Si vous étiez à Los Angeles cet été, vous l'auriez vu partout ! À grand renfort d'articles de journaux et d'affiches, c'est toute la capitale de la Californie qui accueillait avec un enthousiasme et une chaleur étonnants le jeune Gustavo Dudamel à la tête du Los Angeles Philharmonic. Il faut dire qu'à 28 ans à peine, le jeune chef est à la fois un symbole et un phénomène.
Élève de José Antonio Abreu (fondateur du Simon Bolivar Youth Orchestra of Venezuela) qu'il invite du reste sur scène à la fin du concert, il est un pur produit du "Sistema" ou plus exactement de la "Fundación del Estado para el Sistema Nacional de las Orquestas Juveniles e Infantiles de Venezuela" créée à la fin des années 70 dans le but d'initier à la musique classique les enfants les plus démunis du pays, faisant de lui un symbole politique et social (cf. le test de El Sistema paru chez Medici Arts).
Mais cette ascension fulgurante s'avère plus que méritée vu le talent, l'énergie et l'imagination du jeune artiste revisitant avec une fraîcheur et une fougue communicatives les plus grandes œuvres du répertoire. Sans plonger dans l'historicisme, il a montré qu'il pouvait relire, dépoussiérer et redonner comme nul autre une nouvelle jeunesse aux œuvres du passé. De fait, il plaît aux jeunes, mais convainc tout autant les anciens…Pour preuve, sa participation au très sérieux Festival de Salzbourg, qui confirme une ouverture d'esprit amorcée avec l'arrivée de Nikolaus Harnoncourt il y a quelques années.
Autre signe du consensus qu'il sait créer autour de lui, les solistes qui l'accompagnent dans le Triple concerto de Beethoven, entre artiste en pleine maturité (Martha Argerich) et nouvelle génération prometteuse (les très médiatiques frères Capuçon). Et comme pour contrebalancer la dimension chambriste, Gustavo Dudamel avait choisi l'immense fresque moussorgskienne des Tableaux d'une exposition, rassemblant pour l'occasion un orchestre aux effectifs "titanesques".
Le résultat de ce programme est donc bien consensuel, sans époustoufler pour autant – le présent DVD permettant un salutaire recul par rapport au concert en offrant une lecture plus apaisée, moins immédiate.
Avouons-le d'emblée, la maîtrise technique du jeune chef est véritablement solide et impressionnante. Il tient son orchestre et lui donne une cohérence et une cohésion remarquables, d'autant plus admirables devant l'ampleur de l'orchestre moussorgskien auquel il impose une ductilité et une légèreté parfois incroyables. De la même façon, il emporte tous les suffrages dès les premières mesures du 1er mouvement du Concerto de Beethoven par l'intelligence et l'inattendue enlevée de son articulation.
Cela dit, si le tempérament est une vertu, notamment dans le répertoire russe, tout est une question de dosage. C'est ainsi que le pur plaisir sonore et sensuel l'emporte parfois trop sur la profondeur du texte. Les œuvres choisies ne sont pas anodines et leur pérennité ne se fonde pas simplement sur leur impact sonore. Il arrive pourtant que le lyrisme des cordes sonne creux, ou bien que la puissance des cuivres occulte certains détails subtils de l'orchestration dans Moussorgski (d'ailleurs nimbée dans une prise de son trop englobante).
De même, ce déséquilibre entre de réelles qualités et une certaine tendance au spectacle s'exprime à plein dans un Concerto de Beethoven où brille une Martha Argerich d'une assise impressionnante, mêlant force et élégance dans une maturité accomplie, tandis que le violoncelliste Gautier Capuçon nous livre un deuxième mouvement dont la surenchère expressive apparaît en totale dysharmonie avec l'esprit de l'œuvre et celui de ses confrères.
Ajoutons à cela une réalisation par trop zélée, cherchant à capter les moindres détails de la partition, occasionnant de fait une succession haletante, presque étourdissante de plans sur les différents solistes au rythme effréné de leurs interventions. Là encore, un peu de recul nous aurait fait du bien.Comme n'importe quel autre artiste, Gustavo Dudamel a ses affinités, ses compositeurs de prédilection. Gageons qu'à l'aube d'une carrière fort bien partie, le jeune chef a à cœur de s'essayer à un maximum d'univers musicaux, afin de déterminer ceux avec lesquels sa personnalité saura le mieux s'accorder. Mahler est de ceux-là, et l'on aurait presque préféré que le programme proposé en bonus (la Symphonie Titan) fût le programme principal tant il nous présente un Dudamel au naturel, original, drôle, imaginatif, tout en étant en parfaite symbiose et en parfaite intelligence avec la partition, proposée ici en répétition publique.
Au final, ce programme s'avère réellement passionnant, tant dans ses défauts que ses qualités, et un témoignage précieux de l'émergence d'un authentique grand chef du XXIe siècle !
À noter : Deux bis sont interprétés à la fin du concert : La Marche de Radetsky de Johann Strauss, scandée par le public, et la Danza final d'Estancia d'Alberto Ginastera, par un orchestre survolté.
Jérémie Noyer