La production de John Copley s'inscrit dans la durée car la première date de 1974. Les trois ténors Domingo, Carreras et Pavarotti s'y illustrèrent en leur temps. À cette époque, les audaces scéniques contemporaines étaient discrètes. Les vedettes ont changé, et l'interprétation aussi. Pour la présente captation de décembre 2009, les chanteurs ont tous l'âge de leur rôle et forment une distribution homogène. Le jeune ténor Teodor Ilincai, la soprano russe Hibla Gerzmava ont tous deux l'aigu facile et maîtrisé, la finesse et la retenue qui conviennent aux personnages fragiles et émotifs de Rodolfo et Mimi. La puissance des forte ne sombre pas dans l'excès et les tenues restent volontairement limitées. Leur premier duo de l'Acte I est criant de vérité. Le final dramatique sera tout simplement émouvant.
Des compères de bohème, à défaut de grand air, on retiendra le jeu scénique vivant, incarnant bien ces jeunes artistes du livret ne se prenant pas trop au sérieux mais croyant en leur muse. Une bonne dose d'extravagance, d'humour (scène avec le propriétaire ; bataille d'adolescents) et de compassion s'exprime le moment voulu.
Le rôle de Musetta brille surtout dans l'Acte II, chez Momus. Là aussi, on retiendra l'aisance naturelle du chant de Inna Dukach, liée aux qualités de comédienne dégagées de toute vulgarité.
Le jeune chef letton Andris Nelsons, élève de Maris Jansons, s'implique totalement dans la direction musicale. Sa lecture est fine et puissante avec discernement. Sous sa direction, les moindres détails, les plus petits solos, chaque phrasé et chaque nuance rendent hommage à la fabuleuse orchestration de Puccini. Fuyant toute routine, il transforme l'accompagnement musical des chanteurs en commentaire illustratif relié à l'action scénique : une flamme qui s'éteint ou qui crépite trouve son écho dans la fosse. Bien entendu, pas plus que sur scène, ni vulgarité et ni excès ne sont de mise.
Nous retrouvons ce souci du moindre détail dans les décors de scène ultra-réalistes. Tout est d'ailleurs pensé 1830 : costumes, lumières et ambiances. Les extérieurs de gel contrastant avec la chaleur festive de la veille de Noël chez Momus sont un exemple de la perfection du rendu. Certains gros plans montreront d'ailleurs à n'en pas douter au spectateur ce souci du détail. La toile peinte par Marcello suffira pour s'en convaincre.
Le côté très "premier degré" - voire conventionnel - irritera peut-être certains. Mais la recherche de la modernité à tout prix ne doit pas être un but en soi. Hyperréalisme et vérisme font ici bon ménage. Le piège vériste enfante très souvent l'excès, musicalement en tout cas. Dans cette production, rien de la sorte, mais le plaisir immédiat du spectacle, sans ombre au tableau.
Nicolas Mesnier-Nature