Personne ne pourra plus dire, après avoir vu ce King Arthur de Purcell, que le genre "opéra" est ennuyeux ! Il faut admettre qu’avec l’habitude de voir Tosca se jeter dans le vide, Isolde mourir d’amour ou Wozzeck se noyer, on y rit rarement et encore, pas toujours franchement. Car ni Gianni Schicchi (Puccini) presque mort mais à l’écoute de sa succession, ni le déménageur-amant bellâtre de L’Heure espagnole (Ravel) bien que fort drôles l’un et l’autre, ne sont franchement hilarants. D’ailleurs on ne rit jamais (volontairement) au concert non plus, qu’il s’agisse de musique classique ou de genres plus populaires ou divertissants.
Il y aurait une étude savante à faire à ce sujet, tant les talents de comiques "narratifs" fleurissent actuellement chez nous, avec de stupéfiantes vocations d’ailleurs. Le duo Shirley et Dino en fait partie.
Avec King Arthur, Purcell est proche d’un genre qu’on pourrait apparenter sans diffamer, à la comédie musicale ; donc point de blasphème, mais au contraire de l’audace, du panache et une véritable entreprise hilarante, au milieu de laquelle les pages Purcell trouvent ou retrouvent parfaitement leur place.On souligne à ce titre, la magnifique prestation des musiciens du Concert Spirituel, qui n’auront probablement pas tous les jours l’occasion d’accompagner leur chef, Hervé Niquet, si "élégamment" vêtu, dans "On a l’béguin pour Célestin !" (1er intermède, plage 12) !
Bien sûr, Purcell n’est aucunement outragé, puisque sa comédie a pour fonction de faire justement place au divertissement et à l’amusement, en alternance avec ses plus belles pages, comme le célèbre "Air du froid ", morceau d’anthologie s’il en est (Acte III, "What power art thou", plage 30).
L’ensemble de la distribution est de bonne tenue, les voix sont belles, les chœurs magnifiques et l’ensemble incontestablement revivifié par une telle lecture.Avec talent, Shirley et Dino ont su éviter le piège - qui eût été ici fatal - d’une production de type "bourgeois qui s’encanaille". Au contraire, les nombreuses références qui sont disséminées, ça et là dans les intentions scéniques, permettent plusieurs niveaux de lecture de la production.
Il s'agit d'un vrai travail de création puisque les chanteurs ont été choisis lors des auditions, bien sûr selon leur voix, mais aussi leur capacité à se produire véritablement en scène, en se prêtant au jeu spécifique que les deux metteurs en scène allaient leur demander d’adopter. L’exercice promettait d’être particulièrement épineux car faire rire n’est jamais chose facile, contrairement à ce qu’on est tenté de croire.
Pour Corinne et Gilles Benizio, il s'agit d'une vocation, le destin du couple Shirley & Dino qu’ils incarnent à la scène. Pour les raisons qu’elle invoque avec finesse (et sans en avoir l’air), Shirley ne se met pas vraiment en scène, seul Dino occupe un rôle majeur… Mais ces lignes ne le révéleront pas.
La référence aux Monty Phyton (fin des années 60) est évidente mais Corinne et Gilles Benizio ont aussi su trouver un ton qui leur ressemble et qui leur est propre : entre le naïf infantile et l’absurde. Hervé Niquet, lui-même, n’échappe pas à leurs sollicitations puisqu’il est aussi mis à contribution pour "meubler" l’improbable changement de décors du premier intermède évoqué plus haut. Sur les recommandations du régisseur de la salle, il nous offre deux prestations dont il a le secret et qui, sans les dévoiler totalement, nous apportent la preuve qu’on peut se pencher savamment sur Purcell et s’illustrer en même temps dans l’art périlleux de la tyrolienne !Dans une autre scène (plage 35), le Roi Arthur épuisé et les infirmières qui le secourent sont soudain interrompus par un couple de skieurs de fond nordique totalement surréaliste et drôle. On comprend finalement qu’ils font une pause sur le chemin de leur ascension éreintante.
" […] On ne savait pas trop si on avait le droit de faire tout ça à l'opéra. On en a parlé avec Hervé Niquet qui s'est roulé par terre en criant : "Oh oui, j’adore !". Alors on a foncé !", confie avec humilité le fameux couple.
Finalement Corinne & Gilles Benizio nous prouvent qu’avec talent, respect et conviction, il n’est pas impensable d’aborder l’opéra pour la première fois, pour peu qu’on en maîtrise la matière dramatique dans sa plus large acception.
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Gilles Delatronchette