Imaginons que l'action se passe 100 ans après la date de création de cet opéra-comique teinté de romantisme, dans un village italien où peu de chose a changé : nous nous trouvons sur la place de l'église, avec sa fontaine à pompe, son éclairage électrique, son sol dallé propret pendant les deux actes.
Les stéréotypes humains n'ont, eux non plus, guère évolué : un naïf sympathique, une jeune femme capricieuse autour de laquelle tournent les hommes, un bonimenteur et son assistant, un groupe de soldats en garnison et son sergent coureur de jupons.
Par respect d'un réalisme conservateur et réconfortant, on cherche et on joue la sécurité et la simplicité dans une mise en scène en phase avec une œuvre qui évite toute complication subjective et musicale.L'Ouverture s'enchaînant à la première scène, il n'est point besoin de lever le rideau : on entre immédiatement dans l'action, sans la surprise de la découverte des décors. La chorégraphie se montre convenue et s'attache aux déplacements un peu trop calculés des interprètes pour être franchement naturels.
L'Elisir d'amore a encore voix au chapitre dans les mémoires en raison de son air le plus connu, le fameux "Una furtiva lagrima", souvent au répertoire des récitals de ténor. Peter Auty joue ce Nemorino naïf et chante cette "romanza" alors qu'il vient de découvrir l'amour de celle qui l'a d'abord rejeté, la caractérielle Adina. Comme tous ses compères masculins, si la voix bien en place correspond à l'attribution du rôle, pas plus que le sergent, le bien nommé Belcore (Alfredo Daza) que le faux docteur Dulcamara (Luciano di Pasquale) n'ont la puissance et l'ouverture vocale nécessaires. Leur chant est clair, le débit facile mais le grave et l'aigu prudents. Tous se font dominer par la puissance de la soprano russe Ekaterina Suirina, puissance qui la conduit malgré tout à des aigus à la limite du cri. Les chœurs sont quant à eux heureusement parfaits.
L'excellent London Philharmonic Orchestra joue avec la plus grande conviction possible sous la baguette dynamique mais traditionnelle de Maurizio Benini.
Les quelques vues plongeantes et latérales essaient de diversifier pour les spectateurs de salon que nous sommes une représentation par trop convenue. De curieuse façon, on retiendra davantage le duo comique du docteur et de son assistant, tenu par un James Bellorini comme un rôle muet extravagant au costume de scène farfelu et au jeu proche du mime parfaitement assumé. La preuve : le public rit.
Nicolas Mesnier-Nature