Valence est certainement aujourd’hui l’endroit le plus inventif d’Europe où l’opéra est roi et où tout concours à son succès.
L’art total se trouve au royaume de l’originalité, de la compétence et de l’excellence, tant par la présence de Lorin Maazel (directeur musical de l’institution) ou encore pour ce Ring, de celle de Zubin Mehta, ici chef invité.Les créateurs de la production, l'équipe de La Fura dels Baus dirigée par Carlus Padrissa, osent et réussissent du jamais vu, alliant le tableau à l’image, à l’audiovisuel ou à la haute technologie, tout en conservant au drame wagnérien son essence originelle.
C’est un tour de force.
ll s’avère plus que réussi et volatilise véritablement les frontières dans lesquelles l’art lyrique - même avec Bob Wilson et Bill Viola - se trouve encore à l’étroit.
C’est une autre lecture sans doute que nous offrent les caméras de cette production filmée, car nous ne sommes pas dans la salle…
Une lecture plus intime, plus proche des artistes et qui tire sa propre vision de ce qui se déroule sur scène et dans la salle.
Comment pourrait-il du reste en être autrement ?
Mais à ce degré de restitution d’un tel spectacle, cette vision recueille toute notre confiance de n'en pas trahir la folle impertinence et la stupéfiante beauté.
Avec ses images de synthèse et ses vues sur l’univers, bien présentes dans Wagner, l’imagination est ici débridée et le résultat spectaculaire.Dès la première page de cet Or du Rhin, nous sommes transportés dans un monde onirique.
Les filles du Rhin sont réellement des habitantes de l’univers liquide et portent en elles la richesse du monde, cet or tant convoité.
La fraîcheur que donne l’élément liquide qui se répand volontiers sur le plateau apporte à la scène une authenticité pour le moins troublante.
L’univers des dieux qui suit est génialement matérialisé par ces plateformes mobiles qui leur permettent de s’élever dans l’air et de ne pas exister dans le monde des hommes.
Loge, dieu du feu, s’agite constamment et ne cesse d’arpenter le plateau sur un véhicule dernier cri au déplacement rapide.
La descente au monde du Nibelung qu’il effectue avec Wotan afin d’en reconquérir l’or est rendue à proprement parler fantastique, et digne des images inouïes du Brazil de Terrri Gilliam, film hallucinant de 1985.
Les deux géants, mastodontes de fer brutalement articulés, traduisent à merveille leur posture, comme ceux de Chéreau à Bayreuth en 1976.
C’est d’ailleurs le même Matti Salminen à la voix de stentor qui incarne Fasolt.
À leur retour, la progression des dieux vers le Walhalla, est signalée par le fameux marteau de Donner et donne lieu ici à un véritable feu d’artifice visuel et musical.
On l’aura compris, pas un instant de répit dans ce prologue du Ring qui n’est pas le plus disert des chapitres de la tétralogie.
Pourtant, ici, on ne perd pas une seconde du drame, et cette lecture est une des plus riches qu’il nous ait été donné de voir et d’entendre.
Décidément le Palau de les Arts de Valencia sait comment réussir pleinement une distribution !
Celle de cet Or du Rhin est particulièrement homogène, et réunit les meilleurs interprètes wagnériens du moment.
Partant, le dialogue entre les différents rôles en sort renforcé et fluidifie de façon fort efficace la narration.Les trois filles du Rhin de fort belle homogénéité vocale doublent leurs exploits d’une véritable prouesse scénique, dans leur élément liquide.
L’Alberich de Franz-Joseph Kapellmann est remarquablement noir, d’une voix pleine et puissante, sa diction est un modèle du genre.
Le Wotan de Juah Uusitalo est doté d’un timbre de toute beauté et offre un duo d'anthologie avec la glaciale Fricka (magnifique Anna Larsson).
Freia est toute en fragilité évanescente.
L’Italienne Sabina von Walther en possède parfaitement la tessiture et lutte avec la même énergie contre les géants que contre un orchestre parfois surpuissant à ses côtés.
Mention toute spéciale pour le Froh de Germán Villar - superbement chantant - et comme on s’y attendait, pour l’extraordinaire Fafner de Matti Salminen, inépuisable, intarissable source de musicalité et de mordant dramatique.Pour ce Ring, Mehta est royal.
Il ne l’a hélas jamais produit au disque, ni dirigé à Bayreuth, mais nous dit pourtant, dans le documentaire proposé en bonus de l'opéra, s’y préparer depuis 1954 !
Son art du ciselé orchestral, de la clarté des différents plans sonores est un pur bonheur.
Rien n’est forcé, ni exacerbé, ni froid ou distant.
Le chef tire le meilleur parti d’un orchestre d’opéra de premier plan, un des meilleurs d’Europe sans doute, et l'on retrouve avec une immense satisfaction le meilleur mahlérien, straussien qu’il est, doublé du chef d’opéra qui, depuis toujours, réalise des triomphes au Met, à la Scala et à Covent Garden.
Au tomber du rideau sur ce prologue, on est déjà impatient de découvrir la première journée de ce Ring : La Walkyrie.
Avec le spectacle introductif auquel on vient d'assister, la promesse est telle qu’on s’attend à un singulier voyage onirique.
Les jalons de sa réussite sur le plan musical et lyrique sont d’ores et déjà posés…
Lire le test de la version DVD de Das Rheingold
Pour lire le test de Die Walkure,
second volet du Ring,
cliquer sur le visuel ci-contre…
Gilles Delatronchette