En 1990, Olivier Baumont n'est plus le simple élève timide qui reçoit sans discuter l'enseignement du maître. Il commence une carrière de concertiste et travaille sur une intégrale Couperin qui sera achevée peu de temps après.
Il est donc intéressant de le voir se confronter à Kenneth Gilbert.
Les différents points soulevés entre eux touchent tous à des détails d'interprétation : comment phraser à telle mesure, comment amener l'appoggiature à telle autre, comment plaquer un accord, comment nuancer. À toutes les remarques, Kenneth Gilbert apporte une touche personnelle avec délicatesse. L'homme propose, l'interprète dispose. Le professeur n'est pas disert et son enseignement consiste à se rendre "le plus superflu possible", selon ses propres paroles. Après avoir écouté Olivier Baumont, un peu en retrait, il répond précisément à ses questions.
Questions et réponses se font partitions à l'appui, et Kenneth Gilbert, d'une voix douce, suggérera toujours sans jamais affirmer. Il a bien compris, semble-t-il, que son élève est en passe de devenir à son tour professionnel. Il lui arrive d'illustrer lui-même ce qu'il prescrit, de façon très succincte, sans même s'asseoir au clavier. Du reste, on l'entendra seul au clavecin et à l'orgue à plusieurs reprises, mais seulement quelques instants.
Il est tentant de comparer cette leçon de musique avec celle donnée par Scott Ross, dont nous avons également chroniqué le DVD, qui a par ailleurs bénéficié lui-même des conseils et du soutien de Kenneth Gilbert. Là où le premier polémiquait et provoquait puis s'asseyait volontiers au clavier pour montrer son jeu, la paisible voix et la discrétion de Kenneth Gilbert paraissent à la recherche d'autres valeurs. Modestement, il affirme qu'il n'y a pas d'"école Kenneth Gilbert" et que, si les musiciens de jazz recherchent la "note bleue", les musiciens actuels de l'époque classique doivent s'attacher au "bon goût". Sur cette recherche, les deux grands interprètes semblent tomber d'accord.Si la réalisation de ce documentaire est de qualité, le montage sonore perturbe pourtant le confort auditif du spectateur. En effet, on remarque souvent une superposition de la musique et de la voix. Ceci est d'autant plus dommageable que l'on aimerait aussi bien entendre l'interprète que les commentaires, synthèse impossible à réaliser.
À la fin de cette leçon, Kenneth Gilbert proposera avec malice à Olivier Baumont de jouer à l'orgue la pièce de Froberger qu'il vient d'interpréter au clavecin. Il précisera qu'un bon claveciniste, à l'image des musiciens d'autrefois, se doit de ne pas ignorer l'orgue, la technique de l'instrument présentant de nombreux points communs avec celle du clavecin. Mais les quelques conseils prodigués avant l'exécution ne sont malheureusement pas suivis d'un commentaire du maître.
Kenneth Gilbert est un passionné d'instruments. Le clavecin Blanchet-Taskin du XVIIIe siècle qui fait partie de sa collection privée possède une sonorité magnifique, très éloignée des copies modernes, brillantes et métalliques. Avec émotion, il évoque la possibilité que cet instrument ait été joué par Mozart lors de son passage à Paris. L'occasion pour philosopher aussi sur les liens tissés entre les époques par le biais de certains instruments qui survivront sans doute pendant longtemps à leurs "claviéristes"…
Nicolas Mesnier-Nature