble manque curieusement de relief, de contrastes. Le Bal reste traditionnel, tandis que la Marche au supplice n'a que peu l'allure d'un calvaire. Rien n'y est effrayant, pas plus qu'on ne se trouve dans l'attente d'une mort imminente. Le choral de cuivres du Sabbat scandant le thème du Dies Irae aurait fait un effet saisissant dans ce lieu chargé d'histoire, mais il retombe à plat. L'arrivée des bois manque cruellement de truculence, de rebond et d'ironie sardonique. Les fabuleux éclats de la partition, son exubérance, ses outrances instrumentales ou ses dissonances apparaissent comme gommées par des timbres trop polis et ronds. De "Fantastique", la symphonie devient ordinaire.
La mise en images de ce concert qui aurait pu être exceptionnel utilise des mouvements de caméras souples et sait montrer avec opportunisme l'architecture ancienne de la basilique. L'éclairage dans les tons de bleu/jaune sur les reliefs irréguliers des vieilles pierres transmet une partie de l'atmosphère spécifique qui règne lors des concerts donnés dans les bâtiments religieux. Malgré tout, cela ne réussit pas à nous distraire d'un programme à la qualité inégale, presque scindée en deux, eu égard à la relative déception engendrée par la Symphonie Fantastique. On était en droit d'en attendre davantage, surtout venant de l'Orchestre Philharmonique de Berlin. Mais la verdeur et l'esprit français ne se trouvent pas forcément là où on les attend.
Vous pourrez retrouver Mariss Jansons à la tête du même orchestre lors d'un concert de 2002 à la Waldbühne de Berlin (lire le test).
Nicolas Mesnier-Nature