Le Requiem Allemand, dont la composition reste liée à des éléments biographiques douloureux, porte mal son nom. Plutôt que "messe des Morts" au sens catholique du terme, il se réfère davantage à une musique funèbre sans lien avec la liturgie. Son origine prend source dans un monde baroque proche de la cantate funèbre mais possède l'effectif d'un oratorio romantique avec solistes, chœur mixte et orchestre.
Valery Gergiev va à la fois s'appuyer sur un style instrumental façonné par les passages des chefs "baroqueux" hollandais – Philippe Herreweghe ou Frans Brüggen -, à la technique orchestrale aux antipodes de la tradition romantique, et diriger l'orchestre avec la subjectivité qui lui est propre. Ainsi, il rentre en phase avec la ligne directrice de toute l'œuvre : la conception brahmsienne de la souffrance, du tragique, de la tristesse de l'homme demeurant néanmoins confiant dans la clémence divine. Le choix opportun de tempi larges – l'ensemble dure près de 80 minutes – renforce encore cette conception.Le Requiem Allemand n'existe pas sans un chœur digne de ce nom. Celui de la Radio Suédoise entendu ici est prodigieux, parfait dans l'équilibre entre voix masculines et féminines, mais aussi clair quant à la diction et à la polyphonie. La tenue du chant, avec ses notes longues ou ses assises profondes, est plastiquement irréprochable. Aussi bon dans la douceur du no. 1 que dans la puissance du no. 2, sans lourdeur.
Toutefois le choix des solistes, même s'il est moins important, semble aussi moins convaincant : le baryton polonais Mariusz Kwiecień et la soprano norvégienne Solveig Kringelborn possèdent de beaux timbres mais ils s'expriment un peu trop en dehors de la couleur générale. Les deux solistes paraissent tendus, et cette tension est sans doute à la source d'un vibrato quelque peu gênant.
Les prises de vues obéissent à deux lignes directrices : stables et souples sur l'orchestre et les chœurs, elles deviennent hésitantes et mal cadrées sur le chef. Néanmoins, on pourra remarquer sa gestique si particulière : main gauche volontairement vibrante, main droite dessinant de curieux petits moulinets. Son regard exprime une concentration extrême ou, en relation avec son visage, une joie évidente et détendue lorsque la musique devient lumineuse et pastorale (no. 4). Son attitude corporelle est à l'image même de ce qu'il interprète : penché en avant, renfermé lors des passages douloureux, et redressé en une posture statutaire lors des lumineux passages en majeur.
Avec son thème principal tourné vers l'espoir, la programmation de cette œuvre méditative peut surprendre pour un "concert d'adieu". Pourtant, la sincérité des sentiments qui s'en dégagent s'imprime sur les derniers gros plans d'un orchestre visiblement ému et d'un chef en larmes. Les quelques secondes de silence absolu faisant suite aux dernières notes en disent long sur cette relation…
À noter : Une regrettable absence de sous-titres empêchera les non-germanisants de mettre en correspondance le texte et la musique. Quant à la navigation du DVD, elle se montre pour le moins spartiate !
Nicolas Mesnier-Nature