La contribution de Nikolaus Harnoncourt à la compréhension et l’appréciation de la musique baroque est considérable. S’inspirant de la force de l’art baroque, il a su redonner un sens discursif à un répertoire longtemps considéré comme une musique de table. Avec lui, tout parle, tout prend sens, d’un détail d’articulation à un détail d’orchestration, en passant par la matière sonore elle-même, de sorte que même la laideur se fait art. Harnoncourt a d’ailleurs largement écrit sur la question dans son excellent livre Le Discours musical, publié en 1984 chez Gallimard.
Le problème est que ce chef d’exception n’a pas toujours trouvé chaussure à son pied tant en termes d’interprètes qu’en termes de metteur en scène. S’il peut obtenir tout ce qu’il veut de son ensemble attitré, le Concentus Musicus de Vienne, force est de constater que ses solistes ne peuvent pas toujours satisfaire l’exigence que son interprétation demande, notamment dans ses enregistrements mozartiens. De la même façon, si sa collaboration avec le metteur en scène Jean-Pierre Ponnelle à Zurich reste légendaire dans Monteverdi, les productions scéniques qui ont suivi sont loin de rester dans les mémoires, si ce n’est pour leur décalage entre la pensée musicale et la scénographie.
Et tel est le cas ici. Nikolaus Harnoncourt est un fervent défenseur de la musique de Joseph Haydn, moins immédiatement géniale que son contemporain salzbourgeois, mais pourtant ô combien intelligente et raffinée. Les nombreux enregistrements du chef en la matière n’ont eu de cesse de montrer le serviteur de la maison Esterhazy sous un jour plus libéré et avant-gardiste. Pour preuve ce Mondo della Luna qui rayonne de mille timbres, des cors naturels rutilants aux violons rendus mystérieux par les sourdines. Le tout au service d’un argument qui ne pouvait que plaire à l’homme des Lumières qu’il était.Alors, certes, la mise en scène de Tobias Moretti ne manque pas de stigmatiser la superficialité et la duperie notoires de nos sociétés à travers des décors de carton-pâte, des costumes "bling bling" de récupération et une dépravation latente. Mais ce kitsch assumé, et même défendu avec conviction par les chanteurs, n’échappe pas à la lourdeur tant le ridicule est poussé à l’extrême et sombre bien vite - et avec insistance - dans la vulgarité. Les petites tenues grotesques de Dietrich Henschel (Buonafede) en viennent même à parasiter notre perception de son chant pourtant impeccable, alors que, sur le plan vocal, il se situe nettement au-dessus de ses confrères. En effet, la distribution va du bon, avec Markus Schäfer, discret mais très honnête en Cecco ou Bernard Richter, Ecclitico aux possibilités et à la souplesse vocales indéniables mais sans assise solide… au décevant, avec Maité Beaumont, très approximative et éteinte en Lisetta.
À la fin du visionnage de cette production, notre impression restera en demi-teinte, associée au sentiment d’une expérience inaboutie allant parfois jusqu’au désagréable. Cela est vraiment dommage compte tenu, une fois encore, de l’éclatante réussite orchestrale que ce programme avait à offrir.
Jérémie Noyer