Le grand public reste souvent interloqué devant le rôle réel d'un chef d'orchestre. Aussi, un peu d'Histoire de la musique en préambule de ce document aurait mieux permis de comprendre sa nécessité absolue. En effet, dès le début du XIXe siècle, les compositions devenant de plus en plus complexes, un intermédiaire était devenu nécessaire. Un intermédiaire entre l'abstraction dénuée de sens d'une partition et l'interprète réfléchi et inspiré des intentions du compositeur qui se substituait petit à petit au batteur de mesure baroque. La complexité de la tâche et la responsabilité deviennent alors énormes. En effet, si l'instrument du soliste répond normalement à ses exigences directes, comment obtenir la même réaction de la part de dizaines d'instruments avec lesquels le contact mécanique est impossible ? Deux actions restent possibles : la parole et les gestes.
La caméra de Michel Follin nous présente Marek Janowski et son élève Olivier Dejours devant un conducteur d'orchestre, réfléchir sur la manière de soutenir une phrase, d'amener une nuance, de tenir une note ou de régler un rythme, et plus tard sur le podium, essayer de trouver le bon geste. Le maître pose des questions, l'élève répond et suggère. À nouveau, le professeur donne son avis sans réellement imposer son point de vue. Si besoin est, le piano se trouve tout à côté pour vérifier le bon entendement des décisions.
Ce travail de fond constitue un long labeur d'une nécessité absolue. En effet, arriver devant l'orchestre sans cette préparation, c'est s'exposer à des malentendus et à ne pas parvenir à tenir tous les pupitres. Évidemment, il n'est pas possible de répéter avec un orchestre autant de fois qu'avec son instrument. Il faut donc se présenter avec des idées sans quoi les conséquences deviendront vite catastrophiques : l'ennui gagnerait tous les pupitres qui ne comprendraient pas où l'on veut les emmener, le chef n'aurait rien à dire, menant l'orchestre à l'indifférence et à l'échec publics.Marek Janowski lance des pistes à Olivier Dejours : exprimer des idées - sans quoi il n'y aurait pas d'interprétation mais une simple exécution -, éliminer les effets gratuits de gestes trop "visuels" plus destinés à jeter de la poudre aux yeux du public qu'à aider les musiciens. Dans la même direction, il faut éviter de trop parler puisque le geste précis dit tout. Pourtant, la nécessité de développer certains points peut s'avérer fort utile, mais ne doit pas constituer un réflexe invasif. Une des grandes difficultés, selon Marek Janowski, consiste en l'observation de soi. L'échange du chef vers l'orchestre ne doit pas être unique. Il faudrait avoir la capacité de se voir diriger pour mieux se contrôler et comprendre pourquoi, à un moment donné, les choses ne fonctionnent pas.
Nous, spectateurs, pouvons mesurer au cours de cette leçon toute la distance qui existe entre le maître et l'élève : au côté d'Olivier Dejours, Marek Janowski montre l'exemple brièvement pour corriger, puis passe la main sans interrompre la musique et parfois, situé légèrement en retrait, dirige en même temps. Moment jubilatoire d'une double direction, où il est permis de se demander qui l'orchestre regarde.
Logique quant à son parcours, Marek Janowski insiste sur les fondamentaux constructifs d'une carrière de chef : d'abord l'autorité, ensuite l'expérience de la fosse et de l'opéra, voire de l'opérette, pour se faire la main sur une musique pas trop compliquée. Enfin, le podium, car "on n'apprend pas sur l'estrade". Dans ce métier, l'orchestre est le vrai professeur, et on ne peut s'empêcher de songer aux musiciens du Wiener Philharmoniker qui choisissent eux-mêmes leur chef.
Le dernier mot sera laissé au compositeur-chef Richard Strauss : "C'est le public qui doit transpirer, pas le chef !".
À le voir diriger*, on a une illustration parfaite de cet aphorisme !
* The Art of Conducting Vol.1, DVD édité par Warner Vision.
Nicolas Mesnier-Nature