La star, c'est évidemment elle, la Traviata, Renée Fleming. Elle met en scène dans le rôle de Violetta Valery tous ses talents de chanteuse et d'actrice. En effet, pour ce rôle très lourd qui occupe quasiment en permanence le devant de la scène, elle ne se contente pas de chanter, ce qui arriverait presque à nous combler, mais vit son rôle à la manière d'une héroïne de film. En cela, elle inclut avec intelligence son personnage dans la société interlope qui l'entoure sans pour autant porter d'ombre à ses partenaires.
Certes, Renée Fleming n'a plus vraiment l'âge de Violetta - ni maquillage ni coiffure, il est vrai, ne font rien pour nous en dissuader -, mais son chant legato atteint des moments sublimes, et l'on restera stupéfait devant tant d'aisance. Il sera intéressant de se reporter aux bonus du programme dans lesquels Renée Fleming explique pourquoi elle a tant attendu avant d'interpréter ce rôle.
Elle parvient même, face aux plus grandes difficultés, à rester naturelle, à nous faire oublier l'artifice des vocalises, à les rendre vivantes en les incluant dans un système expressif parfois proche du parlando. Son émission vocale est en totale adéquation avec son état physique : provocateur à l'Acte I, intimiste et dramatique durant le premier tableau de l'Acte II, puis douloureux et meurtri au second tableau, et enfin mourant et suppliant au dernier acte. Les notes sensibles sont délicatement amenées et les suraigus toujours contrôlés et harmonieux. Sa performance, remarquable de bout en bout, trouve un écho tout aussi probant dans la distribution qui l'entoure. Renée Fleming donne à ses partenaires l'occasion d'occuper eux aussi les planches, ce qui nous les fait considérer non comme de simples faire-valoir donnant la réplique, mais comme des acteurs à part entière pouvant aussi imposer une présence réelle.Ses deux partenaires masculins réussissent ainsi une bonne, voire une excellente performance.
Le ténor Joseph Calleja campe un Alfredo crédible, à la voix très timbrée, puissante et retenue à la fois. Les couleurs obtenues avec justesse varient en fonction des revirements émotionnels du personnage. Lui aussi joue juste, et la vérité de ses sentiments tour à tour violents ou touchants, renforcés par une attitude un peu balourde, convaincra aisément le public.
Thomas Hampson, en Germont, garde encore un très beau son, et s'identifie avec facilité à son personnage. Sa stature imposante et sa puissance vocale s'accordent bien. À la fois dans la violence et la compassion, il se montre tout aussi crédible que son fils. On pourra cependant remarquer le commencement d'un léger vibrato et un peu moins d'aisance dans les portés soutenus avec force, mais rien encore d'invasif ou de gênant sur l'ensemble de la prestation.
Les seconds rôles - Flora, Douphol, de Letorières et Grenvil - participent à cette réussite et parviennent à servir leurs minces apparitions avec talent.
L'excellent chef d'orchestre Antonio Pappano, habitué confirmé du lyrique, accompagne excellemment et avec beaucoup de finesse toute la distribution. On appréciera les fameux préludes des premier et dernier actes, tout en transparences subtiles.
La mise en scène de Richard Eyre, créée en 1994, impose tout au long un style très réaliste au service de la musique. Costumes, mobilier et couleurs nous plongent à la perfection dans l'époque à laquelle se déroule le drame. Les lumières renforcent les ambiances de fête grâce à des couleurs chaudes et intenses, notamment le jaune et le rouge, exprimant parfois de violents contrastes - le vert cru de la table de jeu, par exemple -, ou évoquent le repos de la campagne à l'aide de tons pastel. L'acte final montre des ténèbres doucement éclairées mettant en valeur un réalisme de détails comme les taches de sang sur la chemise de nuit et l'oreiller.
Les ensembles sont chorégraphiés avec vie, tandis que les danses espagnoles de l'Acte II nous épargnent la pacotille hispanique en faisant preuve d'assez de discrétion pour rester dans le bon goût.
Les productions de la Royal Opera House s'inscrivent souvent dans un réalisme consensuel destiné à séduire et à rassurer le plus large public. Dans le cas de cette Traviata, on peut affirmer que c'est loin d'être un défaut. Les artistes se sentent à l'aise, leurs gestes et attitudes sont naturels, et leurs performances vocales trouvent un écrin favorable à l'expression.
Un Tutti Ovation parfaitement mérité !
Nicolas Mesnier-Nature