La Voix humaine
Tout droit sortie d’une scène du Crime était presque parfait d’Alfred Hitchcock, auquel tant le cadre que l’unité de lieu font songer, seul le son de cette Voix Humaine filmée en 1970, a vieilli. Bien sûr, la diction exemplaire de l’admirable amante date elle aussi et on ne dirait plus, on ne chanterait plus, les choses ainsi. La prononciation de la langue parlée, comme on le voit de nos jours dans les documents anciens filmés, a changé elle aussi.Mais très vite on s’en accommode ; il en est ainsi de la vie des œuvres… Le destin de celle-ci aura voulu que Poulenc préfère son amie Denise Duval à Maria Callas dont on lui avait suggéré le nom. La fidélité l’aura remporté à nouveau en 1958, alors que la collaboration avec elle datait déjà de 1944 pour Les Mamelles de Tirésias, puis de 1953-56 pour les célèbres Dialogues des Carmélites.
Pourtant, on se plaît à rêver, sans renier aucunement la présence souveraine de Denise Duval, que Poulenc ait opté, à l’image de Cocteau pour Le Bel indifférent, pour Édith Piaf, et qu’il ait adapté son œuvre à sa voix, à sa diction, à ses mains autant qu’à son regard. Piaf eût sans aucun doute été la plus grande interprète possible d’une telle partition, qu’aucune artiste lyrique d’aucun répertoire ni d’aucun continent, ne peut ni ne doit ignorer. Mais les genres ne se mêlent pas, c’est parfois dommage.
La direction de Georges Prêtre est naturellement idéale puisqu’elle témoigne, elle aussi, des vœux du compositeur même. Le chef d’orchestre en assura la création avec un très vif succès à l’Opéra-comique en 1959. Francis Poulenc réclamait de l’orchestre une grande sensualité sonore et précisait qu’il voulait que le drame se déroulât dans la chambre d’une jeune et belle femme, abandonnée par son amour. La courte tragédie lyrique en un acte, nous révélera le contexte singulier de cette rupture.
Denise Duval revisitée ou la "Voix" retrouvée
Ce documentaire de 1998 - un peu long probablement, mais comment se priver de la présence colossale de Denise Duval ? - est de loin plus important que la belle scénographie filmée de Dominique Delouche qui précède. Il est unique et indispensable à tout musicien qui aborde la musique française du XXe siècle, Poulenc et la mélodie en particulier.
Probablement plus difficile d’approche pour le grand public, ce dernier y trouvera malgré tout son compte dans la description par le menu qu’une artiste comme Denise Duval effectue de son travail pour se pénétrer d’un rôle et en projeter à travers le temps la force et le déchirement, sans en trahir la teneur. On assiste ainsi à une magistrale "prise de rôle" par la jeune Sophie Fournier de cette Voix humaine, admirablement soutenue par le piano d’Alexandre Tharaud, sous la direction à la fois implacable, péremptoire mais tendre et si profondément généreuse de Denise Duval. À plusieurs reprises, au bord des larmes, le temps nous paraît suspendu.
Tant d’humanité dans l’immense artiste, à la fois solide comme le roc et même rude - pour la scène c’est vital ! - mais aussi vulnérable et tendre. Elle parle si bien de l’amour, de la douleur, de l’angoisse et de l’adieu, que cela est tout simplement bouleversant.
À noter : La Voix humaine est proposé en mono 2.0 Dolby Digital ; La "Voix" retrouvée en stéréo Dolby Digital.
Gilles Delatronchette