Si vous cherchez à savoir ce qu'est exactement The Fairy Queen, vous obtiendrez certainement autant de réponses que d'interlocuteurs… Sous l'appellation de "semi-opéra" peuvent se cacher bien des choses. De sorte que chaque version en est bien une re-création et, espérons-le aussi, une ré-création ! En effet, qui dit "semi-opéra" dit en même temps, à demi-mot, "semi-pièce de théâtre". Tout est alors question de savoir quantifier ce "semi". Est-il synonyme de la moitié, du tiers ? Les chiffres ne riment certes à rien et on en vient dès lors aux notions de liberté - un comble sous l'Ancien Régime - et de bon goût à l'endroit de ceux qui se penchent sur l'œuvre.
Une liberté dont a su user William Christie lui-même puisqu'il l'expérimentait déjà dans sa version aixoise de 1989, atteignant un équilibre qui méritait encore de s'affiner.
Finalement, loin des débats abscons sur ce qu'est ou n'est pas The Fairy Queen, cette production "so british" de Glyndebourne démontre par l'exemple que "The proof of the pudding is in the eating"*. Et de ce pudding, non seulement nous en mangeons, mais nous en redemandons. Visiblement, cette Fairy Queen indéfinissable, sinon proprement baroque, est bien avant tout, dans le cas présent, la réussite de la rencontre de deux hommes - le chef et le metteur en scène - aussi cultivés qu'imaginatifs.
* "La preuve du pudding, c'est qu'on le mange".Cultivés parce qu'on ne monte pas un spectacle comme celui-ci sans avoir une culture extensive de l'art baroque en général, de l'écriture purcellienne en particulier, de la danse, de l'orchestration, du langage parlé et musical, de Shakespeare, de la scénographie baroque basée sur les changements à vue, etc. Tout cela se retrouve ici, mêlé à tout autant de références anachroniques aussi surprenantes que pertinentes, de Benny Hill à The Full Monty en passant par Desperate Housewives (Adam & Eve). Une culture qui est en même temps imagination fertile quant aux effets musicaux (Christie use et abuse de la théâtralité naturelle de la musique de façon opportune et jouissive) et aux effets visuels (scénographie des masques, ballets magnifiques de poésie et de couleur, le sommeil symbolisé par un pavot géant…). Tous ces éléments se croisent et se décroisent avec une grâce infinie, comme dans une chorégraphie à l'image des chassés-croisés amoureux qui émaillent l'improbable histoire.
Ainsi le texte de Shakespeare, sublimement interprété par la Titania habitée de Sally Dexter, vient-il s'entrechoquer avec un ballet de balayeurs et autres vitriers qui viennent tout autant montrer une pièce de théâtre dans le théâtre (concept Élisabethain de " Play within the play"*) que nous signifier que la vie même est un théâtre. C'est ainsi, également, que la musique de Purcell vient se superposer au texte Shakespearien dans une déclamation où le temps est suspendu et qui le dispute au langage cinématographique (musique sur dialogue) ou à celui de la comédie musicale. C'est ainsi, enfin, que les numéros dansés participent de la féerie ambiante et s'articulent naturellement avec les numéros plus classiquement opératiques, dans une chorégraphie à la fois moderne et élégante.
* “ La pièce dans la pièce (de théâtre)".
De ballet, il en est un, moins visible, mais tout aussi intense : celui des chanteurs en coulisses, devant assurer plusieurs rôles, et donc plusieurs costumes et plusieurs personnalités à la fois, avec une même qualité, Claire Debono et Andrew Forster Williams en tête.
On sent bien qu'un esprit d'équipe règne ici, un véritable esprit de troupe et même si ces têtes d'affiches dominent le casting par leur technique, leur présence et la clarté scintillante de leur voix, les autres rôles ont comme atout d'être de vrais acteurs en même temps que de vrais chanteurs. Ils s'en donnent à cœur joie. À ce titre, la scène du "bonheur est dans le pré" est proprement irrésistible. Et le public de se mêler à la troupe en fin de spectacle pour entonner le chœur conclusif avec l'ensemble des artistes.
Quant à l'Orchestra of the Age of Enlightenment, il n'est que couleurs et… lumières, avec une mention spéciale pour la viole de gambe, qui résonne de façon troublante en harmonie avec le lieu.L'on se prend à se demander pourquoi ce langage, si authentiquement britannique dans son élaboration et son absurdité, nous parle tant à nous autres Français. C'est sans doute que, pour baroque, il stigmatise nos sociétés contemporaines où le dédale est roi, où le labyrinthe s'impose de plus en plus, où les références et les valeurs s'entrechoquent. En revanche, la différence entre le baroque de Purcell et le nôtre, est que ses contemporains possédaient le fil d'Ariane qui leur permettait de se repérer, pour mieux rire de se perdre, alors que notre temps n'a pas toujours conscience de son errance. Gageons simplement qu'à l'image de la torche de l'Hymen qui conclut cette pièce-opéra, l'amour demeurera le meilleur des guides vers un futur incertain…
On retiendra ainsi de cette production son respect de la "grammaire" baroque conjuguée avec vie, et son équilibre trouvé entre opéra et théâtre. Mais également le fait que William Christie et Jonathan Kent nous livrent en même temps le contraire d’une lecture historique : une version d’aujourd’hui qui parle tout autant au cœur qu’à l’esprit et rend Purcell on ne peut plus actuel.
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Jérémie Noyer